« L’âge atomique »
au musée d’Art moderne de Paris :
le pouvoir nucléaire

En retraçant l’histoire de l’atome, de sa découverte à nos jours, en croisant l’histoire, la science, les arts et la mobilisation citoyenne, le parcours permet une heureuse régénération de notre esprit critique et de notre souci du monde.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres

En retraçant l’histoire de l’atome, de sa découverte à nos jours, en croisant l’histoire, la science, les arts et la mobilisation citoyenne, le parcours permet une heureuse régénération de notre esprit critique et de notre souci du monde.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Avant et après la bombe. L’exposition « L’âge atomique », présentée au musée d’Art moderne, retrace l’histoire de l’atome, de sa découverte à nos jours. Conçue par Julia Garimorth, Maria Stavrinaki, Kyveli Mavrokordopoulou. Elle réunit des documents artistiques et culturels divers, des tableaux, des dessins, des films, des archives, qui, non seulement réveillent des souvenirs de sciences ou d’histoire, mais sensibilisent à la nucléarisation de notre époque. On appelle anthropocène cette ère où l’homme a acquis le pouvoir, par l’usage notamment du nucléaire, militaire ou civil, de modifier les conditions de vie sur Terre. Cette exposition permet une heureuse régénération de notre esprit critique et de notre souci du monde.

La première partie de l’exposition est consacrée à la découverte de l’atome. Elle met en parallèle le progrès scientifique et l’art moderne, lequel, à l’aube du XXe siècle, s’oriente vers l’abstraction : avec la désintégration de la matière en particules, la réalité devient décomposable en éléments invisibles derrière ses apparences formelles. Kandinsky note, en 1913 : « La divisibilité de l’atome ébranla mon âme comme l’effondrement du monde entier. Toutes choses devenaient incertaines, chancelantes, inconsistantes. »

« Les rivières étaient pleines de gens »

La seconde partie, la plus spectaculaire et la plus émouvante, a pour objet la bombe atomique. Avant même de présenter ses répercussions dans les arts et la pensée, l’exposition donne à voir les dessins que les survivants d’Hiroshima et Nagasaki (les « hibakusha ») ont réalisés trente ans après, à la demande de la chaîne de télévision NHK. Ils sont accompagnés de courtes légendes rapportant les expériences vécues au moment de l’explosion.

Ainsi peut-on lire sous certains dessins : « C’était la première fois de ma vie que je voyais une scène pareille. Certaines personnes avaient été projetées là par l’explosion de la bombe, d’autres s’étaient noyées dans l’eau pour échapper à la chaleur. Les rivières de la ville étaient pleines de ces gens mourants. Puissent leurs âmes reposer en paix. » Ou encore : « Je m’enfuis en abandonnant ma grand-mère sans même l’entendre. Je n’ai eu qu’une seconde pour sortir. Je ne pouvais rien faire. J’aurais au moins souhaité lui répondre. Cette histoire est tellement triste que je n’ai jamais voulu la raconter à qui que ce soit. Il est impossible d’expier ce péché. »

Enfin, clôturant cette section éprouvante, une chanson de Yoko Ono, « Hiroshima, Sky Is Always Blue » exprime magistralement la catastrophe et l’espérance.

La grande peur

Le parcours du visiteur se poursuit loin, avec « la grande peur ». Cette section explore l’impression de nouvelle apocalypse qui hante artistes et penseurs après 1950, alors même que les images d’explosion nucléaire et de leur champignon atomique envahissent l’imaginaire, entre fascination et épouvante.

À cet égard, deux petits films méritent d’être regardés intégralement : L’Opération Crossword, un film promotionnel de l’armée américaine sur une série d’essais nucléaires menés sur l’atoll de Bikini en 1946 ; et The War Game, fiction de 1965, de l’anglais Peter Watkins, qui présente les conséquences d’une nouvelle guerre nucléaire.

Plus largement, c’est l’ensemble de la vie artistique qui entend témoigner de cette responsabilité. Sartre écrit, dans Les Temps modernes en 1946 : « Nous voici ramenés à l’An Mil, chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps. » Vigilance critique devient le mot d’ordre des années 1950. Cet engagement donne lieu à une activité créatrice bien représentée dans l’exposition. Elle est née avec l’Internationale situationniste d’Isidore Isou, Guy Debord, Giuseppe Pinot Gallizio, attirant dans son sillage des peintres comme Dali ou Bacon, et plus largement tout un mouvement de protestation face aux menaces nucléaires.

Écoféminisme et tiers-monde sinistré

Cette situation nouvelle, la nucléarisation du monde, est la troisième partie de l’exposition, peut-être la plus nécessaire parce qu’en phase avec l’actualité. Depuis les années 1960, le nucléaire n’est plus seulement militaire mais aussi civil, avec les problèmes écologiques qui en découlent. L’extraction des minerais, la construction de centrales, le stockage des déchets, la poursuite des essais nucléaires, sont autant de sujets de mobilisation artistique et politique qui ne peuvent laisser indifférent.

C’est d’abord l’écoféminisme, porté par la philosophe américaine Carolyn Merchant, qui est à l’honneur. Des collectifs de femmes du monde entier manifestent depuis les années 1980 pour la préservation de la vie, contre une gestion virile et patriarcale la planète, multipliant les performances, les conférences et le militantisme politique, comme les Sisters Of Survival.

Dans le même esprit, une pensée anticoloniale se développe dans le monde, les pays les plus pauvres étant souvent les pays aux sous-sols exploités par les industries atomiques, ou pour certains les terres élues pour les essais nucléaires.

Dans la dernière salle, les images de De Gaulle, Mitterrand ou Chirac affirmant que les essais atomiques sont sans conséquence pour l’écologie ne manquent pas d’inquiéter. Plus éloquents et plus forts reste pour le visiteur le dernier tableau exposé au terme de ce beau parcours : Fukushima 1 de Natascha Nisic, artiste française inlassablement attirée par le rappel de ce que les hommes ne veulent pas voir.

P. C.

« L’âge atomique, les artistes à l’épreuve de l’histoire », exposition au musée d’Art moderne de Paris, jusqu’au 9 février 2025.

Pour les enseignants, dossier pédagogique à retrouver sur le site du musée.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar