Choc des savoirs : l’acte II assomme les enseignants
Par Faye Chartres, professeure de lettres (académie de Créteil)
Le 12 novembre à 7h45, près de 850 000 enseignants ont reçu un courriel annonçant la poursuite du « Choc des savoirs », la réforme initiée par Gabriel Attal en octobre 2023. Cette annonce creuse le fossé entre des professionnels désavoués et un ministère sourd à leur détresse. Retour sur les premières semaines de mise en place des « groupes de besoin ».
Par Faye Chartres, professeure de lettres (académie de Créteil)
Le « choc des savoirs » a bousculé le fonctionnement des enseignants. Cette réforme aux « objectifs forts » portait la signature de l’ancien premier ministre, Gabriel Attal. Dès la rentrée 2024, ces derniers ont dû mettre en place en sixième et en cinquième des « groupes de besoin » en maths et en français. Nicole Belloubet, qui a succédé à Gabriel Attal au ministère de l’Éducation, avait en effet réussi à corriger les « groupes de niveau », formulation initialement prévue par son prédécesseur, en « groupes de besoin », en laissant chaque établissement choisir la mise en place la plus adaptée à ses élèves.
La dissolution de l’Assemblée nationale au printemps dernier laissait espérer un report voire une annulation de cette réforme décriée tant sur le plan pédagogique que sur sa faisabilité. Malgré un rejet quasi unanime qui a même gagné les personnels de direction, elle a été imposée sans concertation et de surcroit sans moyens, contrairement aux promesses de l’ancien ministre. Depuis la rentrée, chaque établissement s’est donc efforcé de trouver la moins mauvaise formule pour ses élèves. Retour sur ces premières semaines de mise en place avec l’annonce, le 12 novembre, à 7h45, par courriel aux enseignants, de la poursuite de la réforme.
« Dans notre établissement, plus de la moitié des élèves de sixième sont en situation de fragilité en français et encore plus en mathématiques, expose Ulysse*, enseignant dans un établissement REP de Seine-Saint-Denis. L’année dernière, les moyens alloués par le rectorat dépendaient des résultats aux évaluations nationales de 2023 et notre établissement a été curieusement considéré comme le meilleur du secteur. Notre quota d’heures d’enseignement disponibles pour créer des groupes de besoins en cohérence avec les textes s’est donc révélé absolument insuffisant. »
64% des collèges « n’ont pas appliqué à la lettre les regroupements de niveau en sixième et cinquième en français et mathématiques », constate le Snes, syndicat majoritaire chez les enseignants, dans un communiqué du 13 octobre. Mais « la très grande majorité a tout de même aligné ces classes en barrettes. », c’est-à-dire en regroupant plusieurs classes d’élèves de niveaux scolaires différents dans une même salle, avec plusieurs enseignants. L’objectif étant d’offrir des groupes de travail adaptés aux besoins spécifiques des élèves.
Faire plus avec moins
Ce dispositif en groupes de besoin nécessite davantage d’heures d’enseignements. Or, plus de 3000 postes n’ont pas été pourvus à la fin de l’année scolaire 2024, rappelle un article de Libération. Un collège sur deux était touché par le manque de professeurs à la rentrée, selon une enquête du Snes, notamment en mathématiques. Et les perspectives ne vont pas vers une amélioration : le projet de loi de finances 2025 présenté à l’Assemblée Nationale prévoit la suppression d’environ 4000 postes d’enseignants. Une décision que le gouvernement justifie par une baisse démographique.
L’annonce du lancement de l’acte II du « Choc des savoirs » le 12 novembre par la nouvelle ministre Anne Genetet sans même un premier bilan des premières semaines de l’acte I dans les établissements a donc été mal vécue par les enseignants. Elle a fait suite à une nouvelle attaque publique de la profession venue d’un ancien président, Nicolas Sarkozy qui, invité d’une chaine de télévision de grande audience, a minimisé le temps de travail des enseignants en déclarant qu’ils ne travaillaient que 24 heures par semaine et six mois dans l’année et choisissaient ce métier « pour de mauvaises raisons ».
Invitée de la matinale sur BFM TV le jour même, la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, a a expliqué pour sa part qu’elle prenait les revendications syndicales « au sérieux ». « Il manque des profs », a-t-elle admis, se disant « consciente » que l’attractivité du métier est un « vrai sujet ». Mais en restant inflexible.
Concernant le collège, l’acte II annonce :
- le maintien des évaluations nationales en 6e et en 4e mais elles deviennent facultatives en 5e et 3e.
- le changement de programmes de cycle 3 et 4 respectivement pour la rentrée 2025 et 2026.
- une labellisation de manuels.
- l’obligation d’obtention du brevet pour l’entrée au lycée à partir de la session de 2027.
- une extension des groupes de besoins aux niveaux 4e et 3e à raison d’une heure hebdomadaire en français et en mathématiques.
L’extension des groupes de besoins, même à une heure hebdomadaire, réclame un investissement horaire énorme aux établissements qui n’avaient déjà pas les moyens d’assumer le premier acte de la réforme. Beaucoup s’inquiètent : après les dispositions d’accompagnement personnalisé et les dédoublements de classes, qui seront les prochains sacrifiés : les lettres classiques, les enseignements artistiques, les projets pédagogiques ?
« Si l’objectif était de détruire tous les dispositifs qui fonctionnaient jusqu’ici, tels que l’accompagnement personnalité ou le dédoublement, c’est réussi, tempête Ibrahim*, enseignant dans le même établissement qu’Ulysse. Dans notre collège, nous n’avons plus aucun moyen. Nous sommes usés. La réforme s’impose au détriment des enseignants et des élèves. Ces derniers se sentent stigmatisés lorsqu’ils sont envoyés dans les groupes de besoins. Quant aux enseignants, nous nous retrouvons avec des services de plus en plus lourds. Nous enseignons parfois tous les niveaux au collège. En français, c’est infaisable. »
Emplois du temps en gruyère ou en tranches
En effet, le Choc des savoirs prévoit « des moments de regroupement » en « classe entière » pouvant durer jusqu’à « dix semaines ». Les enseignants surnuméraires expérimentent ainsi une forme d’annualisation de leurs heures qui se répercute sur les emplois du temps. « Le lundi, je me retrouve avec une heure de français à 8 heures puis, plus rien jusqu’à 16 heures. Le personnel de direction bien embêté a déplacé certaines heures de cours en attendant la mise en place des groupes. Cet emploi du temps en gruyère est difficile à vivre, d’autant que je ne suis pas titulaire sur l’établissement. Il faut donc ajouter les heures de trajet, les corrections du soir, la consultation des mails de fin de journée venant des parents ou de certains élèves… »
Du côté des élèves, mêmes problèmes d’emploi du temps : certains se retrouvent par exemple avec trois heures de français découpées dans la même journée. Les professeurs de lettres classiques voient parfois leur enseignement relégué au rang d’option sur la case du 17 heures à 18 heures, soit sur l’extension d’horairepromis dans les établissements REP pour assurer un accueil des enfant de 8 heures à 18 heures.
Qu’attendre des élèves à l’issue de journées surchargées ? Ibrahim témoigne d’une lassitude générale et d’une forme de résignation : « Je ne lis même plus les communiqués ministériels. Je ne savais donc pas grand chose de cet acte II du Choc des savoirs jusqu’à ce que je me penche un peu sur les articles parus dans la presse. Je n’attends plus rien de l’institution. J’essaye d’être utile à mes élèves et de les aider du mieux que je peux. Avec la mise en place du Choc des savoirs mais aussi de dispositifs comme le Pacte enseignant, le message a été très clair : nous sommes remplaçables et interchangeables. Personne ne nous retiendra. » En 2023, près de 3000 enseignants ont démissionné. Ce nombre ne cesse d’augmenter d’année en année.
Peu commentée, la labellisation des manuels va dans le sens d’un contrôle et d’une surveillance pédagogique accrue. L’émergence des groupes de besoins se fait au détriment des véritables revendications des professionnels de l’enseignement, à savoir : travailler avec des classes moins surchargées et avec un salaire revalorisé. Soit dans des conditions de travail acceptables pour toutes et tous.
F. C.
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