La Forêt barbelée,
de Gabrielle Filteau-Chiba

En une trilogie, Encabanée, Sauvagines et Bivouac, la Québécoise Gabrielle Filteau-Chiba s’est fait un nom connecté au vivant forestier et à la poésie. Son nouveau recueil, La Forêt barbelée (2024) prolonge cet élan pour la nature et le pays de l’hiver, et peut être une lecture complémentaire pour le bac de français.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

En une trilogie, Encabanée, Sauvagines et Bivouac, la Québécoise Gabrielle Filteau-Chiba s’est fait un nom connecté au vivant forestier et à la poésie. Son nouveau recueil, La Forêt barbelée (2024) prolonge cet élan pour la nature et le pays de l’hiver, et peut être une lecture complémentaire pour le bac de français.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Depuis la consécration d’Hélène Dorion, dont le recueil, Mes forêts, est entré au programme du baccalauréat de français en 2023, l’attention portée à la littérature québécoise en France a connu un net regain. Le rapprochement entre Hélène Dorion et Gabrielle Filteau-Chiba peut être intéressant tant les deux écrivaines du « pays de l’hiver » partagent une même attirance pour la forêt et l’idée que la littérature dépasse les carcans génériques. Respectivement âgées de 66 et 37 ans, leurs œuvres estompent la frontière entre poésie et roman.

Les quatre saisons d’une fugue définitive

C’est Cécile Coulon, romancière également consacrée comme poétesse depuis son recueil, Ronces, qui préface La Forêt barbelée, paru chez le même éditeur,Le Castor astral. Sa justesse de vue fait mouche :

« Là où les trois romans de l’autrice embrassaient pleinement la question de l’éco-anxiété, du sentiment d’urgence à protéger les arbres primaires, de la nécessité de se battre et de porter sa sensibilité en étendard, ses poèmes prennent, encore, une sente ténue. Ils font un pas de côté dans le grand pas de côté, une cachette dans la cachette : là on chasse celui qui croit chasser, on traque le braconnier, on se fait traqueur pour ne plus se sentir traquée » (page 7).

En s’installant à Kamouraska, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent (Québec), Gabrielle Filteau-Chiba s’est d’abord barricadée hors les murs de la ville, comme le suggère le titre paradoxal du recueil, La Forêt barbelée. Elle a fait des livres – et en particulier Walden ou la Vie dans les bois, de Henry David Thoreau (1854) –  ses premiers compagnons d’exil. Cette installation n’est pas anodine, comme si, plus ou moins consciemment, l’autrice avait cherché à se reconnecter non seulement au vivant, mais à une écrivaine fondatrice au « pays de Québec », Anne Hébert (1916-2000), autrice du roman Kamouraska (1970) et également poétesse.

Le braconnier versus la gardienne de la forêt

Gabrielle Filteau-Chiba a appris à ne plus craindre les engelures même quand « le mercure indique moins mille », à retrousser les manches pour « bûcher » (couper du bois), à ne plus avoir peur de tout, de son « ombre », des « coyotes », dans la profondeur de la forêt primaire. Pour autant, elle reste une combattante se sachant épier par un adversaire, le rôdeur le plus malveillant qui soit, désigné comme le « braconnier ». Aussi, la progression du recueil ne tient-elle pas à un déplacement du minuscule vers le cosmogonique. Elle s’inscrit plutôt dans la perspective d’un affrontement entre la gardienne et ce braconnier.

« au petit matin tout rose
je décide de changer d’astres
de forcer le duel »

D’un bout à l’autre du recueil, le vers reste bref et non rigoureusement rimé, la langue simple. La « colère » reste contenue, même si l’énonciatrice « sacre à la chaîne », autrement dit, insulte l’agent de ce braconnage impitoyable qui va de pair avec l’histoire des Canadiens français et leur exploitation des peuples autochtones. Cela étant, Gabrielle Filteau-Chiba a le verbe poétique plus brut que son aînée, Hélène Dorion, au point qu’en certains endroits, son texte semble slamer.

« hop su’l toit ma p’tite fille
débouche tes aortes
ait foi en toi »

Elle « crache par terre », fait résonner le timbre des vocables comme en atteste l’orthographe de « dewors ». Au rythme des saisons, la renaissance se révèle de plus en plus proche. « L’enfant », « ma fille », entre dans l’histoire intime de la gardienne qui n’en perd pas pour autant, le printemps venu, son état d’esprit de combattante.

« nous ne livrerons pas
nos veines rivières
à vos plans charlatans
de mises à mort »

Pour découvrir Gabrielle-Filteau Chiba, tous les sentiers sont bons, l’écouter lire, l’entendre parler de son parcours, commencer par ses récits, s’initier à sa poésie. Ses combats, son attention au vivant, la constance de ses engagements, se ramifient dans son œuvre plurielle, polygraphique, au point d’en faire une lanceuse d’alerte et une veilleuse au grain de notre écologique survivance.

La Forêt barbelée peut tout à fait constituer une lecture complémentaire au recueil d’Hélène Dorion dans le cadre de l’épreuve anticipée de français.

A. S.

Ressources


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron