New York, New York,
de Jillian et Mariko Tamaki :
le tour de la pomme

Dans ce récit mené à train d’enfer, deux Canadiennes se retrouvent à New York pour les vacances. Les visites de la ville se mêlent aux sentiments et aux projections personnelles, dans une palette de mauve, noir et sépia.
Par Philippe Leclercq, critique

Dans ce récit mené à train d’enfer, deux Canadiennes se retrouvent à New York pour les vacances. Les visites de la ville se mêlent aux sentiments et aux projections personnelles, dans une palette de mauve, noir et sépia.

Par Philippe Leclercq, critique

« Voir c’est voir. Quand la BD nous empêche de détourner le regard » titrait en janvier Le Monde des livres, supplément littéraire du grand quotidien du soir. La bande dessinée, qui se décline désormais en une multitude de formes graphiques, est sortie, au tournant des années 2000, de la seule case du divertissement où elle s’est longtemps complu. Depuis lors, elle est devenue un outil d’appréhension et de décryptage du réel. Elle parle aussi bien d’actualité (politique, sociale, écologique…) que d’histoire (Révolution française, Shoah, guerres…) ou d’avenir dont elle interroge les sombres perspectives (climat, énergie, migration…). Comme la photo ou le cinéma, dont ce fut longtemps le domaine réservé, elle s’est emparée de la double fonction de témoigner et de transmettre. Son langage, à la confluence subjective de l’écrit, de la couleur et du dessin, invite à garder les yeux ouverts sur les réalités du monde autant que sur le monde sensible. Au même titre que la littérature romanesque, la bande dessinée s’avère un formidable – et ludique – moyen de scrutation de la psyché humaine.

Folle virée au cœur des sentiments

C’est précisément d’intimité et de relation à l’autre dont il est question dans New York, New York, la troisième collaboration des autrices (et cousines) canadiennes Jillian et Mariko Tamaki (respectivement au dessin et au scénario).

L’histoire se tient en 2009. George Bush Jr a été remplacé depuis peu par Barack Obama à la tête États-Unis. Dani et Zoe, deux Canadiennes de vingt ans et amies d’enfance séparées par les études, ont décidé de se retrouver pour les vacances à New York. C’est pour toutes deux la première fois qu’elles visitent la célèbre ville qui ne dort jamais. Zoe est venue, de son côté, accompagnée de Fiona, une copine d’université au caractère explosif… Ensemble, elles courent bientôt les rues et les musées, les parcs et les cafés. Chaque moment réserve sa surprise. Les collections préraphaélites du Met ou les rebords de la fontaine Bethesda à Central Park sont l’occasion d’une rencontre. Au fil des jours et des discussions à bâtons rompus sur l’art, l’amour, le présent, le futur, le tour de la ville se transforme en une folle virée au cœur des sentiments de chacune. Des désirs surgissent ; des tensions apparaissent, faisant vaciller le trio. L’euphorie du départ fait place à des incertitudes. L’amitié entre Zoe et Dani est questionnée. Douloureux passage à l’âge adulte…

Fièvre dans le labyrinthe

New York, New York est un récit d’apprentissage dont la grande ville américaine sert de décor, non tant comme toile de fond que comme espace métaphorique, sorte de labyrinthe où l’on se perd, se retrouve et se découvre… La palette réduite des couleurs (mauve, noir, sépia) et les traits arrondis du dessin évoquent le sentiment doucereux de l’adieu à l’enfance. Les images, souvent affranchies des limites de leur cadre, scandent la fièvre de la mégapole et la jeunesse des personnages, leur vitalité, leur soif de ville et de vie. La riche composition des plans en souligne l’excitation autant que la confusion des sentiments face aux désillusions. L’humour, dont les autrices ont doté leurs personnages, vient souvent à la rescousse des situations tendues, et permet d’envisager l’existence avec indulgence, et l’espoir d’une confiance renouvelée. Le récit, conduit à un train d’enfer, est enfin pour les deux copines, Zoe et Dani, ainsi que pour le lecteur, une formidable leçon de vie, de tolérance, d’amour et d’amitié.

P. L.

Jillian et Mariko Tamaki, New York, New York, Rue de Sèvres, 448 pages, 25 euros.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq