Travailler la maîtrise de la langue :
un manuel pour tous les profs

Trois enseignantes et formatrices, Karine Risselin, Émilie Busch et Anne Vibert, ont concocté un ouvrage fondé sur les préoccupations de terrain, le travail réel des enseignants et la recherche en matière de didactique de la langue. Une boîte à outils exceptionnelle de clarté, de bienveillance et de pédagogie.
Par Inès Hamdi, professeure de lettres (Noisy-le-Sec)

Trois enseignantes et formatrices, Karine Risselin, Émilie Busch et Anne Vibert, ont concocté un ouvrage fondé sur les préoccupations de terrain, le travail réel des enseignants et la recherche en matière de didactique de la langue. Une boîte à outils exceptionnelle de clarté, de bienveillance et de pédagogie.

Par Inès Hamdi, professeure de lettres (Noisy-le-Sec)

« Mes élèves n’écrivent pas ! », « Ils ne se relisent pas ! », « Je pensais qu’ils avaient compris la leçon et, pourtant, ils font encore et toujours les mêmes fautes ! » Combien de fois ces questions ont-elles hanté les esprits de professeurs déjà bien surmenés ? Dans Travailler la maîtrise de la langue, un ouvrage exceptionnel de clarté, de bienveillance et de pédagogie, Karine Risselin, Émilie Busch et Anne Vibert proposent une véritable boîte à outils pour renouveler les approches et dépoussiérer les regards sur un champ scolaire encore lourd de vieilles traditions et de préjugés.

Travaux

Loin des mastodontes didactiques qui effraient parfois l’enseignant conditionné par le temps et l’efficacité, les trois autrices – respectivement formatrice à l’Inspé de Créteil, ancienne inspectrice générale, et professeure de lettres et formatrice à l’université de Toulon – proposent « un ouvrage ancré dans la classe ». Elles résument le cahier des charges en ces termes : « Nous pensions utile et urgent de proposer un ouvrage généraliste, pragmatique, fondé à la fois sur les préoccupations de terrain, le travail réel des collègues du premier comme du second degré et sur les apports de la recherche en matière de didactique de la maîtrise de la langue. »

En articulant théorie, pratique et synthèse de décennies de recherche et d’observation des gestes d’enseignants de terrain (dont elles), elles livrent ainsi un formidable guide quasi prêt à l’emploi. Travailler la maîtrise de la langue est émaillé de travaux d’élèves menés par des enseignants en poste. Ces derniers sont passés au crible par ces trois professionnelles de l’enseignement de la langue en les gratifiant de commentaires et d’analyses didactiques extrêmement instructifs. C’est ainsi que l’on trouve aussi bien des images d’écrits intermédiaires sous forme de cartes mentales lexicales que des journaux d’apprentissage ou des traces écrites mettant en relief les fameuses zones de doute orthographiques persistantes dans les productions écrites des élèves. Les mots, soutenus par l’image, composent un discours didactique à la langue limpide qui rend la lecture vive et agréable.

Solidarité entre les disciplines

L’autre attrait de cet ouvrage est de ne pas se circonscrire exclusivement à la discipline du français. Si les parties II et III s’y intéressent davantage, ce sont l’ouverture et la solidarité disciplinaire qui sont au cœur des enjeux. En rappelant, notamment, que les programmes institutionnels peinent eux-mêmes à définir ce que serait la maîtrise de la langue (pages 20 et 21), les autrices identifient (preuves à l’appui) une confusion institutionnelle et institutionnalisée qui se reporte sur la formation des enseignants et, par ricochet, sur l’apprentissage des élèves.

La faute n’est pas rejetée sur le professeur qui applique consciencieusement ses propres leçons : il est, au contraire, déculpabilisé sans être déresponsabilisé pour autant. En verbalisant le droit à l’erreur aussi bien du côté des élèves que des enseignants, les autrices ménagent la volonté d’une rénovation possible des pratiques professionnelles. Cet ouvrage est aussi l’occasion de rappeler que l’orthographe est une science dynamique et mouvante : son ardeur est à prendre en compte dans les difficultés de nos élèves (mais aussi des adultes) qui ne sont pas les êtres de mauvaise volonté comme certains peuvent le prétendre (page 99). Aux grands discours et aux plaintes, les autrices proposent des solutions bienvenues et tiennent les promesses du préambule de l’ouvrage.

Plaisir du texte, correction entre pairs, chantiers de grammaire

Malgré tout, le professeur de français reste le point nodal de l’enseignement de la maîtrise de la langue. Les seconde et troisième parties de l’ouvrage sont des mines d’or en termes de conseils et de pistes de travail pour les enseignants de lettres. Comment amener les élèves les plus en difficulté à se rendre compte des liens entre l’étude de la langue, la pensée et l’écrit ? Les autrices explicitent ce que les enseignants ne parviennent pas toujours à verbaliser : la linéarisation constante des écrits et la perte du « plaisir du texte »(au profit de séances dévitalisées) constituent deux éléments pour comprendre les difficultés des élèves (page 119). Il ne faut pas hésiter à éclater l’horizontalité des textes en variant les formes d’écriture, pour réaliser des bilans et des synthèses de leçons à la manière d’une corolle, par exemple (voir page 120). La correction entre pairs est aussi un autre levier de progression possible et un gage de confiance (souvent manquante) pour les élèves qui prennent une posture de pédagogue. Le reste de l’ouvrage a des vertus formatrices en proposant notamment une étude détaillée de quelques outils supplémentaires relayés dans les formations académiques tels les chantiers de grammaire.

L’enseignement de la maîtrise de la langue française n’est pas réservé aux enseignants de lettres. « Car la langue n’est pas le simple ‘‘vêtement’’ de connaissances qui lui préexisteraient, souligne le pédagogue Philippe Meirieu en présentation de ce livre. Elle est le matériau même grâce auquel on peut construire les savoirs. C’est en travaillant la langue qu’on apprend à penser, en des opérations intellectuelles qui ne se limitent pas à la compréhension et à l’usage de mots ou de phrases, mais impliquent des remaniements et des reconfigurations qui permettent d’entrer dans une authentique réflexion. » L’ouvrage de Karine Risselin, Émilie Busch et Anne Vibert paraît incontournable dans l’ensemble du champ scolaire. Aux enseignants de toutes disciplines et de tous les cycles de s’emparer ce quasi-manuel de réapprentissage.

I. H.

L’ouvrage est disponible sur le site de son éditeur (https://www.esf-scienceshumaines.fr/accueil/435-travailler-la-maitrise-de-la-langue.html) qui propose de télécharger un extrait, ainsi qu’un entretien avec les autrices (https://www.esf-scienceshumaines.fr/accueil/435-travailler-la-maitrise-de-la-langue.html).


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Ines Hamdi
Ines Hamdi