Faire classe dehors :
enseigner en plein air
pour le bien-être de tous
Par Thérèse de Paulis, professeure de lettres (académie de Paris)
Quelques conseils fondés sur une expérience de dix ans à Paris, à l’occasion de la Semaine francophone de la classe dehors, du 20 au 27 mai 2024. Cette pratique permet notamment plus d’autonomie pour les élèves et l’enseignant, alors disponible pour observer et répondre aux besoins particuliers.
Par Thérèse de Paulis, professeure de lettres (académie de Paris)
La Semaine francophone de la classe dehors propose d’organiser des cours dehors du 20 au 27 mai 2024, à proximité de chaque établissement. Vous souhaitez vous lancer pour le bien-être de vos élèves ? Je partage ici mon expérience de dix ans de classe dehors à Paris.
La classe dehors est une pratique qui permet d’adapter l’enseignement au changement climatique et de se reconnecter avec la nature. Elle se déroule dans les cours des écoles, dans les jardins publics, les squares, les espaces de nature disponibles à proximité des établissements scolaires. L’objectif est également de rechercher des stratégies pour faire progresser nos élèves dans les apprentissages disciplinaires et dans ceux des compétences psychosociales. La pratique de la classe dehors permet de relier ces apprentissages à la vie. En effet, elle améliore l’autonomie ainsi que les capacités de coopération et de collaboration, qui seront essentielles pour nos élèves dans leurs études supérieures, puis dans le monde professionnel. Cet exercice est, de plus, un levier pour la réflexion sur l’espace scolaire à l’école, au collège et au lycée.
Ce témoignage vise à partager une expérience menée en ville, à Paris depuis une dizaine d’années. Les lieux investis ont été d’abord le jardin des Tuileries avec l’accompagnement du musée du Louvre, puis le parc de la Villette et le jardin du Luxembourg, le quartier Saint-Michel, et enfin les espaces disponibles proches de mon établissement : le square du Temple et les jardins du quartier du Marais avec l’accompagnement de la mairie de Paris Centre.
Qu’est-ce que faire classe dehors ?
Faire classe dehors, en plein air, est une pratique régulière d’enseignement dans un espace naturel (jardin, square, forêt…), en milieu urbain ou rural. Dans le primaire, elle est souvent organisée une demi-journée par semaine. Dans le secondaire, les contraintes sont celles de l’emploi du temps car le professeur a en charge la classe durant une ou deux heures, les séances dehors sont donc plus courtes.
En classe dehors, l’élève est en situation d’apprentissage, que ce soit dans le cadre d’un cours, du jeu libre ou de l’observation du milieu naturel. Le professeur met en œuvre le programme, les référentiels, avec des activités tenant compte des opportunités offertes par l’espace de plein air, pour choisir les contenus d’apprentissage et leurs modalités, par exemple en privilégiant les travaux de groupe ou en laissant la possibilité à l’élève de s’isoler pour se concentrer.
La séance est ritualisée. Elle débute par un court temps d’observation du lieu et des conditions de sécurité. L’enseignant peut éventuellement, selon ses objectifs disciplinaires, construire la séance à partir de la découverte de son histoire et de ses activités. Un temps d’échange pour exprimer ses impressions, nommer ses émotions et prendre en compte celles d’autrui, suffit à ce que chacun choisisse sa place, tout en respectant l’environnement (niveau sonore, partage de l’espace, respect des usagers des jardins publics).
Personnellement, je propose des activités qui vont permettre de gagner en autonomie : lecture, pratique de cours, de lecture, exercices, préparation d’un contrôle, révision pour le bac… Dans le secondaire, la classe dehors a ses spécificités. Elle transpose dehors une séance d’apprentissage ou d’évaluation selon des modalités réfléchies en fonction de l’espace scolaire recréé.
Quelles sont les différentes situations d’apprentissage dehors ?
Le jeu libre à l’école permet de mettre en place, dans un jardin ou un square sécurisé, un espace de jeu dans lequel l’enfant s’amuse de manière autonome avec ce qu’il trouve sur place, pour stimuler sa créativité. L’enseignant a plus un rôle d’observation et d’accompagnement que dans l’activité encadrée. L’élève s’approprie son environnement en faisant le choix de passer d’une activité à une autre, ce qui favorise la confiance en soi. Les élèves apprennent à gérer les interactions entre eux, le partage des espaces et du matériel ; ils sont en situation de coopération.
Le cours disciplinaire s’appuie sur l’observation et l’étude du paysage en géographie ou bien sur l’histoire de l’urbanisme, d’un quartier, d’un monument par exemple ou bien encore sur des objets d’étude en sciences et vie de la terre.
Nous avons tous des souvenirs d’enfance de classe dehors. Pour moi, il s’agissait des cours de sciences naturelles en cinquième, en forêt, pour découvrir la biodiversité.
Mon expérience fondatrice de classe dehors en tant qu’enseignante remonte à vingt-huit ans, en 1996, lorsque j’étais professeure stagiaire à Amiens. Il s’agissait d’une séance de géographie pour travailler des compétences disciplinaires. C’était plutôt une sortie scolaire en milieu naturel. J’avais en charge une classe de première année de brevet d’études professionnelles. Je travaillais en équipe avec mon collègue stagiaire agrégé d’histoire-géo, qui avait en charge une seconde générale sur une séquence de géographie.
Nous nous interrogions sur la difficulté pour nos élèves à réaliser des croquis et à changer d’échelle. Nous avions proposé de leur apprendre à observer des paysages dans la réserve naturelle de l’étang Saint-Ladre à Boves et à en garder une trace. Nous avions convaincu nos tuteurs respectifs de nous laisser nous y rendre. Nous avons immédiatement remarqué qu’une coopération se mettait en place assez naturellement. La gestion de classe était facilitée. Les élèves coopéraient. Nos postures étaient modifiées, nous pouvions accompagner ceux qui étaient vraiment en demande, qui avait envie d’apprendre, de réussir. L’activité concrète en situation réelle avait favorisé l’exercice.
Cet exemple illustre une mise en situation pédagogique en milieu naturel qui peut s’appliquer à la géographie et aux sciences et vie de la terre par exemple, ainsi que pour l’acquisition de compétences dans les autres disciplines.
Une situation de classe transposée dans la cour
La classe en plein air reproduit dans les cours des établissements des pratiques identiques à celles observées « à l’intérieur », sans mobilisation particulière des possibilités offertes par l’espace du dehors. Elle offre une respiration. Par exemple, il est possible de s’installer dehors pour des séances de lecture silencieuse ou à voix haute, ou de pratiques d’écriture variées : écrit de travail et de mémorisation, écriture à partir de contraintes et de déclencheurs, écriture personnelle, de commentaire ou d’argumentation. Il peut s’agir de l’amélioration d’un brouillon. Les élèves peuvent aussi lire un texte, le raconter, le reformuler, le résumer. L’espace disponible permet de créer des îlots, de moduler l’organisation des groupes selon la succession des activités.
Une pratique réfléchie sur l’espace scolaire et son impact sur les apprentissages et le bien-être
La classe dehors vise un engagement actif des élèves pour acquérir de l’autonomie. Elle encourage les interactions avec l’enseignant. Elle donne un cadre pour vérifier les apprentissages des contenus transmis par l’enseignant. Personnellement, je n’aborde pas dehors de nouvelles connaissances ou de nouvelles capacités. Je propose aux élèves de s’exercer à une pratique autonome dont l’objectif est la mémorisation et l’automatisation. Nous revenons sur des contenus déjà abordés. Certains élèves travaillent seuls. D’autres me sollicitent pour obtenir des explications complémentaires. L’espace ouvert en plein air facilite l’entraide entre pairs, ce qui valorise la complémentarité des élèves dans le groupe. Dans cet espace plus vaste, les élèves les plus réservés osent davantage demander de l’aide car ils se sentent moins sous le regard du groupe classe.
J’utilise la feuille de route et parfois le plan de travail pour les élèves plus aguerris. Tous disposent d’une fiche avec les objectifs, les ressources, les indicateurs de réussite, les activités à réaliser, les livrables. Nous disposons d’une valisette à roulettes avec les ressources où les élèves viennent se servir, et d’une pochette pour déposer les livrables. La séance dehors s’appuie sur un contrat clair car nous sommes bien au travail, dans un cadre pédagogique, mais avec plus de possibilités. Je demande aux élèves de se responsabiliser et d’être acteurs. J’adopte une posture de lâcher prise. Cela me permet de me dégager du temps pour les observer et repérer leurs stratégies et modalités de travail, pour mieux cibler leurs besoins. Ceux qui travaillent plus vite peuvent choisir d’effectuer des activités complémentaires ou bien d’aider des camarades.
La prise en compte du corps et de son rapport à l’espace en plein air
Les adolescents passent de plus en plus temps sur leurs écrans. Ils s’isolent. La classe dehors est une réponse possible à cette sédentarisation. Nombreux sont les élèves qui ne sortent pas et ne connaissent pas leur ville. Préparer et réussir des déplacements, c’est également contribuer à les former à la mobilité géographique, facteur de mobilité sociale.
Sortir pour faire cours permet aussi au corps d’exister. Dans la classe, les places de chacun sont déterminées par l’espace contraint. Dehors, les élèves vont soit s’asseoir sur l’herbe, sur des bancs, ou bien vont se déplacer pendant l’activité et ainsi travailler en mouvement. Ils vont s’apercevoir que c’est plus facile de communiquer, et vont davantage se regarder et être plus à l’écoute de l’autre. Ils ont la possibilité de choisir leur place de manière stratégique en fonction de l’activité et des opportunités offertes par le jardin – en fonction du temps aussi. Enfin, lorsque nous faisons des contrôles dehors, chacun va s’isoler et prendre la place qu’il souhaite pour se sentir le plus à l’aise possible.
Des situations concrètes d’acquisition progressive de compétences psycho sociales (CPS)
La classe dehors est une opportunité de bénéficier de situations concrètes pour aider les élèves à acquérir des CPS progressivement. Ces situations sont co-construites. Il s’agit de déterminer au préalable et ensemble les règles et les comportements adaptés à la situation à l’extérieur, en tenant compte des contraintes suivantes :
- déplacements en sécurité ;
- installation dans un espace qui fait sortir de sa zone de confort ;
- prise en compte des autres usagers du lieu ;
- gestion du niveau sonore.
Ces comportements sont renforcés car ceux attendus (respect, responsabilisation et collaboration) sont validés non seulement par les pairs et l’enseignant, mais aussi par les usagers de toutes générations, ainsi que par l’autorité représentée par les personnels en charge des lieux. Il est arrivé plusieurs fois que les comportements positifs des élèves soient remarqués et encouragés par des usagers ou des gardiens. Cela donne des repères aux élèves et les valorise. Il est également arrivé que des promeneurs abordent les élèves pour leur demander ce qu’ils font. C’est alors l’occasion pour eux d’exposer leurs connaissances ou de rendre compte des exercices. Il y a un échange et un partage qui donnent de l’intérêt à leur activité et qui sort du cadre scolaire pour devenir objet d’échanges. Cela crée une situation d’écoute. Les élèves ont plaisir à faire part de leurs connaissances. Ces émotions positives contribuent à consolider la mémorisation. Elles renforcent le sentiment de réussite et de compétence en cultivant des émotions agréables en situation d’apprentissage.
Faire cours dehors est un facteur de lutte contre le déterminisme, car cela donne un cadre institutionnel rassurant pour oser sortir de chez soi, de sa « coquille » pour s’autoriser à aller vers l’inconnu, vers l’extérieur.
Je souhaite également partager en quoi la classe dehors modifie la pratique de l’enseignant dans la prise en main, l’accompagnement, la régulation et l’évaluation.
J’ai observé que la mise au travail des élèves est plus rapide qu’en salle de classe.
Les bénéfices de la classe dehors
Les indicateurs de progrès observables font apparaître une amélioration des capacités : mémorisation, temps d’attention, repérage temps-espace, prise d’initiative. Les résultats sur la confiance en soi et l’autonomie sont prédominants dans le retour des élèves. La relation aux apprentissages est modifiée avec une mise au travail plus rapide et efficace. Pour l’enseignant, une gestion de classe apaisée dégage du temps pour mieux cibler les besoins des élèves par des rétroactions plus personnalisées. Pour tous, les interactions sont favorisées, la relation à autrui est améliorée par une maîtrise des comportements, ainsi que la valorisation de la coopération. Le rapport au corps est pris en compte. La classe dehors est une piste pour donner le goût d’apprendre, améliorer l’autonomie et restaurer la confiance en soi, besoins indispensables à l’amélioration des résultats, tout autant que pour l’amélioration de la gestion de classe et le climat scolaire. Sa pratique est un levier pour la réflexion sur l’espace scolaire et son impact à la fois sur les apprentissages et le bien-être.
Quelques conseils pour se lancer
Tout d’abord, il faut respecter les formalités administratives pour faire valider la sortie des élèves par la direction. Il est également important d’informer les parents du projet et des activités prévues. Je conseille également de bien informer les collègues et la vie scolaire avant de faire classe dehors dans la cour de l’établissement. On peut se rassurer en choisissant des lieux que l’on connaît bien. Dans le secondaire, il est intéressant aussi de construire avec les élèves un choix de lieux où ils vont se sentir à l’aise et qu’ils ont envie de découvrir.
Repérer les espaces publics disponibles à proximité des établissements. Faire une visite de repérage pour calculer le temps de trajet, s’assurer de la sécurité, repérer l’emplacement le plus approprié pour s’installer sans gêner les usagers. Il est important de contacter la mairie ou la direction des espaces verts pour obtenir une autorisation. Il faut aussi s’assurer de la présence de toilettes publiques. Un rappel des règles de sécurité et de vivre ensemble est nécessaire.
Préparer le matériel. Comme pour une sortie, il est utile d’avoir un petit kit pour travailler dans de bonnes conditions : trousse de secours, numéros de téléphone des parents, etc. Dans une valise à roulettes, je mets mes ressources : livres, manuels, dossiers d’activités… Cela me permet de différencier l’activité en proposant aux élèves les supports dont ils ont besoin selon la feuille de route.
Préparer une tenue appropriée. Donner les consignes pour des chaussures confortables et, selon le temps, des vêtements chauds et/ou de pluie, parapluie, casquette pour se protéger du soleil, mouchoirs, gourde d’eau, crème solaire, etc.
Préparer les activités. Je conseillerais de ne pas forcément choisir l’originalité. On peut faire une activité de groupe, une lecture, un contrôle… On va observer immédiatement l’effet du bien-être et du partage, et je pense que c’est l’essentiel. Plus tard, quand on a acquis une certaine pratique, on peut aussi utiliser des outils numériques pour faire des recherches par exemple. Mais choisir une activité simple, de travail, de lecture, c’est ce qui peut rassurer un professeur qui débute.
T. de. P.
La semaine francophone de la classe dehors
Du 20 mai au 27 mai 2024 tous les enseignants du monde francophone sont invités à sortir pour célébrer ensemble la classe dehors.
Vous souhaitez participer ? Inscrivez-vous en cliquant sur ce lien : Semaine Francophone – Rencontres-internationales.classe-deh (classe-dehors.org)
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.