Notre planète. Chronique n°8.
Le Retour de Janvier, de Charlotte Dordor :
un roman de l’extrême urgence écologique

Ce road movie dans la France profonde donne un contenu narratif aux concepts d’écoanxiété et d’écoterrorisme. Un premier roman dystopique écrit par l’éditrice Charlotte Dordor, prompt à susciter le débat et à éveiller les consciences.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Ce road movie dans la France profonde donne un contenu narratif aux concepts d’écoanxiété et d’écoterrorisme. Un premier roman dystopique écrit par l’éditrice Charlotte Dordor, prompt à susciter le débat et à éveiller les consciences.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Janvier Bonnefoi fait partie des conscrits qui ont refusé de devenir militaires dans le cadre de l’état d’urgence décrété le nouveau président ultranationaliste de la France. Si Charlotte Dordora choisi de ne pas donner de repères temporels précis à cette entrée en matière, son tout porte à croire que le récit dystopique qu’elle engage évoque un futur pas si lointain.

« On pouvait encore circuler librement dans tous les pays de l’ex-Union européenne. Il s’était précipité à Amsterdam avec une sorte d’urgence qu’il avait jugée prémonitoire. Il n’avait rien inventé : Venise avait déjà sombré. […] Le monde n’allait pas bien mais il se sentait, lui, Janvier, armé pour affronter l’avenir. Il se trouvait même bien de la chance. L’avenir avait un sens. Les écologistes arrivaient au pouvoir. » (page 33).

Malheureusement, l’utopie tourne court. La montée des eaux, qui a fait de La Rochelle une cité lacustre, en même temps que l’intrusion de migrants climatiques sur le territoire national, ont exacerbé des phobies conduisant à un désastre politique. Un coup de « Jarnac », pour citer le nom du chef d’État qui a transformé l’Hexagone en état policier.

Emprisonné pour non-respect du couvre-feu, Janvier parvient à s’enfuir pour courir les chemins de traverse de la France profonde. Charente, Poitou, Cantal, en tant que proscrit, il doit rester à couvert et éviter les routes trop fréquentées. Il part ainsi sur « les chemins noirs », abandonnant purement et simplement les grandes villes. Il faut dire que Paris connaît une véritable terreur avec la multiplication d’actes terroristes imputés au MCPP (Mouvement de combat pour la planète).

À mesure qu’il s’enfonce dans le territoire, Janvier découvre un spectacle de désolation. D’un côté, des propriétaires qui se terrent et des milices de village qui se forment pendant que les militaires patrouillent, de l’autre des migrants qui s’abritent des regards dans les forêts.

L’idée du héros est au départ de revenir au « pays natal », en l’occurrence la ferme de sa mère en Lozère, qu’il a abandonné à Félicien, son trop intellectuel et arriviste de frère. Après un trajet hasardeux et périlleux, Janvier s’attarde dans une tout autre ferme, tenue par Adèle, jeune femme à l’histoire mystérieuse à laquelle il ne peut refuser son aide. Bientôt, son cœur balance.

L’écrivain lanceur d’alerte

Dans un entretien avec le magazine Télérama, l’écoactiviste Camille Étienne affirmait :

« Sans peur, on n’évite pas le danger. C’est important de reconnaître que les chiffres de l’augmentation des émissions de CO2, des températures, nous traversent le corps. La peur doit absolument exister dans le débat public, sans quoi on le relègue dans l’intimité. » (entretien Télérama, avril 2023).

Le Retour de Janvier s’inscrit dans cette perspective. Charlotte Dordor, éditrice qui signe ici son premier roman, semble prendre la plume pour dire que l’écrivain, a fortiori pour la jeunesse, peut aussi se faire lanceur d’alertes. Si son héros demeure un personnage complexe, et donc profondément romanesque, sa grande traversée est l’occasion d’une prise de conscience saisissante pour le lecteur. Comme dans cet extrait :

« Dans les zones où on le peut encore, on ferme les yeux sur la sécheresse, la chaleur qui monte […], les camps de réfugiés, les fêlures du monde dont on croit qu’il suffit de les ignorer pour qu’elles n’existent pas »(page 133).

Les personnages parlent même « d’arrêter le réchauffement » :

« Au fond, c’est une crise salutaire. Je sais bien que ça va trop loin, beaucoup trop loin. Mais […] c’était le seul moyen d’arrêter le réchauffement. Tu te rends compte, l’effondrement des émissions de CO2 ? Il n’y a plus de trafic aérien, plus de transport routier, plus rien […] » (page 310)

Chacun à leur façon, Adèle et Janvier s’imposent comme des résistants dont l’idée ne peut plus être seulement de changer la vie. À l’heure de l’extrême urgence climatique, ils rêvent de sauver l’humanité. Ils incarnent de nouveaux modèles, nourrissent de nouveaux récits.

A.S.

Charlotte Dordor, Le Retour de Janvier, Julliard, 2023, 368 pages, 22 euros.

Ressources :

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Antony Soron
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