La raspoutitsa : un phénomène climatique et une alliée militaire

Ce phénomène climatique au nom étrange signifiant « le temps des mauvaises routes » pourrait retarder les troupes russes dans leur conquête de l'Ukraine. C'est du moins ce qu'a compris Mélodie Vigier, lauréate du prix scientifique du concours Chasseurs d'actu, catégorie Chasseurs confirmés.

Par Mélodie Vigier, collège Antoine Risso à Nice

Ce phénomène climatique au nom étrange signifiant « le temps des mauvaises routes » pourrait retarder les troupes russes dans leur conquête de l’Ukraine. C’est du moins ce qu’a compris Mélodie Vigier, lauréate du prix scientifique du concours Chasseurs d’actu, catégorie Chasseurs confirmés.

Par Mélodie Vigier, collège Antoine Risso à Nice

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, un mot revient souvent : celui de « raspoutitsa », un phénomène climatique qui pourrait jouer un tour aux troupes russes.

Pour en savoir plus, nous sommes allés poser la question à Pierre Carrega, climatologue à l’université Nice Cote d’Azur.

Un phénomène climatique spécifique

La raspoutitsa, que l’on peut traduire par « le temps des mauvaises routes » est un phénomène bien connu lié au fait qu’une partie de la Russie ainsi que de l’Ukraine est recouverte de terres qu’on appelle des loess* provenant de la dernière époque glaciaire.

« Ces loess forment des glaciers qui avancent en créant des bourrelets de terre, appelés moraines*, composées de terre fine et de cailloux pris par le vent qui les a emmenées vers le Sud. Ce vent a recouvert une large zone qui sera, plus tard, l’Ukraine. Cela devient des terrains très fertiles, argileux et de couleur noire appelés des tchernoziom*, et permettant de l’agriculture comme le tournesol », explique Pierre Carrega.

En hiver, les sols sont gelés, mais lorsqu’il pleut ou que la neige fond sur ces tchernozioms*, ils deviennent des terrains très boueux à cause de l’argile qui y est contenu. Et l’on ne peut pas avancer sur ce type de terrain : c’est cela la « raspoutitsa ». « C’est ce qui est arrivé à Napoléon en 1812, durant la campagne de Russie : de très fortes pluies avaient rendu le terrain totalement impraticable », précise le climatologue.

Ce dégel commence d’abord au Sud et se propage vers le Nord. Mais il explique qu’« il y a actuellement une vague de froid ». Il se peut donc que le dégel n’ait pas encore été amorcé, « le phénomène se produisant en général fin mars-début avril ». Une fois la phase de dégel amorcée, celle-ci dure environ un mois.

Quant à la question de savoir si la raspoutitsa sera d’une grande ampleur cette année, Pierre Carrega ne préfère pas s’avancer, car « il est très difficile de faire des prévisions météorologiques à plus de 10 jours avec fiabilité », conclut-il.

Alors, comme certains commentateurs le font, peut-on montrer du doigt la raspoutitsa comme responsable de la lente progression des troupes russes en Ukraine ? Les Russes se retrouveront-ils embourbés comme ce fut le cas lors de la contre offensive contre l’Allemagne en 1943-44 ?

« Difficile à dire », répond Jean Bergamasco, professeur d’histoire au collège Antoine Risso : « Il est peu probable que Vladimir Poutine ignore ce phénomène ». De plus, « les infrastructures ont évolué, les voies de communications sont structurées en Ukraine, et permettent d’éviter d’emprunter les chemins boueux ». De même, les techniques de guerre ont changé et les missiles, par exemple, ne sont pas soumis à ce phénomène.

La raspoutitsa, alliée militaire dans le passé

La donne n’était pas la même au XIIIème siècle, où l’on trouve les premières mentions d’échecs militaires liés à ces sols boueux, « la première invasion des Mongols, qui viennent de Sibérie, est contrainte par la raspoutitsa, ils ne peuvent pas prendre la ville de Novgorod ». La raspoutitsa est une alliée militaire naturelle qui aura ainsi raison des troupes de Napoléon en 1812 : « Il a perdu 80 % de ses hommes à cause de l’embourbement des troupes lors de la retraite de Russie ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser, fait remarquer Jean Bergamasco, ce n’est pas l’hiver extrêmement rude qui fut l’ennemi principal, « car en hiver les sols sont gelés et on peut avancer, alors qu’au moment du dégel hommes et chevaux, ou tanks et véhicules, selon la période historique, s’embourbent ».

Dans le cas de Napoléon, comme dans celui d’Hitler quelques dizaines d’années plus tard, « ils sont partis trop tard dans la période ! », conclut le professeur d’histoire.

Jason Lyall, spécialiste de la violence politique dans les guerres civiles et enseignant à l’université de Dartmouth a écrit sur twitter : « Les quatre cavaliers de l’armée ukrainienne : le Javelin*, le Stinger*, la raspoutitsa et TikTok », c’est-à-dire, les lance-missiles, les missiles antiaériens, la boue et les réseaux-sociaux.

Seul l’avenir dira si, comme pour Napoléon ou Hitler, la raspoutitsa aura été l’un des ennemis de Vladimir Poutine.

Lexique :

Loess : roche meuble formée par l’accumulation de limons, très fins, déposés par le vent.

Moraine : débris de roche entraînés par un glacier et formant un grand amas.

Tchernoziom : sol très fertile, de couleur noire que l’on trouve en Russie méridionale et en Ukraine.

Javelin : lance-missiles antichars.

Stinger : missiles antiaériens.

M. V.

Cet article a été initialement publié sur la page du concours Chasseurs d’actu.


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