L’odyssée sensorielle
Dans la logique de ses « manifestes », le Muséum d’histoire naturelle invite à reprendre contact avec la nature en plein Paris en s’immergeant dans un univers d’images, de sons et d’odeurs issus des règnes animal et végétal.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
Dans la logique de ses « manifestes », le Muséum d’histoire naturelle invite à reprendre contact avec la nature en plein Paris en s’immergeant dans un univers d’images, de sons et d’odeurs issus des règnes animal et végétal.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique
Dispositif immersif, expérience synesthésique inédite… L’odyssée sensorielle, la nouvelle exposition ouverte depuis le 23 octobre à la Grande Galerie de l’Évolution, au Jardin des plantes, offre de revenir à l’essentiel de ce qui nous rattache à la biodiversité. Et pour que l’expérience soit totale et que rien ne vienne y faire écran, un panneau invite le visiteur à oublier ses réflexes dès l’entrée. À délaisser smartphones et appareils photo, et à n’attendre aucun des textes explicatifs tapissant habituellement les murs de ce type d’installation. Seule la dernière salle lui propose un « retour d’exploration » avec notices, croquis et maquettes lui permettant de répertorier ce que ses sens – vue, ouïe, odorat – ont capté et retenu.
Fait rare et parfaitement assumé, L’odyssée sensorielleabandonne le visiteur à lui-même. Il se trouve ainsi livré à sa capacité d’écoute et de compréhension de ses propres perceptions au cours d’un « voyage qui va [l’] emmener des tropiques vers le pôle, le plonger dans un univers d’images, de sons et d’odeurs », promet Bruno David, le président du Muséum national d’histoire naturelle. Fruit d’un « travail collectif [en partenariat avec le Sensory Odyssey Studio, NDR] qui a mobilisé un grand nombre de métiers et de disciplines au service d’une meilleure compréhension du vivant », L’odyssée sensorielle se propose de « transmettre les connaissances scientifiques autrement » afin d’engager « le visiteur dans une réflexion personnelle sur l’incroyable beauté mais aussi la fragilité de notre planète. »
Images grand format
Passé les premières recommandations, le visiteur, sans portable donc, bientôt spectateur d’images sans pareilles, a le sentiment stupéfiant d’être projeté ailleurs, coupé en un clin d’œil du dehors trépidant de la ville. Là, debout dans la première des huit salles du parcours et entouré d’un petit nombre de semblables (la visite s’effectue par groupe de quatorze personnes), il se retrouve comme plaqué à deux vastes écrans, happé par l’étendue profonde du spectacle qui s’offre. Ébahi, il a la délicieuse impression d’appartenir à l’immensité du lac Magadi (Kenya) où prospère une importante colonie de flamants roses, et d’être, du fait de leur taille réelle, dans le grand format de l’image, un parmi eux…
Le calme domine d’abord. Instant de contemplation. De ravissement. L’œil parcourt l’espace du double écran en tous sens, curieux des détails et des mouvements d’oiseaux qui ne tardent pas à venir. Des clapotements, des cris, un envol… Un intense sentiment d’équilibre, de douceur et de poésie saisit le spectateur quand, soudain, le paysage lacustre s’entrouvre par le milieu pour lui céder le passage et l’inviter à poursuivre son voyage.
Couverture « audiolfactive » spatialisée
Un nouvel environnement le plonge alors dans une demi-pénombre. Quelques rayons de lune, filtrant des branches d’un arbre, tachent le sol africain. La nuit, la savane. Un point d’eau. Des bruits, un grognement alentour. L’oreille est aux aguets. La diffusion multidirectionnelle des sons sollicite le visiteur de toutes parts, qui, un peu perdu, cherche des repères. De vraies odeurs fauves le renseignent, des cris étranges l’inquiètent. Un craquement venu du haut annonce quelque précipitation qui, bientôt, fait place au silence, au calme retrouvé de la nature. Dernières gouttes d’eau qui résonnent… Qui provoquent en nous des échos…
Chaque salle de l’exposition alerte nos sens, interroge ou ravive des souvenirs, rappelle combien nous sommes attachés à l’univers naturel qui nous entoure. Odeurs et lumières printanières des prairies. Bourdonnements d’insectes. Senteurs d’humus, de champignons, de sous-bois. Impressions d’automne et d’ailleurs. La tri-dimensionnalité des images, des odeurs et des sons est facteur de découverte d’une réalité méconnue ou ignorée. Le gigantisme et la qualité des images haute définition obligent à voir, à reconsidérer notre rapport d’échelle au vivant, aux minuscules insectes par exemple qui, filmés en macrophotographie, apparaissent soudain aux yeux du visiteur comme ses égaux. Belle leçon d’humilité et de partage. D’une taille respectable ou identique à lui, l’abeille ou la libellule acquièrent, de fait, plus d’importance…
Beauté fragile
Le dispositif de l’exposition se traduit également par une vue en coupe du sous-sol forestier (aveyronnais) projeté sur un écran panoramique – la vie souterraine devient ainsi visible et la notion d’écosystème compréhensible ; la projection à 360° de la descente depuis la canopée de la forêt guyanaise offre des points de vue inédits sur la luxuriance du monde végétal ; un trucage visuel, reproduisant les ondes des cris d’écholocalisation (ultrasons) des chauves-souris, permet de comprendre comment, dotées de ce sens non-humain, celles-ci se déplacent dans le noir sans nous heurter.
Avec ses images, toutes inédites et d’une qualité exceptionnelle, L’odyssée sensorielle suscite une rare émotion. Répondant à l’adage du Muséum, « Émerveiller pour instruire », elle souligne la beauté des mondes naturels, leur formidable richesse, mais également leur grande fragilité. En témoigne ce sac plastique flottant dans la même eau que les cachalots insoucieux ou ce morceau de banquise qui s’effondre soudain dans les flots et le silence impuissant du Grand Nord.
P. L.
L’exposition L’odyssée sensorielle se tient à la Grande Galerie de l’Évolution (Paris 5e) jusqu’au 4 juillet 2022. Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf les mardis et les 25 décembre, 1er janvier et 1er mai.