Enseignants : le mal-être en chiffres
Qu’on ne dise pas que les enseignants ne sont pas écoutés : le ministère met en ligne les articles, études, enquêtes, statistiques du dernier numéro de la revue Éducation & Formations qui se veut – circonstances obligent – « un hommage à tous ceux qui ont assuré un lien pédagogique avec leurs élèves pendant cette période sans précédent ».
En abordant aussi bien les conditions de vie familiale des enseignants, leurs origines sociales, leurs conditions d’exercice, la perte d’attractivité du professorat des écoles, la promotion des femmes au sein de la direction des établissements scolaires ou encore la construction de la reconnaissance, cette publication de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) joue la transparence sans prendre trop de risques, tant les conclusions des diverses études brossent un tableau sans surprise et sans scandale du métier d’enseignant.
Démocratisation du métier… ou déclassement social ?
Les enquêtes sociologiques nous rappellent que les enseignants ont des conditions de vie familiale et de logement assez favorables. Ainsi, la vie en couple avec enfants est plus fréquente dans les autres professions ; les conjoints des enseignants ont, plus que d’autres, des emplois stables, à temps plein et qualifiés ; les enseignants sont plus nombreux à accéder à la propriété et jouissent de logements plus spacieux que la moyenne des Français, même si leur revenu est inférieur à celui des diplômés de niveau équivalent. Rien, toutefois, sur disparité géographique, leur répartition sur le territoire, les effets économiques selon que l’on habite en zone rurale ou en milieu urbain, en province ou en Île-de-France.
Quant à l’origine sociale des enseignants, elle est nettement plus élevée que celle de l’ensemble des actifs français, puisqu’ils sont souvent issus des couches intermédiaires de la société. Un enseignant sur cinq a un père ou une mère dans l’enseignement et, plus couramment encore, des parents dans la fonction publique, tandis que les enfants de cadres du privé deviennent très rarement enseignants. Du reste, l’ouverture du métier aux jeunes des classes populaires est régulière, conforme à l’élévation générale de l’origine sociale de la population active. Cet accès social élargi s’accompagne d’une diminution du nombre d’enfants d’enseignants choisissant cette profession. Enfin, l’hétérogénéité sociale demeure : si les origines sociales des enseignants du premier et du second degré n’ont jamais été aussi proches, les professeurs en lycée professionnel restent d’origine plus populaire et, à l’inverse, les agrégés sont toujours issus de milieux plus favorisés que leurs collègues. Chacun appréciera ces évolutions à l’aune de ses convictions : démocratisation du métier en marche et à poursuivre… ou bien amorce de déclassement social.
« Reconnaissance pour autrui » versus « reconnaissance pour soi »
Au chapitre de la reconnaissance professionnelle, les enquêtes confirment un mécontentement récurrent. Ouvrons le tableau avec ce chiffre et cet écart éloquents : si 27 % des enseignants européens (plus d’un sur quatre) ont le sentiment d’être appréciés, seuls 7 % des enseignants français (moins d’un sur dix) partagent ce sentiment… À regarder les chiffres de plus près, s’agissant de la « reconnaissance pour autrui », c’est-à-dire produite à partir de jugements extérieurs, quels que soient les groupes retenus, elle n’est guère positive : seuls 55 % des élèves ont une bonne opinion de leurs professeurs, que confirment uniquement 36 % des parents. En lisant ces chiffres offrent un écho terrible à l’actualité récente. Les enseignants sont 92 % à se sentir mal aimés des politiques, presque autant se sentent peu appréciés de l’opinion publique en général, et ils sont près de 90 % à juger que les médias les traitent sans bienveillance. Mais, dira-t-on, on travaille pour soi et non pour l’image que nous renvoie le monde extérieur : y aurait-il donc plus de raisons d’espérer en se penchant sur la « reconnaissance professionnelle pour soi », c’est-à-dire le « sentiment de réussite ou d’accomplissement professionnel » ? La réponse est claire : plus de 30 % des enseignants éprouvent une efficacité insuffisante. Difficile mise au travail des élèves, manque de discipline, manque d’intérêt – ces réalités quotidiennes fondent la pénibilité du métier et contribuent à générer une impression d’échec.
Les enseignants se sentent-ils au moins soutenus ? Très peu par les parents (seulement 30 %), guère mieux par les corps d’inspection (moins de 50 %), mais à plus de 60 % par les chefs d’établissement et, surtout, à 88 % par leurs collègues, véritables soutiens et réconforts dans le métier. La défiance vis-à-vis de l’institution est renforcée par un sentiment de non-reconnaissance salariale (à 72 %) et, pire, par celui d’une progression de carrière insatisfaisante (à 89 %), même si ces chiffres varient selon les niveaux de qualification. Pointons une limite et un regret dans ce volet de l’enquête : rien sur l’estime de soi à travers la valeur que l’on accorde à sa formation, à son savoir disciplinaire ; rien sur l’idée d’utilité sociale, comme si la « reconnaissance professionnelle pour soi » ne se mesurait qu’à la réussite pédagogique et à la coopération interne…
Toutes ces informations et d’autres encore, telle l’enquête sur les nouveaux profils des candidats aux concours (augmentation sensible de l’âge des lauréats, diversité des parcours antérieurs – plus d’expériences professionnelles –, mobilité accrue au cours de la carrière, démissions exceptionnelles – 2 enseignants sur 1000), instillent gentiment l’idée d’une évolution nécessaire – et en douceur – du système éducatif, une évolution respectueuse des réalités du métier.
Ce numéro d’Éducation & Formations ne tombe-t-il pas à pic pour justifier le Grenelle de l’Éducation ?
Pascal Caglar
Pour retrouver l’intégralité du numéro:
https://www.education.gouv.fr/les-enseignants-panorama-carrieres-et-representations-du-metier-education-formations-ndeg-101-306501