La « jauge à 50 % » imposée dans les universités : un outil mal étalonné ?
Il est des périodes qui donnent une nouvelle jeunesse à certains mots. Celle que nous traversons depuis huit mois aura ainsi remis au goût du jour le « confinement » médiéval et la « distanciation » brechtienne. Vient aujourd’hui la « jauge », terme que nous réservons d’ordinaire justement… à notre réservoir.
Après la trêve estivale, où l’on a fait « comme si », la Covid s’est réinvitée en force à la table de la rentrée, imposant ses « clusters » dans les endroits les plus propices à l’abaissement de la garde, et notamment dans le monde étudiant. Les universités font donc naturellement les frais de la « jauge à 50 % » imposée par le ministère de l’Enseignement supérieur. Depuis le 6 octobre, dans les villes situées en zones d’alerte renforcée et maximale, les salles et amphithéâtres des facs, grandes écoles et instituts de formation ne peuvent être occupés qu’à 50 % de leur capacité d’accueil.
La force de l’arbitraire
Seulement la jauge ainsi fixée reste très difficile à évaluer selon que l’on considère le nombre d’inscrits à un T.D. (Travail dirigé), à un C.M. (Cours magistral), ou le nombre d’étudiants effectivement présents et assidus à ces cours. Elle suppose par ailleurs que les dimensions des salles affectées à ces cours soient bien proportionnelles au nombre d’étudiants censés y être accueillis.
Bref, cette mesure est venue imposer une norme arbitraire là où le simple bon sens aurait pu s’adapter aux situations particulières. Chaque professeur ne connaît-il pas les salles où il officie, leur contenance approximative ? N’aurait-il pas le discernement nécessaire pour estimer lui-même la possibilité d’une « distanciation sociale » en leur sein ? D’autre part, le public étudiant est volatil, plus ou moins assidu selon les enseignants, les cours, les horaires… Mathématiquement, un amphi bondé « jaugé » à 50 % restera toujours plus rempli qu’une salle pratiquement vide, même si ses effectifs étudiants sont au grand complet !
Une jauge à deux vitesses ?
Mais il est plus simple d’établir une jauge de 50 % dans les universités que dans les transports, lieux clos de transmission pourtant avérés, a fortiori aux heures de pointe, quand les usagés – étudiants ou pas – se concentrent dans des rames transformées en bétaillères, face contre face, masque humide contre masque humide…
Ainsi mis en perspective, l’arbitraire de la jauge universitaire manque un peu de crédibilité. En outre, si l’on excepte les cours bondés (situation plus rare à partir du mois d’octobre), le risque de la transmission virale se situe-t-il vraiment à l’intérieur de salles ou d’amphithéâtres, quand tout a été mis en œuvre pour assurer la distanciation sociale ?
Car, à l’intérieur des universités, les étudiants jouent largement la carte de la sécurité individuelle et collective. En revanche, le problème se pose surtout quand ils sortent des bâtiments, à l’heure où tombent les masques, quand la nécessité de restaurer le lien social devient trop forte. Comme l’a indiqué le ministre de l’Éducation nationale le 6 octobre, « le plus important, c’est ce qui se passe en dehors de l’établissement, et il se trouve que la vie étudiante a été plus contaminante ». Seulement, la « vie étudiante » étant par essence incontrôlable, le politique n’a plus que la ressource de contrôler ce qui peut encore l’être en gérant l’espace public intérieur de la façon la plus drastique possible.
L’effet de loupe de la Covid
On remarquera enfin que la « jauge à 50 % » exige des professeurs de faire cours à la fois « en présentiel » et « en distanciel » : s’est-on sérieusement interrogé sur les moyens de la mettre en œuvre ? A-t-on remis en cause la limitation des recrutements universitaires ? L’afflux d’étudiants, lié à la réussite exceptionnelle à la session du baccalauréat 2020, appelait sans doute des efforts supplémentaires en termes de créations de postes, ce qui aurait rendu plus envisageable une logique de dédoublement des cours. Celle-ci aurait été profitable, au premier chef, aux étudiants les moins armés méthodologiquement, à ceux qui ont réellement besoin de la présence réelle, et non virtuelle, d’un professeur.
La Covid aura finalement réussi à grossir à la loupe ce que toutes les revendications syndicales antérieures n’ont pas suffi à imposer comme une évidence partagée : pas assez de lits à l’hôpital, trop de promiscuité dans les transports en commun, pas assez de places dans les universités… La société hyper-concentrée à seule visée de rentabilité a fait long feu. Reste à souhaiter que, dans les semaines et mois à venir, la « jauge » ne soit pas uniquement restrictive, ne serait-ce que par souci d’anticipation des prochaines crises que le monde d’après ne manquera pas de scénariser.
Antony Soron,
INSPÉ Sorbonne Université