Rentrée masquée, rentrée bâillonnée ?
Le masque n’aura pas pris de vacances : tout l’été il aura fait l’actualité, non seulement des médias, mais aussi de la communication ministérielle.
Oubliés les résultats ahurissants du bac 2020, oubliées les saturations de Parcoursup, oubliées les vacances apprenantes, oublié le recrutement chaotique des enseignants, oubliées les impasses de la réforme du bac : le masque est devenu l’unique objet de l’attention scolaire, au point de se demander si rentrée masquée ne signifie pas rentrée bâillonnée…
Le coronavirus ne fait pas perdre la mémoire
Car il y a quelque chose d’insupportable à réduire la gestion de l’éducation à une gestion de la crise sanitaire, à occuper l’espace médiatique avec les gestes barrières et les cantines aseptisées, et, dans le même temps, à rendre inaudible la voix de ceux qui voudraient discuter de la formation professionnelle, de l’accès au métier, des conditions de travail, des salaires, des mutations, de discipline, de programmes, d’examens, de mérite… Le coronavirus fait peut-être perdre l’odorat et le goût, mais il ne fait pas perdre la mémoire, et les luttes de l’hiver dernier sont toujours présentes : réforme des retraites, nouvelles modalités de recrutement, nouveau bac et contrôle continu.
Happycratie
Si une grande concertation est prévue à l’automne prochain sur « le professeur du XXIe siècle » et si ce « Grenelle de l’éducation » annonce déjà une « transformation profonde du système éducatif », les enseignants peuvent craindre de n’être entendus que comme faire-valoir de réformes qui alourdiront leur charge de travail et disqualifieront leurs savoir-faire disciplinaires au nom d’une modernisation de l’école. L’usage pédagogique intensif du numérique est d’ores et déjà brandi comme le progrès suprême et la panacée à tous les maux de notre système, intuition dont on aimerait faire porter le désir au professeur qui, lors du confinement, en aurait eu la révélation en découvrant avec bonheur les bienfaits du Web.
De fait, le ministre parle du « bien-être au travail », de « maîtres heureux » pour « des élèves heureux ». Loin de réjouir, ces mots font frémir. Qui a lu Happycratie, l’essai de la sociologue Eva Illouz (avec Edgar Cabanas, éditions Premier Parallèle, 2018), sait combien ces artisans du bien-être, ces architectes étatiques de notre bonheur nous préparent des jours de frustration et de bâillon, des jours de culpabilité et de solitude où quiconque ne se sentirait pas heureux dans un environnement de travail fait tout spécialement pour lui n’aurait à s’en prendre qu’à lui-même.
Mai les profs parlent-ils ? Si, aujourd’hui, toutes les professions de la parole sont exemptées de port du masque – comédiens, journalistes, avocats, orateurs –, les enseignants seuls, gens sans doute à la parole mineure, porteront demain et les semaines à venir le masque en cours, quels que soient les niveaux, de 8 à 17 heures, étant bien entendu que leur métier est moins de manier la langue que des outils numériques, moins de transmettre un savoir que d’animer des activités élaborées par d’autres…
Pascal Caglar
Ce ne sera, en effet, pas facile d’enseigner derrière un masque, notamment en langues vivantes ou étrangères. Essayons de rester optimistes malgré tout, pour nos élèves …