E3C : les raisons du désordre
À quoi bon focaliser le débat sur le nombre d’établissements perturbés lors des journées d’épreuves de contrôle continu : 15 % selon le ministère, 30 % selon les syndicats ? Est-ce vraiment le problème, quand c’est 100 % des enseignants de Première qui ont vu avec ces E3C leur travail perturbé, leur progression rendue caduque, leur préparation vidée de sens, leur enseignement foulé aux pieds ?
Ce ne sont pas en effet les violences, incidents, reports ou difficultés d’organisation ponctuelles et locales qu’il faut discuter et pointer du doigt, mais bien l’impréparation générale, la dislocation nationale de l’examen du baccalauréat qui s’observe partout depuis que la première cession d’épreuves communes de contrôle continu a été lancée dans tous les lycées.
De cette première, qui pour un coup d’essai n’est pas un coup de maître, ce ne sont donc pas les désordres autour des épreuves qu’il faut retenir mais bien le désordre des épreuves elles-mêmes, désordre introduit dans l’organisation pédagogique d’une année scolaire, dans l’équité d’un examen national, dans la préparation rationnelle d’une épreuve du bac.
Ce désordre structurel est bien le fait du ministère et de sa réforme, et traduit plus que du mépris vis à vis du corps enseignant, il traduit, chose plus grave, une méconnaissance de ce qu’est le travail du professeur, ce que c’est que faire un cours, traiter un objet d’étude, étudier un chapitre du programme, faire des exercices, des devoirs, des corrections, comme si le contrôle continu pouvait s’incruster dans ce tissu d’actions pédagogiques sans blesser ou froisser les muscles sollicités.
Mais qui écoute-t-on vraiment au ministère ? Pour introduire ce contrôle continu qui, sur le fond, est une idée intéressante et appelée par certains, a-t-on écouté, sollicité, mis à contribution ceux qui sont sur le terrain : enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs pédagogiques, inspecteurs généraux ?
C’est bien cette méconnaissance du métier par ceux qui ont mission de le diriger qui provoque la colère de ceux qui quotidiennement font face aux élèves, ont à cœur de les rassurer, de les accompagner, de les pousser dans les études, de leur donner confiance en eux-mêmes et dans le système.
Oui le contrôle continu existe dans la plupart des pays européens dans des proportions très variables, et la France, sa population comme ses enseignants, n’est pas opposée à son introduction partielle dans l’évaluation terminale. Ainsi la lutte actuelle n’est pas celle de l’immobilisme contre la réforme, celle d’un corps enseignant timoré et conservateur contre un ministère audacieux et progressiste : elle est celle de réformistes consciencieux et éclairés contre des réformistes aveugles et déconnectés.
Parce que le contrôle continu est une belle innovation, elle mérite que l’on se batte pour en faire une réforme réussie.
Pascal Caglar
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Juste et précis, comme d’habitude. Il est dommage que les lecteurs du Monde ne puissent pas lire cet article, eux (ou elles) qui en sont encore à vitupérer contre les professeurs et leurs vacances.