« L’Estrange Malaventure de Mirella », de Flore Vesco, prix Vendredi 2019
Joyeusement transgressif, le roman de Flore Vesco, L’Estrange Malaventure de Mirella, est une réussite absolue qui repousse encore un peu la frontière entre littérature jeunesse et littérature tout court. La quatrième de couverture prévient le lecteur : il s’agit de l’histoire des rats de Hameln, une histoire que l’on croit connaître mais que les frères Grimm ou Mérimée se sont contentés de rapporter telle qu’elle avait été colportée, c’est-à-dire mal !
La véritable héroïne de cette histoire est la jeune orpheline Mirella enrôlée dans les rangs des porteurs d’eau par le bourgmestre de Hameln. Son quotidien n’est pas drôle : toute la journée elle se doit de porter l’eau de la Wieser à qui lui en demande et, quand vient le soir, elle dîne d’un brouet insipide et dort sur une paillasse avec ses compagnons d’infortune, des garçons, des orphelins dont la concupiscence l’oblige à sans cesse se tenir sur ses gardes.
Ce thème du harcèlement, traité de façon délicate mais sans concession, peut surprendre dans un roman pour la jeunesse, c’est simplement pour l’héroïne une infortune de plus qu’elle choisit de surmonter avec l’optimisme foncier qui est la marque de son caractère.
Quand la peste se déclare dans l’enceinte de la ville, les habitants se calfeutrent chez eux et le bourgmestre s’avère le pire des opportunistes, faisant doublement travailler les porteurs d’eau pour donner à croire qu’il fait quelque chose.
La jeune héroïne, qui s’imaginait au plus bas de l’échelle sociale, découvrira qu’il y a, dans cette société médiévale des plus rustres, encore plus mal loti qu’elle, les lépreux par exemple. Si le malheur affaiblit les bien-pensants et les possédants il n’a guère de prise sur Mirella qui se découvre, lors de cette épidémie, pleine de ressources. Elle possède le don de chanter et transmet la joie de la musique à ces parias que sont les lépreux, elle se rend compte qu’elle seule est capable de voir la Peste – un jeune homme séduisant par ailleurs – qui conduit ses légions de rats à travers l’Allemagne.
Et si un joueur de flûte fait bien son apparition dans l’enceinte de la ville malade, ce n’est pas vraiment lui qui mène le bal. Notre héroïne un brin sorcière se fait le chantre de la vie et de la liberté contre la mort et la ladrerie des bourgeois de Hameln.
Ce roman truffé de paradoxes est un régal de lecture, Flore Vesco parvient à aborder des thèmes graves, comme la mort, la maladie, le harcèlement sexuel, tout en maintenant son récit dans une tonalité optimiste. Le choix de confier la narration à une héroïne qui parle un ancien français de la plus haute fantaisie n’y est pas pour rien : un peu comme l’avait fait Robert Merle dans Fortune de France, Flore Vesco dote sa narratrice d’un parler truculent teinté de langue médiévale, les trouvailles linguistiques sont légion, l’allitération et l’assonance sont reines pour le plus grand plaisir du lecteur qui n’est pas seulement pris dans le fil d’une intrigue serrée mais aussi dans un tourbillon d’inventions langagières des plus réjouissants.
L’Estrange Malaventure de Mirella est donc un récit jubilatoire, qui, allègrement, actualise une histoire connue de tous : c’est toutefois à notre monde que l’histoire de Mirella renvoit, notre monde gangréné par la course au profit et les maltraitances infligées à la nature, les injustices et injures faites aux femmes, la relégation des anciens et des malades. L’apparente désinvolture de l’écriture met au jour une série d’avertissements on ne peut plus clairs : le monde est malade, il lui faut une féminité assumée et une part de magie salvatrice.
Stéphane Labbe
• Flore Vesco, « L’Estrange Malaventure de Mirella », « Médium », l’école des loisirs, 2019.
• Ce roman a reçu le Prix Vendredi 2019, premier prix national de littérature ado créé en 2017.
• Commander « L’Estrange Malaventure de Mirella », de Flore Vesco au format numérique (2, 99 €).
La collection s’adresse aux enfants-adolescents de douze ans et plus, je crois que le livre vise parfaitement ce public, il demande juste de son jeune lecteur de bons acquis lexicaux!
Vous le conseillez a partir de quel âge. ?
Merci a l’ École des lettres..