De plus en plus d’élèves par classe, est-ce l’avenir du collège et du lycée ?

Les temps des vaches maigres ont ceci de singulier qu’elles conduisent le plus grand nombre à entériner les annonces ministérielles sans vraiment s’y opposer.
Ainsi en va-t-il de la réduction drastique du nombre de poste d’enseignants promise par le ministre de l’Éducation nationale.

Diviser et multiplier « en même temps »

Le dédoublement des classes de CP et CE1 situées en zone prioritaire constitue une mesure « phare » du projet Blanquer. Moins d’élèves, plus d’individualisation : la pédagogie différenciée a ici effectivement plus de chance de pouvoir s’épanouir. Il est entendu évidemment que la qualité des apprentissages menés ne dépend pas exclusivement du nombre d’élèves. Toutefois, le nombre « trente » pèse comme une couvercle dans la conscience d’un enseignant, qu’il soit du premier ou du second degré.
En effet, il existe un seuil qui rend nécessairement l’exigence du travail collaboratif plus difficile à satisfaire. D’aucuns s’étonnent ainsi que l’enseignement en lycée soit trop transmissif, frontal voire magistral. Mais encore faudrait-il aborder ce problème pédagogique sous un angle pragmatique. De nos jours, une classe de seconde ou de première scientifique dépasse largement le seuil des « trente ». Comment dès lors, travailler au cas par cas ; comment accorder à chaque élève l’attention qu’il mérite ?

Le collège : lieu de tous les dangers du surnombre

La réforme des cycles, avec notamment l’intégration de la classe de sixième dans le cycle 3, n’a pas résolu la problématique majeure posée aux professeurs de collège confrontés à des publics foncièrement hétérogènes.
Dans le même temps, les progrès en matière de recherche, en neurosciences notamment, invitent les pédagogues à se saisir de tous les outils pour comprendre spécifiquement chaque élève afin de cibler les compétences qu’il est en mesure de lui faire améliorer. Dans ce contexte, le bon sens voudrait d’une part que le nombre d’élèves par classe baisse sensiblement et que d’autre part la formation des professeurs soit renforcée. Or,  c’est bien la dynamique inverse que tendent à enclencher les annonces toutes fraîches du ministère.
En effet, baisser le nombre de professeurs revient nécessairement à augmenter le nombre d’élèves par classe ou, tout au moins, à ne pas prendre en compte l’impérieuse nécessité de le voir diminuer. L’amertume de nombre de professeurs et la réticence à vouloir s’emparer de nouvelles modalités d’enseignement tiennent peut-être aussi à cela, à ce constat que l’on peut faire à chaque appel de classe : à plus de trente élèves, il est difficile d’être au plus près des élèves ; difficile de ne pas en laisser, à son corps défendant, deux ou trois de côté.
L’art de la pédagogie ne relève pas d’une fonction magique. On peut prôner les méthodes les plus innovantes, vanter tous les jours les vertus de la différenciation, il n’en reste pas moins qu’un effectif raisonnable d’élèves reste la condition sine qua non pour une optimisation de son action pédagogique.

Les collèges « indifférenciés » sont les plus exposés

Il faut bien entendre qu’une classe à quinze élèves dans un collège classé REP demeure une obligation pour assurer un enseignement normal. Néanmoins, il est tout aussi essentiel d’entendre que non loin de là, dans un collège non « étiqueté », les problèmes potentiels ne sont pas finalement si lointains : gestion de classe, hétérogénéité. Or, les effectifs ne sont certainement pas les mêmes.
L’annonce ministérielle ne semble donc pas aller dans le bon sens dans la mesure où elle avalise l’idée que la prise en compte du volume d’une classe est quantité négligeable. Dans le cadre de la formation des néo-professeurs, cette donnée demeure pourtant cruciale. Comment un novice ne pourrait-il pas avoir quelques résistances par rapport aux séduisantes formules pédagogiques qu’on lui présente alors qu’il doit faire face à un groupe classe nombreux qui plus est parfois à des horaires « impossibles » ?
Le ministre de l’Éducation nationale, dans son discours de rentrée, s’est montré enthousiaste à l’idée d’avoir « mis le paquet » sur le premier degré. Cependant, il donne passablement l’impression de reprendre d’une main ce qu’il a tendu de l’autre. Cette manière macronienne de jongler avec le « en même temps » semble faire fi d’une réalité cruelle du système scolaire français.
Beaucoup d’élèves s’écroulent au collège parce qu’ils y sont noyés. Ces élèves-là ne sont pas les plus visibles. Ils ne font pas parler d’eux ; profitant en somme du surnombre pour s’éclipser du champ de vision du professeur. Il s’agit simplement d’élèves dits « moyens » mais pour lesquels l’estime de soi est encore incertaine. Mais quid de l’individualisation quand on est face à plus de trente élèves. Imagine-t-on sérieusement la « pédagogie Montessori » face à autant d’individualités ? Imagine-t-on un professeur pouvoir suivre le rythme d’apprentissage de chacun sans un effectif réduit ?

Le recours aux vacataires : une solution de facilité

Passons rapidement sur la possibilité d’un recours aux heures supplémentaires et leur défiscalisation. Il est évident que de nombreux professeurs y trouveront leur compte en sachant à quel point ils sont « prolétarisés » par rapport à certains de leurs collègues européens. Retenons davantage un phénomène de plus en plus commun et expansif au sein de l’Éducation nationale : le recours à des vacataires.
Il ne s’agit certes pas  de blâmer ce type de personnel qui permet d’éviter si souvent  les « cours sans profs ». Néanmoins, cette situation pose et posera de plus en plus un problème. En effet, la baisse du nombre d’enseignants, notamment du second degré, va nécessairement impliquer un recrutement de plus en plus important de vacataires pour compenser les pertes. Cette tendance risque d’ailleurs fort d’être amplifiée par la baisse probable des postes aux concours du CAPES.
Moins de lauréats promis à une formation, moins de titulaires et plus de vacataires sous-formés, l’équation reste aussi simple qu’inquiétante. Car, à terme, il ne faudrait pas que l’unique intention du ministère soit d’occuper les élèves : ce que beaucoup d’éducateurs seraient susceptibles de faire. À l’inverse, enseigner revenant à faire entrer les élèves dans des apprentissages adaptés à leur profil, il n’est possible d’assurer cette noble mission qu’à trois conditions : avoir la vocation (certes), être formé (assurément) et bénéficier d’une classe de taille raisonnable.
On conviendra – a minima – que tout n’est pas mis en œuvre, malgré les effets d’annonce, pour en arriver à une telle situation vertueuse.

Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université

Antony Soron
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Un commentaire

  1. On ne peut qu’être d’accord avec vous quant à la surcharge de travail qu’entraînent les surcharges d’effectifs. Quant à « la réticence à vouloir s’emparer de nouvelles modalités d’enseignement », je crois qu’elle tient avant tout aux dites modalités (classe en îlots, inversées et autres…) qui n’ont pour fonction que de contourner le délicat problème que pose aujourd’hui le manque d’attention d’une partie de nos élèves.
    Je suis persuadé que c’est à l’école que s’apprennent les vertus de l’attention et que les méthodes frontales et magistrales stigmatisées ont précisément pour fonction de ramener l’élève vers cet acte majeur d’autonomie qu’est la réflexion personnelle engagée dans un silence que les modalités dites nouvelles tendent malheureusement à évincer.

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