Interdire les portables en classe : une injonction ministérielle inutile?
Le ministre de l’Éducation nationale déploie depuis plusieurs semaines sa vision de la refondation de la « refondation de l’école » initiée par son prédécesseur. Devoirs, redoublements, dictées, en passant par un éloge de la chorale comme élément fédérateur de la communauté scolaire, Jean-Michel Blanquer s’applique à poser les jalons de cette aussi fameuse que virtuelle école d’avant dont on ne peut cependant nier la force symbolique dans l’imaginaire hexagonal.
Sa politique de fermeté vis-à-vis des téléphones portables ne dépareille pas avec les enjeux globaux de l’ensemble de ses déclarations habilement distillées par voie de presse. Pour autant, les enjeux pragmatiques d’une interdiction du portable en classe n’ont-ils qu’une simple portée symbolique ?
Un portable à l’école, pour quoi faire ?
Le portable constitue pour les parents d’élèves un relai rassurant. D’aucuns seraient même particulièrement marris si ce moyen de liaison avec leurs enfants était proscrit de l’espace scolaire. Néanmoins, la position du ministre avalise l’idée que le portable a pour l’essentiel des effets de nuisance d’abord au sein de l’établissement, ensuite au sein de la classe.
Un portable de valeur est d’évidence un objet désirable qui peut servir d’appât pour les racketteurs. En outre, un portable cassé au collège ou au lycée par un camarade sert souvent d’élément à charge du point de vue parental contre les failles présumées de l’autorité éducative.
Sur le plan pédagogique, le portable peut toutefois avoir un intérêt. C’est notamment le cas, pour ce qui concerne les classes UPE2A, où la fonction « traduction » a tout lieu d’être utilisée à bon escient par les élèves alors que la séance ne se déroule pas en salle informatique.
Les fonctions perturbatrices du portable
On conviendra que l’intérêt pédagogique de l’objet incriminé par le ministre reste bien maigre face à l’ensemble des problèmes qu’il est susceptible d’engendrer : à commencer par un phénomène de dépendance dont on mesure chaque jour les conséquences dans le monde des adultes.
Cependant, c’est en tant qu’outil d’enregistrement que la fonction du portable en classe justifie d’être questionnée. En effet, il est désormais acquis que nombre d’élèves de lycée, de collège, voire d’école élémentaire utilisent leur téléphone pour enregistrer, photographier voire filmer une séance pédagogique avec comme coupable intention finale de relayer le spectacle sur les réseaux sociaux. On imagine bien les travers d’une telle pratique si elle continuait de se développer. Pourquoi ne pas concevoir un jour un hashtag « Balance ton prof ! » ?
Or, on se souvient qu’il y a quelques années de cela, l’idée de filmer les cours pour s’assurer de leur bon fonctionnement avait été émise avec la naturelle stupéfaction induite. Filmer un cours allait alors dans le sens d’un principe de surveillance. Principe éminemment discutable pour ses détracteurs.
La différence qui s’impose aujourd’hui avec ce film potentiel de la classe d’alors, c’est que leurs « réalisateurs » actuels – même si tous ne pensent pas forcément à mal – ont comme intention première de faire du buzz autour de leur exploit documentaire. Saisir sur le vif une parole de travers, un comportement excessif voire une attitude grotesque est donc en train de devenir un jeu fort pratiqué et à bien y réfléchir passablement dangereux.
Un instrument potentiellement à charge
Sans aller jusqu’aux réseaux sociaux, l’enregistrement impromptu à l’insu du professeur peut devenir un jour un élément à charge, a fortiori dans le cas où des parents voudraient en découdre avec lui. Or, l’on sait bien que la figure du professeur est aujourd’hui remise en question. Individu de premier plan, pilier de la République en voie de consolidation, l’enseignant bénéficie d’une bien moindre considération au sein de la population française. Considération d’autant plus en berne, qu’il ne se passe pas un jour sans que l’efficacité de la scolarité française ne soit remise en cause : on en a un exemple très récent concernant les capacités de lecture des élèves (voir sur ce site l’article de Pascal Caglar : L’enquête PIRLS ou comment gouverner avec l’opinion).
Il est par conséquent essentiel de ne pas laisser les possibilités technologiques amplifier ce phénomène de déclassement. À ce titre, il convient de préciser que bon nombre de chefs d’établissement n’ont pas attendu l’interdit officiel du ministre pour prendre des mesures à l’encontre des usages inconsidérés du portable en classe.
Pour autant, l’interdiction, même formalisée, n’a-t-elle pas toutes les chances d’être contournée ? Les possibilités offertes par les montres connectées supposeraient ainsi qu’elles soient tout autant proscrites…
Revenir à une éducation citoyenne
Le plus urgent, au fond, reste l’éducation citoyenne des élèves avec un nécessaire questionnement, au cours des séances d’ÉMC sur les droits et les devoirs d’un individu. Filmer un professeur dans l’exercice de sa fonction relève-t-il d’un droit ? Diffuser des images non autorisées sur la Toile ne relève-t-il pas d’une atteinte à l’intégrité d’une personne morale ? Pire, cette pratique ne risque-t-elle pas de produire des effets dévastateurs ; effets qui répondraient pour l’essentiel à une logique inquisitrice ?
La classe doit rester la classe. Elle n’a pas à devenir un simulacre de « télé-réalité ». Il s’agit ainsi de tenir une position de principe ferme contre l’utilisation abusive d’un outil de communication censé relier les hommes et non les jeter en pâture au voyeurisme du temps.
Antony Soron, ÉSPÉ Paris