L'éducation, enjeu des élections : vers une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes ?
Le programme du vainqueur de la primaire de la droite qui postule de façon lapidaire que « l’enseignement doit prioritairement viser à transmettre les savoirs fondamentaux » et « promouvoir les valeurs d’excellence et de mérite, à contre-courant de l’égalitarisme voulu par la gauche » amène les acteurs et usagers de l’Éducation nationale à s’interroger sur ses options pédagogiques sous-jacentes et sur la forme des débats qu’il suscitera.
Dans une société à la recherche de repères, les vieilles recettes peuvent malheureusement retrouver un certain crédit et il est fort probable que la prochaine élection présidentielle mettra de nouveau sur le devant de la scène des thèmes et stéréotypes bien connus.
On le sait, la réflexion sur l’éducation se cristallise en France dans des querelles autour de mots à forte charge symbolique. Il est rituel, par exemple, de débattre du fatal redoublement plutôt que du simple doublement, de la note, sanction à fonction hiérarchisante, plutôt que de la plus neutre évaluation, ou encore des pesants devoirs plutôt que du banal travail personnel.
Avant que les joutes politiques n’investissent l’espace médiatique, il apparaît opportun de relativiser la tension sémantique entre ces termes et de considérer plutôt leur réalité dans la scolarité de l’élève.
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Trois sujets qui fâchent :
les devoirs, le redoublement, la notation
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Les devoirs
« Ma fille a trop de devoirs. » « Votre fils n’a pas fait ses devoirs. » Ces phrases sempiternellement prononcées par les parents ou les professeurs sont bien connues. Et de fait, comme sur tous les sujets éducatifs sur lesquels chacun a un avis, on n’observe que très rarement des positions mesurées. Les uns ont appelé à abolir les « devoirs » – terme connoté péjorativement – au nom d’un objectif égalitaire, tandis que les autres, rivés à leurs principes, ont continué à en donner en quantité.
Il est important de refuser tout point de vue manichéen et de trouver un juste milieu – car le « zéro devoir » reste un vœu très discutable dès le cycle 2. Pour prendre l’exemple de l’apprentissage de la littérature au collège, comment imaginer que l’élève n’ait jamais rien à lire chez lui, et qu’il puisse ainsi dire à ses parents, comme on l’entend trop souvent : « De toute façon, en français, il n’y a jamais de devoirs. » Est-il légitime de s’offusquer que l’on donne à apprendre rituellement, d’une séance à l’autre, pour suivre les prescriptions de Daniel Pennac dans Chagrin d’école, un vers ou une phrase (« celui ou celle que tu as préféré(e) dans le texte étudié en classe ») ou que l’on demande régulièrement de trouver la définition du mot « qui t’a le plus frappé » dans le texte étudié en classe ?
La problématique des devoirs, même rapidement posée, justifie de privilégier le rituel plutôt que la quantité et d’écarter la démagogie de leur abolition pure et simple. « Donner des devoirs » n’est plus alors assimilable à un pensum.
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Le redoublement
Partons d’un problème de préfixe qui en dit long sur la constante macabre de la terminologie éducative en usage. Pourquoi dit-on redoubler (doubler deux fois) et non simplement doubler ? Question en réalité pas si anecdotique car l’expression a pour effet de dramatiser la situation de stagnation de la scolarité d’un élève.
Les avis sur la question du « redoublement » sont bien évidemment tout aussi partagés que sur les devoirs mais en même temps, les deux positions affichent leur limite. Que penser de la situation d’un élève « doublant » qui referait son année de la même façon que la précédente et sans dispositif spécifique ? Et, à l’inverse, que penser de la situation d’un élève passant mécaniquement d’une classe à l’autre sans bénéficier, là encore, d’un dispositif d’accompagnement ?
Il faut ici, sans doute, prendre position sous un autre angle et très pragmatiquement : le refus du redoublement ne doit pas répondre à une logique de « moindre dépense » et si le « passage » devient la règle, il n’a aucune raison d’être sans un dispositif d’individualisation spécifique – déjà mis en place dans de nombreux établissements et impliquant des moyens humains complémentaires. L’investissement économique engagé pour l’avenir des élèves se trouve ici clairement au cœur du débat.
L’accompagnement des élèves les plus en difficulté, le travail autour de l’estime de soi ne doivent en aucun cas être remis en question par simple souci d’économie. Être pour ou contre le doublement – et non le redoublement – ne répond pas réellement au problème posé à un élève en difficulté scolaire. La question de fond reste ce que fait l’institution scolaire en lien avec ses parents pour l’aider à revenir sur les rails.
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La notation
Les Anciens disent « noter » tandis que les Modernes préfèrent « évaluer ». La France traditionnelle se targue même de ce privilège sur bien d’autres pays européens. Noter c’est trancher ; noter c’est classer ; noter c’est hiérarchiser alors qu’évaluer, cela peut apparaître comme trop délicat, trop politiquement correct, pas assez rigoureux ou définitif.
Sur le fond, comme pour les casus belli précédents, le débat sur le chiffre ou la lettre ne peut que renforcer la nécessité d’opter pour une approche moins radicale des sujets éducatifs. En effet, le problème se situe moins au niveau du choix que de l’accompagnement de l’évaluation par une appréciation étayée. En clair, la pire situation demeure ces remises de copies que nous avons tous connues sinon vécues où la note en rouge tombe comme un couperet à peine assortie d’un commentaire laconique du type « Passable », « A.B. » ou, pis encore, « Ensemble fragile ».
Le débat sur le maintien ou la disparition de la note ne doit pas être envisagé simplement du point de vue de l’« aval » – c’est-à-dire de l’unité d’apprentissage qu’elle est censée valider – mais bien de l’« amont ». En effet, l’évaluation ne peut être fructueuse que si elle est pensée durant la phase de conception des apprentissages. Il s’agit là de la seule issue afin que la note ou la lettre mesure correctement l’acquisition des compétences et/ou connaissances qui ont été impliquées durant la période concernée. C’est en outre la seule solution raisonnable pour que la remise de la copie soit comprise comme un moment de formation et non une phase de sanction.
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Une nécessité :
désidéologiser le débat
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En clair, et par rapport aux trois mot-clefs mis en jeu succinctement dans notre propos, il est sans doute grand temps de désidéologiser le débat pour le rendre profitable à ceux qu’il concerne au premier chef : élèves, parents et professeurs.
La scolarité d’un élève ne doit pas être vécue comme un drame programmé et décliné au moyen d’un lexique « lourd comme un couvercle », pour paraphraser Baudelaire. On peut cependant craindre que les messages politiques de campagne destinés à rassurer et séduire des électeurs inquiets n’entretiennent cette affection démagogique pour des mots aussi clivant que dictée, note, redoublement ou devoir.
Dans la période qui s’annonce, les chercheurs, les formateurs et les enseignants devront plus que jamais résister à cette somme de leitmotive. Ils le devront d’autant plus, qu’en dépit des erreurs inévitables liées à toute refondation de l’école, beaucoup de choses ont évolué sur le plan éducatif ces dernières années, non sans provoquer de cruelles résistances.
Ainsi, dans le programme des candidats à la présidentielle, quid de la réforme du collège ?
Quid des ÉSPÉ ?
Quid des nouveaux aménagements d’horaires à l’école élémentaire ?
Et que dire des EPI ?
Aux grands mots et aux slogans qui fleuriront forcément, il conviendra de répliquer inlassablement en expliquant le sens des réformes entreprises : non pas qu’elles soient incontestables et définitives, mais simplement rendues nécessaires par les mutations socioculturelles en cours.
Antony Soron, ÉSPÉ Paris