Même pas peur ? – Bref récit d’un mouvement de panique

"Même pas peur" © CR / l'École des lettres, 2015
Place de la République, 15 novembre 2015

Paris, place de la République, dimanche 15 novembre, 18 h 36, où je suis depuis quatre minutes à peine avec un ami que j’ai entraîné ici. Un groupe chante en chœur « Même pas peur », puis la Marseillaise.
Il me semble soudain urgent de partir, mon visage blêmit, mon compagnon s’en aperçoit et attribue cette pâleur à mon habituelle horreur des foules. Il veut faire le tour de la statue. Je préfère rester à l’écart. Il part – deux minutes, dit-il.
18 h 37, je suis assise sur un banc. Huit policiers, peut-être davantage, se réunissent brusquement, ils ont l’air affolé. Mon regard oscille entre ce groupe inquiet et mon téléphone portable.

Puis la foule commence à courir à toute vitesse, des gens hurlent. D’autres pleurent. « Que se passe-t-il ? – Je n’en sais rien. – On a tiré. » Une question m’assaille : « Mais où est-il ? » Ne pas courir pour ne pas tomber, marcher vite et essayer de comprendre. Le mouvement de panique s’arrête un temps, certains ont eu le temps de s’engouffrer dans le hall de l’hôtel Crowne Plazza devant lequel je me tiens désormais. Ne surtout pas pénétrer dans le hall, rester à l’extérieur.
Je tends la tête vers la place presque vide et tente, fébrilement, de composer le numéro de mon compagnon. Je tombe sur sa messagerie. Le temps de penser qu’il est mort ou blessé quelque part, il m’appelle. 18 h 40. Il a bravé l’ordre des policiers qui lui avaient recommandé de courir du côté opposé où je me trouvais. Il est désormais derrière les voitures des journalistes. « Mais où ? Où ? Il y en a partout. »
Place de la République, novembre 2015 © CR / l'École des lettres
Place de la République, novembre 2015

Il me rejoint finalement en face de l’hôtel mais un autre mouvement de panique surgit comme une vague. Nous marchons à pas rapide avenue de la République. « Que se passe-t-il ? » Certains affirment avoir vu, senti ou entendu quelque chose, des tirs.
Nous nous engageons dans une rue adjacente. Là, sur la droite, un petit groupe attroupé devant une porte cochère ouverte. On parle de deux hommes armés puis de fausse alerte, puis à nouveau de deux hommes armés et ainsi de suite. Chacun y va de son information. BFMTV, l’Assemblée nationale – « Mon père y travaille », affirme une voix douce et rassurante –, un site d’info dont je ne retiens pas le nom, Facebook, France Inter, lemonde.fr
Les nouvelles défilent. Un ami me tient au courant par textos. 19 h 01 : «Les bars ferment ». 19 h 03 : « iTele dit que c’est une fausse alerte ». 19 h 04 : « La situation se calme ». 19 h 05 « La police et les pompiers : rien à signaler. » 19 h 08 : « Fausse alerte confirmée ».
Pétards, mauvaise plaisanterie, explosion d’une lampe à la terrasse d’un café, le cri d’une femme, une peur contagieuse… ? Je ne saurai sans doute jamais ce qui a provoqué ce mouvement de panique dans une foule qui, malgré le slogan « Même pas peur », tremblait. Nous étions tous tétanisés pendant ces quelques minutes, et les policiers aussi tremblaient avec nous.
Mais sans doute n’y a-t-il aucune honte à avoir peur ni aucune faiblesse à l’avouer.

S. Thakys

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Voir également : 

• L’école au front : accompagner les élèves et leur rencontre avec la guerre…, par Alexandre Lafon.

• Matin tragique. Les Lettres au cœur de l’enseignement moral et civique aux côtés de l’Histoire et des Sciences humaines, par Françoise Gomez.
• Reprendre le fil des apprentissages après le vendredi noir…, par Antony Soron.
• Les programmes éducatifs européens face aux défis du terrorisme, par Viviane Devriésère.
• L’éducation est une des pierres de l’édifice à ériger contre le fanatisme et la barbarie, par Sophie Vayssettes.
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On pourra se rapporter aux très nombreux articles consacrés sur ce site aux attentats contre « Charlie hebdo » : 
• L’éducation aux médias et à l’information à l’ordre du jour, par Daniel Salles.
• La morale républicaine à l’école : des principes à la réalité, par Antony Soron.
• L’humour, valeur nationale : mallette théorique pour interventions pédagogiques, par Anne-Marie Petitjean.
• Lire en hommage ? – Lire les images, par Frédéric Palierne.
• Cogito « Charlie » ergo sum, par Antony Soron.
Le temps des paradoxes, par Pascal Caglar.
Le bruit du silence, par Yves Stalloni.
• Trois remarques sur ce que peut faire le professeur de français, par Jean-Michel Zakhartchouk.
• Paris, dimanche 11 janvier 2015, 15 h 25, boulevard Voltaire, par Geoffroy Morel.
• « Fanatisme  » , article du  » Dictionnaire philosophique portatif » de Voltaire, 1764.
• Pouvoir politique et liberté d’expression : Spinoza à la rescousse, par Florian Villain.
Racisme et terrorisme. Points de repère et données historiques, par Tramor Quemeneur.
 La représentation figurée du prophète Muhammad, par Vanessa Van Renterghem .
En parler, par Yves Stalloni.
« Je suis Charlie » : mobilisation collégienne et citoyenne, par Antony Soron.
• Liberté d’expression, j’écris ton nom. Témoignages de professeurs stagiaires.
• Quel est l’impact de l’École dans l’éducation à la citoyenneté ? Témoignage.
L’éducation aux médias et à l’information plus que jamais nécessaire, par Daniel Salles.
Où est Charlie ? Au collège et au lycée, comment interroger l’actualité avec distance et raisonnement, par Alexandre Lafon.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers, par Anne-Marie-Petitjean.
Liberté de conscience, liberté d’expression : des outils pédagogiques pour réfléchir avec les élèves sur Éduscol.
 
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