Quand la nécessité fait loi… Vers la fin du collège unique ?

Comment contester l’échec du collège unique quand toutes les études sérieuses tirent les mêmes conclusions ? Pour les spécialistes de la question scolaire, le pari de la massification est allé de pair avec l’échec de l’exigence égalitaire, et ce malgré les efforts évidents de tous les professeurs qui ajoutent, dans la réalité de leur métier, à un horaire plancher de présence devant les élèves que l’on minimise, nombre d’heures de préparation, de correction, et de réunion…
Au risque de froisser les moins progressistes, il devenait urgent d’agir et de répondre à l’attente de la communauté éducative. C’est du moins ce qu’a annoncé la ministre de l’Éducation nationale le 14 mars en présentant la réforme du collège prévue pour la rentrée 2016.
Gageons que, pour la première fois depuis bien longtemps, le corps professoral sera moins enclin à résister à cette évolution, même si l’on peut s’interroger sur le principe d’une réforme à moyens constants.

 

Cohérence et cohésion : mots-clefs de voûte de la réforme promise

Refonte du socle commun, remise en question de l’idéologie de la note et du redoublement, c’est bien dans ce contexte d’une opinion professionnelle moins rétive à l’innovation pédagogique que le ministère de l’Éducation nationale s’aventure sur le champ de mines du cycle central du parcours scolaire.
Politiquement équilibré, le discours de Najat Vallaud-Belkacem reconnaît la continuité de son projet avec celui de ses prédécesseurs, tout en affichant une rupture notable en se montrant sans concession face à ce qui est ostensiblement désigné par elle comme le maillon faible de la chaîne éducative.
Les problèmes inhérents à la scolarité au collège sont connus depuis plusieurs décennies. Durant les quatre années de tous les dangers qui le structurent, trois catégories d’élèves tendent en effet schématiquement à se détacher. Les bons et très bons qui franchissent les étapes trop souvent sans grand intérêt, les élèves moyens qui désapprennent au moins autant qu’ils apprennent, confrontés qu’ils sont à des classes bruyantes et démotivées, et ceux que l’on dit pudiquement  » en difficulté « , tant sur le plan linguistique que culturel, promis au fatal décrochage scolaire.
L’intervention de la ministre a porté tout particulièrement sur ces derniers. Comment ne pas, en effet, s’interroger sur le trou d’air que le monolithisme du système éducatif leur impose dans la phase cruciale des apprentissages fondamentaux ? Il faut donc impérativement entrer dans une phase de correction des inégalités accentuées par un système en principe chargé de lutter contre les exclusions.
Le tableau n’est cependant pas  totalement noir : de nombreux établissements scolaires ont en effet adopté des démarches expérimentales innovantes. C’est d’ailleurs toute la subtilité de la perspective de réforme annoncée que de s’appuyer sur des actions engagées réellement et efficacement dans les établissements – que l’on pense par exemple à ceux placés en zone ÉCLAIR.
Formateur à l’ÉSPÉ de Paris, dont une grande partie de l’action de formation est consacrée à la visite-conseil des néo-professeurs de collège, nous ne pouvons qu’accréditer l’idée que quelque chose se passe déjà « entre les murs », que l’aide aux élèves en difficulté s’y décline selon des voies plurielles et fructueuses, que la logique d’exclusion systématique est loin d’être dominante, et enfin que l’interdisciplinarité n’est pas seulement un vœu pieux.
Néanmoins, et c’est tout l’implicite du projet ministériel, si l’universalisation des bonnes pratiques n’est pas requise sous peine d’uniformiser les projets d’établissement, il apparaît bien que l’esprit de la réforme annoncée du collège doit s’articuler autour de principes forts comme Maîtriser deux langues dès la classe de cinquième ou encore Développer des compétences numériques, ainsi que d’éléments concrets de mise en œuvre comme ce fameux « 20% de l’horaire enseignant consacré aux nouvelles modalités d’enseignement ».
 

Cohérence du parcours de l’élève / cohésion de l’équipe pédagogique

L’idée d’une différenciation des parcours se retrouve ainsi dans la volonté de réhabiliter les enseignements transversaux adoptant une démarche de projet. S’il reste fondé de préserver une part prépondérante de l’emploi du temps aux disciplines classiquement enseignées, il devient prioritaire d’accorder aux élèves des plages pour apprendre à la fois autrement et véritablement ensemble. À ce titre, il convient de préciser que cette préconisation n’est pas nouvelle puisqu’elle se retrouve au lycée dans les TPE. Néanmoins, par rapport à ce qui s’est déjà fait dans le cadre des réformes précédentes du collège, le nouvel élan de réforme apparaît sans doute plus mûr et plus déterminé car il s’appuie sur le constat que l’apprentissage devient quelquefois purement et simplement inopérant, tout particulièrement dans les cours d’après-midi où la saturation cognitive se fait plus criante et où le climat de classe devient fréquemment problématique.
En ce sens, renouveler le désir d’apprendre en s’accordant la possibilité d’un savoir-faire autrement ne peut être contesté en soi, et la génération des professeurs de lettres à venir que nous côtoyons au quotidien en est plus que consciente.
Cela dit, donner de la cohérence au parcours de l’élève en stabilisant le socle commun des connaissances tout en préparant son avenir pré-professionnel passe fondamentalement par une démarche collaborative, voire mutualisante. Le principe de décloisonnement disciplinaire est prôné depuis la création des IUFM, mais il s’apparente encore à un serpent de mer que les professeurs ont toutes les peines du monde à apprivoiser. Pour autant, chacun mesure combien l’un ne va pas sans l’autre : la littérature, par exemple, manque cruellement de présence pour les élèves lorsqu’elle est abordée hors de toute contextualisation historique et culturelle.
 

Le collège, lieu d’une remise en perspective du monde actuel

Par sa volonté de proposer des axes thématiques précis, le projet ministériel conforte l’idée que le collège doit être, plus que jamais, le lieu d’une remise en perspective du monde actuel. Le développement durable, la cohésion citoyenne, pour ne retenir que deux axes prioritaires, ne peuvent plus être perçus comme des enjeux extérieurs à l’enseignement. Le monde de demain – qui commence aujourd’hui, pour reprendre le titre du film de Bertrand Tavernier – n’a plus rien de commun avec le monde d’hier, dans la mesure où il est affecté par toute une série de dangers imminents : la tragédie écologique qui se prépare, le développement de l’obscurantisme religieux, l’addiction précoce aux objets multimédiatiques…
Quel que soit son domaine de spécialité, le professeur de collège a donc toutes les raisons de reconsidérer sa fonction. Il ne s’agit pas pour lui de craindre la disparition de sa matière, mais bien au contraire de se convaincre de son rayonnement à l’extérieur de son cours chez un élève à l’âge de tous les possibles – même les pires.
Le projet de réforme du collège intervient alors que la situation du pays est particulièrement difficile, aussi convient-il sans doute d’en dramatiser l’enjeu. En effet, si ces mesures ne tenaient pas leurs promesses et n’atteignaient pas leurs objectifs fondamentaux, nous serions probablement confrontés non pas à une énième crise éducative mais bien à un trou noir dont la société française aurait cette fois peu de chances de s’extraire.

Antony Soron, ÉSPÉ Paris

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•  Voir sur Éduscol la Communication relative aux grands axes de la réforme du collège présentée en conseil des ministres le 11 mars 2015 par Najat Vallaud-Belkacem.

Le Nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture a été  adopté le 12 mars 2015 par le Conseil supérieur de l’éducation. Le socle commun s’articule en cinq domaines de formation qui définissent les connaissances et les compétences qui doivent être acquises à l’issue de la scolarité obligatoire : les langages pour penser et communiquer ; les méthodes et outils pour apprendre ; la formation de la personne et du citoyen ; les systèmes naturels et les systèmes techniques ; les représentations du monde et l’activité.  »

Les nouveaux programmes, en cours d’élaboration par le CSP, entreront en vigueur avec le socle commun à la rentrée 2016. – Télécharger le texte.

• Voir le point de vue de Pascal Caglar : L’honnête homme du XXIe siècle ou le nouveau socle commun de connaissances de compétences et de culture.

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Antony Soron
Antony Soron

Un commentaire

  1. La nouvelle réforme de 2016 serait « la fin du collège unique »! Ayant analysé quelque peu ce qui est proposé, j’y vois surtout sa persistance pour le pire et non le meilleur. Tronc commun et parcours choisis différenciés : qu’y a-t-il de nouveau vraiment? On continue de s’attaquer à ce qui marche (classes bi-langues, européennes…) au nom de l’égalité ou plutôt de l’égalitarisme.
    Cette réforme qui ne s’attaque pas au fond du problème, soit des élèves qui arrivent en sixième sans maîtrise des fondamentaux et se perdent, est l’énième du »collège unique » et est conduite à l’échec.
    Professeur d’histoire – géographie collège- lycée : retraite récente de la Section internationale espagnole de Paris ( L-C H de Balzac)

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