Une nouvelle didactique de l'écriture imaginée par le groupe OZER

Émile Zola, par André Gill, « Les Hommes d’aujourd’hui », septembre 1878
Émile Zola, par André Gill, « Les Hommes d’aujourd’hui », septembre 1878

À la rentrée de septembre 2014, l’École des lettres publiait un avis, « Attention travaux », qui annonçait le feuilleton pédagogique du groupe OZER (Observatoire zolien des écritures réflexives) à paraître à partir de janvier 2015.
Olivier Lumbroso et Françoise Gomez, co-fondateurs du groupe, proposent aujourd’hui en préambule la réflexion qui nourrit ce travail en cours.
Comme en septembre, ils ont choisi en toute complicité d’écrire à quatre mains et à deux voix.

Projet d’écriture et écriture du projet à l’ère numérique 

par Olivier Lumbroso

Université Sorbonne nouvelle

 .

« Prends ton cahier de brouillon et écris. Écris, bon sang ! Cela viendra en écrivant… »

Quel enseignant n’a pas été surpris un jour par la copie d’un élève qui, entre le début et la fin d’une rédaction, oublie en route son héros, la couleur de sa cape, laisse croupir la belle dans le donjon, tue un dragon qui revient sans raison à la page suivante, passe du jour à la nuit comme du coq à l’âne, change de princesse à chaque péripétie ?
Alice et Superman rongent leur frein dans les oubliettes du récit de l’élève qu’on dit « tête en l’air » ! En réalité, quand il lui faut écrire en pensant à tout, on peut comprendre qu’on oublie parfois ces «détails » qui font un récit correct d’un bout à l’autre : inventer, organiser, écrire et corriger simultanément, sur le long terme, et dans le contexte de la classe qui impose ses créneaux horaires d’inspiration littéraire. Quel travail de mémoire, de concentration, de maîtrise de la langue !
Quel élève désabusé n’a pas un jour pensé que sa tête était farcie d’idées, mais qu’il ne trouvait pas les mots pour les dire ? Des cohortes ont reçu le même conseil sermonné avec une gravité qui pensait les aider à dépasser l’angoisse de la page blanche : « Prends ton cahier de brouillon et écris. Écris, bon sang ! Cela viendra en écrivant… » Car c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est bien connu.
Oui, parfois ça vient. Mais parfois, pas du tout. La page, ou l’écran, restent vierges. Se souvenir des lignes griffonnées pour assurer le suivi de la narration, mettre en mots les idées qui traversent l’esprit comme des fusées qui ne veulent pas se poser sur la feuille, ce sont des capacités qui se développent lentement, au cours des apprentissages, à l’école, au collège, ailleurs aussi.
Pour parvenir à une maîtrise satisfaisante de l’écriture, faut-il avoir beaucoup écrit ? Oui, beaucoup, souvent, et diversement. Mais selon quelles méthodes ? Avec quels outils, si nombreux de nos jours dans le contexte du tout-numérique galopant ? Le plus souvent, en classe, on écrit ce qu’on a à dire ligne après ligne, sur une feuille ou un cahier de brouillon, puis on corrige les fautes, on modifie parfois le texte entre les lignes et on rend son travail après une éventuelle réécriture.
Sur l’écran, on ne rature pas mais on efface, le mot, la phrase, la ligne, le paragraphe, en un clic de souris. On efface, on ajoute, on déplace, on remplace, comme dans un brouillon papier, avec encore plus de facilité ergonomique. Mais est-ce qu’écrire ainsi au fil de la plume (ou du clavier) n’est pas plus difficile qu’on ne le pense, lorsqu’on est un scripteur débutant ?
Le ligne à ligne et le brouillon scolaire : écrire pour réécrire
Approche pérenne, on a toujours écrit ligne-après-ligne, comme preuve du travail bien fait et d’une pensée qui va en se clarifiant. Même, depuis les années 1990, on encourage régulièrement à écrire dans la perspective de réécrire pour améliorer son texte, le rendre plus logique, plus fluide, plus correct, sur les plans du sens, de la portée, de l’expression verbale et de l’orthographe 1.
L’apport didactique de cette période réside dans l’idée que c’est en réécrivant qu’on apprend à écrire, aux antipodes des deux manières qui consistaient à croire qu’il faut apprendre à écrire avant d’écrire, grâce à l’imitation de modèles littéraires prestigieux jusque dans la seconde moitié du XXe siècle, ou qu’il faut apprendre à écrire après avoir écrit, après une plage d’expression orale libératrice, sorte de réaction, antilittéraire et contre-élitiste, à la mode dans les années 1970. C’est pourquoi le brouillon rédigé occupe encore, et à juste titre, une place privilégiée dans l’enseignement de l’écriture scolaire.
On peut sauter des lignes pour réécrire d’autres lignes entre les lignes. On fait des brouillons de lignes pour désembrouiller les idées. Ça marche bien : parfois, on rature, on biffe la rature et l’idée se précise, la cohérence et la pertinence « montent » strate après strate, et version après version. Le texte s’épaissit, se leste de significations plus riches qui satisfont l’élève et son professeur.
Mais parfois, hélas, ça ne marche pas du tout, et l’enfant vit la réécriture comme une « descente » vers un découragement qui le stérilise. Les recherches didactiques des années 1990 ont justement proposé des outils pour éviter cette noyade dans les signes brouillonnés.

La notion de « textualité »

Avec les apports venus du structuralisme et des concepts issus des sciences du langage, la notion de textualité était en effet devenue centrale : évaluer l’écrit supposait des « critères » généraux, tant pour le texte narratif que descriptif, argumentatif ou explicatif. Critères censés aider l’élève à écrire des discours. C’était une voie possible d’étayage, celle du modèle, de la typologie, de l’abstraction généralisante.
Dès l’école primaire, le « chantier d’écriture » – formule très employée durant cette période – s’inscrivait dans un dispositif qui aidait l’enfant à se représenter les moyens qui lui permettaient de réaliser la tâche demandée 2.
Son déroulement supposait des phases de réécriture au moyen d’un brouillon qui a pris dès lors une place importante, soutenues par des séances de langue et des activités parallèles. Les années 1980-1990 ont donc été marquées par une instrumentation didactique opératoire engageant les enseignants à se saisir des textes comme d’objets sémiotiques inscrits dans des déterminations poétiques et historiques.
Elles ont aussi engagé une réflexion constructive sur les questions d’évaluation et d’équité au cours du processus d’apprentissage, en plaçant au cœur de l’acquisition la notion de « compétence » et d’« accompagnement ».
En dépit des impacts nombreux des recherches des années 1990, les enseignants confessent, malgré tout, la faible efficacité des brouillons rédigés. Le jeune scripteur se saisit de son cahier d’exercices et écrit in medias res un brouillon qui équivaut, dans son esprit, du moins, au « définitif » : il se jette dans une forme d’écriture rédactionnelle, canalisée par une forme de dressage technique – sauter des lignes, écrire au crayon –, parfois terrifié par le stylo rouge du professeur, au point de détruire ses brouillons, de honte.

Quelle correction ?

Concernant la correction, les enseignants confient que les scripteurs débutants font le toilettage orthographique en surface, parfois, mais ils ne parviennent pas, le plus souvent, à le modifier au-delà. Les évaluations nationales à l’entrée de 6montraient par exemple que la rédaction définitive était le reflet du brouillon recopié à l’identique et effectivement inutile, ou que l’élève écrivait, entre le brouillon et le propre, deux histoires sans liens l’une avec l’autre.
Rares sont les apprenants qui savent utiliser avec efficacité le brouillon rédigé, rares sont les enseignants qui n’avouent pas leur difficulté à enseigner l’usage efficace du brouillon, par ailleurs chronophage et difficile à mettre en œuvre à l’échelle d’une classe entière. Signe que le raturage dans le brouillon classique ne peut pas tout accomplir, même dans la perspective des réécritures.
En partant de la description de ces pratiques d’écriture en usage, l’hypothèse peut être faite que la mise en texte précoce et initiale du brouillon, par le ligne à ligne, constitue un ensemble d’opérations qui peuvent freiner l’action d’écrire, notamment en raison de ces changements d’échelle qui assurent la lisibilité du texte : aller et venir entre le détail et la structure, l’anecdotique et l’essentiel, le signe et la consigne, l’expression et le sens.
Délicates questions d’énonciation et de hiérarchie qui ont disparu derrière les questions de correction de la langue le plus souvent.

Le brouillon en question :
perspective de la génétique des textes

En complément – et non en opposition – aux recherches en didactique du rédactionnel, focalisées sur l’avant-texte rédigé, les recherches appliquées du groupe OZER (Observatoire zolien des écritures réflexives), fondé par Françoise Gomez et moi-même, souhaitent montrer comment on peut aider les élèves, de l’école au lycée, autant que les amateurs des ateliers d’écriture d’ailleurs, à développer leur art d’écrire selon une démarche originale peu connue, qui s’inspire des travaux de la « génétique des textes ».
Encore un peu confidentielle pour le grand public, cette discipline scientifique que développe un laboratoire du CNRS – l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes – n’a pourtant rien d’effrayant : elle étudie les mécanismes de la création dans les manuscrits des écrivains et des artistes entre le XVIIIe et le XXIe siècles 3. Elle investit le cœur battant de la création, dans le laboratoire secret de l’invention qui offre le spectacle fascinant de l’œuvre à l’état natif : genèse d’un roman, d’un tableau, d’un bâtiment, d’un essai philosophique, d’une photographie, d’une mise en scène théâtrale ou d’une production cinématographique.
Au fond, l’œuvre perçue comme un processus d’engendrement que permettent de reconstruire les traces matérielles laissées par les artistes : manuscrits, maquettes, enregistrements divers, traces iconographiques, dossiers préparatoires, etc. On parle moins de génétique des textes, dorénavant, que de critique génétique, voire simplement de « génétique », tant ses domaines d’investigation se sont multipliés ces dernières années, au-delà de la textualité, attentive qu’elle est autant à l’objet produit qu’à sa genèse.
Selon la définition qu’en donne Almuth Grésillon, à propos des manuscrits d’écrivains, la génétique aborde les avant-textes comme des indices matériels afin d’y étudier l’œuvre en devenir, les mécanismes de création et les opérations scripturales qui assurent sa fabrication. Cette approche de la genèse du texte modifie la représentation de la littérature, considérée comme « un faire, comme activité, comme mouvemen4 ».
La génétique démontre justement que le processus d’invention n’est pas linéaire et, ainsi, remet en cause, à un premier niveau, l’écriture ligne à ligne à vol d’oiseau, nous pourrions dire l’écriture « rectiligne » : d’abord, il y aurait le désir de s’exprimer, conduisant ensuite à produire un sens, lui-même encodé dans la forme appropriée d’un type ou d’un genre littéraire, suivi par une rédaction, avant le couronnement de la publication de l’œuvre.

C’est aussi en écrivant que j’invente des intentions
et des désirs d’écrire

Au contraire, les dossiers de genèse des écrivains démontrent nettement qu’écrire ne se résume pas à cet échelonnement d’étapes, correspondant à la vision classique d’un Boileau. En manière de provocation, on peut inverser les termes de son modèle défendu dans l’Art poétique, en affirmant que ce qui fait effort pour s’énoncer parvient à se concevoir… Sans doute, l’apprentissage de l’écriture, de l’école au lycée, pourrait se nourrir de la conception interactive observée par la génétique, grâce à laquelle est illustrée, en phase de création, l’interaction du langage, de la pensée et du support. En somme, c’est aussi en écrivant que j’invente des intentions et des désirs d’écrire.
Or, souvent, le ligne à ligne le plus commun de l’enseignement procède selon un mouvement qui va unilatéralement de l’idée au mot, et du mot à la phrase. De façon paradoxale, c’est peut-être bien l’usage pédagogique donné à ce brouillon linéaire, qui devrait toujours resté « propre », dit-on souvent, ainsi que les représentations finalistes de son « amélioration » qui en sont faites, qui expliquent en partie les blocages des élèves, ainsi que les dérives technicistes.
De ce point de vue, il faut distinguer les apports de la génétique du brouillon et la façon dont la transposition pédagogique a souvent restreint les opportunités proposées par ces écrits préparatoires.
Inspirés par la génétique textuelle, les travaux fondateurs de Claudine Fabre-Cols, depuis Les Brouillons d’écoliers ou l’entrée dans l’écriture (1990), ont donné aux traces des élèves de primaire et de collège un relief neuf, grâce à l’étude détaillée des quatre opérations fondamentales de réécriture dans un brouillon : l’ajout, la suppression, le déplacement, le remplacement.
Toutefois, sur le terrain ou dans les manuels, des approches parfois caricaturales ont transformé ces opérations principales en recettes, dépourvues de sens clair pour les élèves conduits à les utiliser dans la phase de révision de leur écrit.

Raturer : mais quoi, comment, pourquoi, se demandent-ils ?

Écrire une fiction est parfois pensé par l’élève comme une activité d’imagination dont les enjeux semblent plutôt s’opposer que s’articuler de façon logique : inventer une histoire mais respecter les contraintes du sujet, inventer des contenus d’un côté mais corriger la langue de l’autre ; laisser proliférer l’écriture mais activer la check-list.
Classique dissociation du « fond » et de la « forme », injonctions contradictoires d’une demande scolaire qui stigmatise le « trop scolaire », construisent une vision peu fertile de la notion de projet d’écriture associant un écrivant et un lecteur dans leurs relations au langage, à l’art et au monde.
Dans les faits, on retombe peu ou prou sur l’écriture ligne à ligne, vectorisée à sens unique, souvent sans retour, presque sans rature et tâtonnement, qui laisse peu de chance à une approche fertile de ce qu’on nomme « l’amélioration » d’un écrit.
Par ailleurs, une chercheuse, spécialiste du répertoire théâtral pour la jeunesse, Marie Bernanoce, dénonce la réduction du domaine d’intervention de la génétique aux quatre gestes de réécriture, « selon une équivalence un peu simpliste d’après laquelle réécrire égale faire un brouillon 5 ». Elle pose ainsi la question centrale que souhaite reconsidérer le groupe OZER :
Comment tirer profit de la génétique au-delà du raturage dans le brouillon rédigé ligne à ligne, qui reste peu efficace en contexte scolaire ?

Dans le laboratoire des écrivains

Le groupe a l’ambition de proposer des pistes innovantes, informées par la génétique, qui ne se limitent pas à la réécriture mais qui n’y renoncent pas non plus. Pour cela, il est nécessaire de dépasser une dichotomie théorique, posée par la génétique elle-même.
En effet, cette discipline s’est vu raidie autour des deux types d’écriture souvent mêlées, qu’elle a définies à partir des manuscrits des écrivains : d’un côté, les écrivains dits à « programme » qui, comme Flaubert ou Zola dans ses dossiers préparatoires, s’appuient sur des manuscrits de travail avant de rédiger (canevas, plan, note, croquis…), et de l’autre ceux dits à « processus » qui, en se passant de conception préliminaire, entrent in medias res dans l’écriture d’un manuscrit page après page, pratique dominante chez Proust ou Stendhal 6 .
Le travail des écrivains dans leur laboratoire privé d’écriture ne reflète donc pas une pratique uniforme de l’écriture brouillonnée à progression linéaire. Si Proust et Kafka corrigent leurs manuscrits, version après version, à partir d’un premier jet, si les écrivains ont parfois de nos jours des pratiques analogues sur leur écran d’ordinateur, ces auteurs ne pratiquent pas une écriture linéaire en réalité : leurs manuscrits sont souvent multiformes, faits de collages, de ratures et d’ajouts, de fléchages, de retours en arrière et d’anticipations, parfois de consignes dans les marges.
Mais plus radicalement encore, d’autres écrivains, s’éloignant du ligne à ligne qui noircit la page de haut en bas, nourrissent une écriture explicitement « cybernétique ». Car avant de se lancer dans la rédaction de leur œuvre, ils produisent une série de documents d’appui qui préparent l’entrée différée dans le domaine de l’expression prise en charge par le brouillon rédigé : ce sont les « préparateurs », quand les autres seraient davantage des « improvisateurs ».
Ils ressentent le besoin d’écrire un story-board qui campe une histoire dans ses grandes masses, comme le script du scénariste au cinéma. Ils accumulent des notes, parfois pendant des années comme Flaubert, qu’ils conservent dans un carnet de travail : listes, schémas, dessins et photographies venant nourrir l’œuvre dans sa dimension documentaire, ou encore différents types de plans, plus ou moins détaillés, auxquels s’ajoutent parfois des ressources, tirées de livres, de témoignages et même d’enquêtes de terrain personnelles dans le cas d’œuvres réalistes.
Des écrivains contemporains, comme Georges Perec, croisent aussi plusieurs formes d’écriture, notamment la projection tabulaire sur clavier d’échecs et façade d’immeuble, pour La Vie mode d’emploi, ou tiennent parallèlement un cahier-journal, comme l’écrivain russe Irène Némirovski : la page de droite recevant le premier jet rédigé et la page de gauche le commentaire, les idées, les notes de régie diverses.
D’autres encore, comme Jacques Prévert, combinent le texte et l’image en préparant Le Roi et l’Oiseau, ou font provision d’un matériau brut dans un carnet personnel comme Henry James. Le terrain de jeu de l’écriture n’est plus le même : il gagne en hauteur, en largeur, en profondeur et en circulation.
Pourtant, il semble que les pratiques pédagogiques les plus communes n’aient pas encore accompli le travail d’articulation entre ces deux types d’écriture, l’une à programme et l’autre à processus, naturellement présentes aussi chez les élèves, et qui jouent simultanément du prévisible et du hasard, de la prévision et de la révision, du linéaire et de l’itinéraire.

Manuscrit de "Sodome et Gomorrhe", de Marcel Proust © BNF
Manuscrit de « Sodome et Gomorrhe », de Marcel Proust © BNF

Marcel Proust : manuscrit de travail de  Sodome et Gomorrhe (écriture à processus).

 

Émile Zola, généalogie des Rougon-Macquart © BNF
Émile Zola, généalogie des Rougon-Macquart © BNF

Émile Zola : généaologie des Rougon-Macquart (écriture à programme).

 
Le plus souvent, les pratiques scolaires dissocient les deux démarches d’écriture sans justification précise, et, surtout, font l’impasse sur l’écriture « à programme » : soit l’élève exécute un premier jet rédigé sur son classique « cahier de brouillon », à la façon de Proust dans l’exemple ci-contre (écriture à processus), recopié au propre et presque à l’identique ligne après ligne, soit il entre dans la fabrication d’un plan préfixé par une silhouette textuelle, tel le fameux « schéma narratif quinaire » du conte, sans que cet ordre plaqué ne s’articule à la signification.
On souhaite donc, avec les enseignant-e-s du groupe OZER et ceux qui voudront partager nos recherches, œuvrer pour une combinaison du programme et du processus. En effet, puisque les professeurs confessent les difficultés des élèves face aux brouillons rédigés, du point de vue de la révision, alors il est possible de valoriser le couplage « prévision d’un projet » / « révision du brouillon », qui élargit le répertoire scriptural des apprenants.

Et le numérique… ?

De nos jours, avec le numérique, tout devient possible, en termes de procédures, de ressources et de démarche. L’écriture collaborative numérique de romans « en réseau », comme il en existe de plus en plus dans les ateliers d’écriture sur le Net, est une modalité contemporaine de ces écritures étoilées et fluides, où le cyber-auteur navigue parfois entre un plan d’ensemble, une arborescence ou une trame, des ressources en ligne, et une écriture interactive plus ou moins contrainte et improvisatrice 7.
Parfois, il s’agit seulement d’écritures fragmentaires, fonctionnant sur le modèle du « tweet », du haïku et de la micro-nouvelle à la Éric Chevillard, parfois le projet oriente plus globalement le thème, la composition, les personnages, le cahier des charges préalables à la manière de l’Oulipo. Combinatoire d’un côté, générativité de l’autre, souvent mêlées au sein de supports numériques hybrides.
L’infinité des possibilités suppose encore bien davantage que l’élève maîtrise tout le clavier d’écriture qui lui permet de ne pas se perdre sur la Toile, et que l’enseignant l’accompagne efficacement dans ses apprentissages et ses projets. C’est sûrement un défi des sociétés innovantes et adaptatives contemporaines : construire des approches réflexives des translittéracies. Compte tenu de ces observations, repenser l’écriture peut passer par une réflexion d’inspiration généticienne visant une didactique intégrative et transversale aux disciplines.
Il est possible, en effet, de s’inspirer du travail des écrivains qui nous ont transmis, à travers leurs archives manuscrites, des pratiques relevant d’une démarche génétique qu’on nommera prérédactionnelle – c’est-à-dire renvoyant à ce qui s’écrit en amont du brouillon –, étapes préparatoires d’une écriture à programme, où tout ne commence pas forcément par une première version rédigée ligne après ligne, dont on a trop souvent fait la porte d’entrée de l’écrit et sur le seuil de laquelle un certain nombre d’élèves reste bloqué : ceux le plus en difficulté, ceux qui apprennent le français comme langue seconde ou étrangère, ceux qui n’ont simplement pas le goût d’écrire car ils ne voient pas le sens d’une technicité d’écriture qui échappe à leur désir d’inventer, plus généralement de penser.
En somme, offrir à l’élève un espace-temps d’écriture plus généreux pour extérioriser, dans des formes plurielles, sa vie en prise avec le spectacle du monde.

Déplier l’acte créatif sans le simplifier

Il s’agit de garder vivace la complexité de l’écriture mais de la rendre accessible pour l’élève au moyen d’une stratégie du détour, non de la simplification obtenue par décomposition, dont la difficulté réside autant dans le morcellement de la tâche complexe en sous-tâches que dans le sens des activités, perçues par l’élève de façon plus accumulative que compréhensive.
Par exemple, on valorisera l’idée de réaliser le croquis des lieux d’une histoire, la spatialisation d’une argumentation, le réseau d’une description, afin de mieux visualiser et organiser la substance inventée. Ce n’est pas décomposer ou simplifier au moyen de données formelles (l’énonciation, le thème, la structure, les temps verbaux, le lexique, etc.) 8. Car faire un schéma suppose un ensemble de capacités conjointes, et ce n’est pas une activité « simple » ou « simpliste » traitant de la partie d’un tout mis « en morceaux ».
Dessiner la carte qui rend compte de la topographie d’une fiction à l’état de genèse, ce n’est plus simplifier l’histoire en particules élémentaires, ce n’est plus la décomposer en items, c’est traiter la complexité sous un autre angle, avec d’autres supports et d’autres signes, iconiques cette fois, qui construisent toujours un ensemble organique.
Produire un canevas, construire un « plan général » ou des fiches sur les personnages, dessiner les lieux, lister des épisodes à développer, apprendre à se donner des auto-consignes d’écriture qui donnent une direction au projet offrent autant de pistes pédagogiques pour déplier l’acte de création, lui donner son territoire réflexif, ce que nous appelons sa toile d’écriture, qui peut prendre des formes manuscrites et / ou numériques.
Il ne s’agit pas d’une simplification mais plutôt d’une stratégie pour résoudre, au moyen d’une stylisation scénarique ou d’un dessin, le problème complexe que représente l’écriture. Dans le même temps, on ne simplifie pas l’écrit en le décomposant puisque le script forme toujours un tout unitaire, doué d’un sens global.

Refonder une didactique de l’écriture
dans la perspective prérédactionnelle

En fait, rendant accessible la complexité sans la défigurer par le simplisme, nous suggérons une approche simplexe de la production écrite, pourrait dire Alain Berthoz. Le neurophysiologiste du Collège de France s’intéresse notamment à la rationalité spatiale comme stratégie du processus d’invention 9. Les notions fondamentales de la « simplexité » sont des principes simplificateurs mais non « simplistes » qui aident, dans le monde du vivant, à traiter l’information et les situations rencontrées.
On trouve parmi ces principes : l’inhibition, la spécialisation, la modularité, l’anticipation, le détour, la coopération, la redondance, autant de notions pouvant aider à refonder une didactique de l’écriture dans la perspective prérédactionnelle : inhiber l’écriture ligne à ligne en choisissant une autre stratégie, spécialiser un croquis modulable traitant du parcours des personnages, anticiper le scénario par un plan, coopérer avec ses camarades dans la résolution de problèmes, etc.
Comme un explorateur dans un roman de Jules Verne, il est grisant de partir à la découverte du continent que propose le prérédactionnel et d’en dresser la carte qui montre que le classique brouillon n’en occupe qu’une région. Les premières expérimentations du groupe OZER et le sommaire de ses feuilletons pédagogiques le prouvent, me semble-t-il.
Zola, en tant qu’écrivain à tendance programmatique, représente une ressource certaine, à condition de ne pas le caricaturer. Il occupe dans notre projet une place de choix, même si celui-ci ne saurait se réduire à appliquer une « méthode naturaliste » en contexte scolaire. C’est la raison pour laquelle le groupe OZER s’inscrit dans le projet ARCHIZ – comme ARCHIves Zoliennes –, projet porté par Alain Pagès, au sein de l’ITEM 10.

Un feuilleton pédagogique

Selon quelles stratégies aborder ces documents préparatoires que sont les canevas (et le story-board, le script, le scénario, la note d’intention, l’avant-projet ?), les plans initiaux, les listes et notes de régie, les croquis, schémas et dessins utilisés par les écrivains, les architectes, les peintres ? Et comment les élèves, ainsi que les enseignants, peuvent-ils s’approprier, de façon adaptée, cette approche nouvelle à différents niveaux et dans diverses disciplines ?
Ce sont les réponses à ces questions que souhaitent développer les feuilletons pédagogiques qui seront régulièrement publiés par des professeur-e-s en activité sur le site de l’École des lettres. Des propositions fondées en théorie et expérimentées en pratique, puisque les rédacteurs du groupe OZER sont des enseignants et des formateurs, riches d’expériences et de réflexions qui nous engagent, en chemin, à revisiter les concepts de départ qui fondent nos hypothèses.

.Aujourd’hui, écrire c’est naviguer entre des espaces
et des supports hétérogènes

D’origine littéraire, la didactique du prérédactionnel peut être utile en cours de français, mais pas seulement. Finissons en disant qu’elle interroge plus généralement les démarches de pensée et leurs relations aux systèmes de signes qui extériorisent la parole intérieure impliquée dans la construction d’un projet et d’un sujet apprenant, quelle que soit la matière enseignée.
Elle interroge aussi la capacité du Web à accueillir la « toile prérédactionnelle » singulière de chaque « écrivant ».
Le projecteur d’OZER souhaite donc éclairer la scène de l’«avant-brouillon », dans un déplacement qui interroge l’ordre des pratiques traditionnelles. Car produire un texte ne sera plus dérouler un scénario au fil de la plume de façon linéaire mais établir des itinéraires, plus ou moins complexes selon l’âge des scripteurs, entre des espaces sémiotiques intermédiaires qui ne prennent plus l’allure d’un écrit homogène au fil de la plume, de gauche à droite et de haut en bas.
L’espace d’écriture a évolué et l’entrée dans le numérique le confirme : écrire c’est naviguer entre des espaces et des supports hétérogènes, et circuler entre la parole, l’écriture et la lecture interactives au sein de communautés de pratiques et d’apprentissages (la classe, le forum, le blog, la famille, etc.). Le cadre de la page, comme de l’écran, est en tout cas débordé par les divers réseaux de l’écriture.

Que faire face à la diversification massive des supports ?

Depuis deux mille ans, Aristote a orienté le modèle de la composition vers une progression linéaire, supposant qu’une chose est parfaite et entière, quand elle a un commencement, un milieu et une fin. Il s’agit d’une norme parmi d’autres modèles et supports possibles. L’image de la Toile, qu’elle soit de papier ou d’écran, résume parfaitement les mutations que nous vivons en ce moment.

C’est en étudiant les avant-textes des écrivains qu’on montre toute la palette de l’écritoire qui reste généralement refusée à l’élève, de l’école au lycée, et dont la transmission fait urgence. Car, qui peut affirmer que la pensée au travail, du papier à l’écran, parvient toujours à se matérialiser idéalement dans l’écriture verbale linéaire, plutôt que dans un croquis, une liste, un story-board, une note d’intention ?
Qui peut affirmer qu’un projet d’écriture se fabrique plutôt dans un cahier de brouillon que sur un blog, dans la marge de la feuille que dans un forum interactif ?
Si l’enseignement de l’écriture scolaire, depuis la fin du XIXe siècle, a élu le ligne à ligne qui prend sens dans l’espace de la page du cahier de brouillon, on peut souligner l’urgence d’enrichir les approches possibles de l’écriture dans un contexte de diversification massive des supports et des technologies où l’écriture relève davantage d’un système dynamique et circulatoire.
Du fait de cette circulation spiralaire, il est clair aussi que toute production écrite, achevée, publiée, appartenant au monde du post-rédactionnel, peut, à tout moment, être versée dans l’univers du pré-rédactionnel, en tant que ressource liminaire inscrite dans le processus de création.

 Olivier Lumbroso

 

L’écriture au miroir d’elle-même

par Françoise Gomez

IA-IPR Lettres dans l’académie de Paris

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Réflexivité… et réflexion

« Observatoire zolien des écritures réflexives » = OZER : le –R final n’est pas ici l’appendice aléatoire d’un acronyme voulu accrocheur. Nous voudrions montrer ici, en écho au programme collectif dont Olivier Lumbroso a déployé les enjeux didactiques et pédagogiques, qu’il a été réfléchi.
« Réflexivité » n’est pas davantage l’avatar actualisé de « réflexion ». Dans le passage de la réflexion à la réflexivité se joue quelque chose comme une prise de pouvoir.
« Réfléchis ! » dit dans nos cauchemars scolaires la maître penché, bras dans le dos, sur le cahier de l’élève qui n’ose ni soustraire ni exposer au lourd regard évaluateur le cahier où il esquisse péniblement sa proposition. « Réfléchis ! » dit le sur-moi inhibiteur qui nous retient la plume au moment de donner forme écrite à une idée… et l’on connaît les ravages que chaque année l’angoisse de l’erreur, toujours vaguement connotée de faute, exerce parmi les jeunes Français soumis aux évaluations PISA (sans que l’on s’attarde trop à approfondir ce qui, du dispositif du test ou des « dispositions » cognitives de qui le subit, est au fond à l’origine du blocage… mais passons).
L’injonction de réfléchir semble inhérente à notre pensée scolaire policée, dans une double mesure : d’une part elle traduit l’autorité encore persistante du jugement logique cartésien et de la pensée abstraite sur toute autre forme de cheminement ; d’autre part, comme le préfixe l’indique en pareil cas, la ré-flexion s’exerce à titre rétro-actif sur le résultat, même projeté : la réflexion est une opération mentale qui appelle l’accompli, futur antérieur compris.

Pour une écriture réflexive

Or la réflexivité se distingue de la réflexion en ce qu’elle est une dimension du langage en même temps qu’une dimension de l’expression ou de l’action. Elle caractérise cette propriété du langage de pouvoir se désigner lui-même dans l’acte et le moment mêmes où il en est fait usage. Ainsi Jakobson reformulant et développant la théorie de Bühler sur les fonctions de la communication linguistique, ajoute-t-il aux trois fonctions de base : référentielle, expressive et conative, trois fonctions où le message porté renvoie à lui-même : la fonction métalinguistique (le message fait explicitement ou implicitement référence à son propre code), poétique (le message peut à tout moment s’auto-désigner comme fin en soi), et phatique (par son existence même il se désigne comme lien social)11.
Assumée et cultivée dans sa dimension réflexive, l’écriture n’est donc pas une simple production « réfléchie » qu’on aurait rebaptisée pour lui donner jouvence nouvelle, ni une catégorie d’écriture qui s’opposerait à l’écriture « irréfléchie », a-programmatique ; c’est une pratique qui redonne au locuteur ou à l’écrivant la possibilité d’une conscience de soi non pas seulement projective ou rétrospective, mais simultanée.
Les recherches des neurologues cognitivistes comme Marc Jeannerod confortent l’idée d’un doublement de l’action par un modèle interne sans lequel l’action n’est pas possible (voir Le Cerveau volontaire, Éditions Odile Jacob, 2009) : mais comme le détour par les neurosciences nous conduirait à de trop longs développements, contentons-nous de revisiter quelques lectures familières, devenues trop familières peut-être.

Roland Barthes et le procès de l’« écriture bourgeoise »

On se souvient des analyses « historiques » de Roland Barthes dans Le Degré zéro de l’écriture : « Toute la Littérature peut dire : « Larvatus prodeo », je m’avance en désignant mon masque du doigt. […] La sincérité a ici besoin de signes faux, et évidemment faux, pour durer et pour être consommée. Le produit, puis finalement la source de cette ambiguïté, c’est l’écriture 12 . »
Il s’agissait alors pour le Barthes sémioticien (et marxiste) des années 1950, à la recherche d’une hypothétique « écriture blanche » dont L’Étranger lui semblait proposer le modèle (sans illusion pourtant sur la récupération qui finirait par ranger à son tour cette écriture dans l’épaisseur d’une tradition), d’épingler la mythologie du « littéraire » : en matière romanesque, la préférence accordée à la troisième personne sur la première, l’usage du passé simple, étaient les marqueurs les plus significatifs de cette codification sociale.
Les rivages axiologiques du procès de l’écriture « bourgeoise » sont aujourd’hui loin de nous, mais le Degré zéro a donné à la critique littéraire, et aux lecteurs, une découverte importante reprise aux linguistes : que l’écriture « littéraire », aussi bien toute mise en forme scripturale qui recherche un effet expressif ou esthétique sur son destinataire, passe non seulement par une mise en mots, mais aussi par une mise en code socialement ritualisée.
Reprenant la piste des « objets mythologiques » grâce auxquels, en Occident, « [l’écriture] a pour charge de placer le masque et en même temps de le désigner 13 », l’élève d’aujourd’hui peut donc encore convertir l’intimidation en jubilation, dès lors qu’on lui donne les moyens d’identifier et de nommer quelques-unes des voies de cette mise en œuvre qui « [livre] une essence sous les espèces de l’artifice », et lui donne les moyens d’éprouver « soi-même comme un autre » ─ selon la célèbre formule de Paul  Ricœur 14.

On peut écrire à partir du langage

Bref, échappant à l’injonction qu’il croit tacite d’écrire à partir de soi, en mettant à nu une réalité personnelle dont il ne peut que mesurer les douloureuses limites, l’enfant ou l’adolescent à qui l’on donne ainsi les clés d’une symbolisation, découvre qu’on peut écrire à partir du langage. Il affirme son droit au mentir-vrai littéraire. Il devient capable de détecter dans le « selon vous… » des sujets délibératifs conventionnels, tout ce que ce « vous » contient d’artifice phénoménologique, de masque impersonnel.
Non pas qu’il s’agisse de revenir aux officines de rhétorique, mais pouvoir identifier en acte qu’il y a programmation, stratégie, forme-sens…, c’est s’émanciper de la tyrannie référentielle qui fait le lit des totalitarismes. « Vous êtes criminel, votre récit le montre », dit l’inquisiteur de tous les temps sous toutes les latitudes. ─ Non, répond l’auteur d’un pays libre, c’est mon personnage qui l’est. » Travaillons à conserver la démocratie qui sait encore entendre cette différence.

Il faut interroger aussi les pouvoirs du théâtre

De même au théâtre, la croyance spectatorielle, doublée de la conscience permanente d’un artefact, le fameux « Je sais bien, mais quand même » d’Octave Mannoni 15, a pour répondant la capacité de la scène et des acteurs à s’auto-désigner et à interroger les pouvoirs du théâtre, en action. Hamlet en offre bien sûr l’exemple abouti, mais aussi, sans doute « toutes les grandes pièces », dit Daniel Mesguich qui a sans doute été le plus loin dans l’exploration anthropologique de cette propriété :
« Être ou ne pas être, est la phrase d’Hamlet, mais elle est aussi bien celle de n’importe quel spectre, et c’est celle du théâtre aussi (au théâtre, tel acteur est et n’est pas le personnage qu’il joue, il porte et ne porte pas le nom qu’il porte) 16 ».
Aussi la réflexivité n’est-elle à restreindre aux cas de mise en abyme, ou de théâtre dans le théâtre de type pirandellien, mais elle est une force constitutive permanente, qui permet mille formes d’allers-retours entre « vrai » et « faux », fiction et réalité. Dans Les Précieuses ridicules, premier succès de Molière, presque tous les personnages ont pour nom les noms de scène des acteurs, selon une tradition populaire bien établie, et dans son ultime chef-d’œuvre Molière malade, créant le rôle d’Argan le 10 février 1673, se jette à lui-même cet anathème vertigineux:
« C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies. […] Et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours, […] et je lui dirais : ″Crève, crève ! cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté″. »
Tout élève prenant part à une proposition théâtrale peut lui aussi éprouver le plaisir simultané de jouer et d’indiquer qu’il joue, sans rompre le pacte fictionnel, à la fois au sein de la fiction et hors d’elle, fort d’un pouvoir millénaire que le moindre a parté lui permet de mesurer.
L’écriture réflexive, dans la multiplicité de ses formes possibles, tire son unité d’une conscience simultanée d’elle-même qui permet à l’écrivant, que ce soit par le détour, l’étoilement, la programmation, ou la médiation de l’objet, d’acquérir vis-à-vis de son projet l’écart insensible du jeu. «  Mais comment parler de « simple » jeu, quand nous savons que c’est précisément le jeu et le jeu seul qui, entre tous les états dont l’homme est capable, le rend complet ? », disait déjà en 1794 Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme 17.
Deux cent vingt ans plus tard et à l’heure des techniques nouvelles, il faut OZER en refaire la démonstration.

 Françoise Gomez

 

À paraître en 2015 :
• 2de – Imager, imaginer. Quand photographie et écriture cheminent ensemble, par Marjolaine Hubert.
• 6e – Dans le cahier de Margot. Quand le cahier d’élève devient  un cahier d’auteur, par Yaël Boublil.

 
1 Voir l’article de François Quet, « Rédiger, s’exprimer, produire : écrire à l’école primaire dans les années 90 », in  Recherches et travaux, 2009, n° 73.
2 Voir notamment le Groupe de recherche d’Écouen, Former des enfants producteurs de textes, J. Jolibert (coord.), Éditions Hachette Écoles, 1988.
3 La génétique des textes, en France, est développée notamment par l’ITEM, l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes, laboratoire du CNRS implanté sur plusieurs sites parisiens et à Poitiers. (https://www.item.ens.fr/)
4 Almuth Grésillon, Eléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes, Paris, PUF, 1994, p. 14.
5 Voir Marie Bernanoce, « Traces d’un grand écart entre littérature et scène », in Jean-Michel Pottier (coord.), « Seules les traces font rêver ». Enseignement de la littérature et génétique textuelle, Scéren / CRDP de Champagne-Ardenne, 2006, p. 94
6 De façon souple, la critique génétique a distingué deux grandes tendances d’écriture, d’ailleurs souvent mêlées : d’un côté, les écrivains qui, comme Zola dans ses dossiers préparatoires, s’appuient sur des manuscrits de travail avant de rédiger, relevant de ce que Louis Hay nomme écriture « à programme » et ceux qui, de l’autre, en se passant de conception préliminaire, entrent in medias res dans l’écriture dite « à processus ».
7 Voir, par exemple, Véronique Taquin, Un Roman du réseau, Paris, Hermann, coll. « Cultures numériques », 2012.
8 Voir l’article de Claudine Garcia-Debanc, « Que reste-t-il de nos critères ? », dans Formation d’enseignants et didactique de l’écrit, Mélanges offerts à Maurice Mas, IUFM de Grenoble, 1999.
9 Voir Alain Berthoz, La Simplexité, Paris, Odile Jacob, 2009. Voir notamment le chapitre 12, « Les fondements spatiaux de la pensée rationnelle », dans lequel Berthoz revient sur l’assistance graphique qui, chez Zola, aide à la fabrication de ses fictions.
10 Voir le portail construit par Archiz : archives-zoliennes.fr, dont est responsable Jean-Sébastien Macke, secrétaire scientifique d’Archiz.
11 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, 1963, chap. XI.
12 Roland Barthes, « L’écriture du roman », in Le Degré zéro de l’écriture, Éditions du Seuil [1953], 1972, p. 32.
13 Ibid.
14 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
15 Dans une psychanalyse désormais canonique de la croyance : « Je sais bien, mais quand même », in L’Imaginaire ou l’autre scène, Éditions du Seuil, 1985.
16 Daniel Mesguich, « L’effet spectre », in Shakespeare, La scène et ses miroirs, CNDP, 1998, « Théâtre aujourd’hui », n° 6, p. 115.
17 Schiller, Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen, 1794, trad. Robert Leroux, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, fin de la troisième lettre, Aubier, [1943], 1992.
• Émile Zola dans les Archives de l’École des lettres,
et sur ce site :
• « Zola et le groupe de Médan. Histoire d’un cercle littéraire », d’Alain Pagès, par François-Marie-Mourad.
• Émile Zola, «Nouvelles roses» et «Nouvelles noires», édition d’Henri Mitterand, par Jacques Vassevière.
• Émile Zola, « Ah ! Vivre indigné, vivre enragé… » Quarante ans de polémiques, anthologie présentée par Jacques Vassevière, par Yves Stalloni.
• Émile Zola, « Mes Haines », présentation de François-Marie-Mourad, par Yves Stalloni.
• OZER, l’Observatoire zolien des écritures réflexives.
• Le site des Cahiers naturalistes édités par la Société littéraire des amis d’Émile Zola.
 

Françoise Gomez et Olivier Lumbroso
Françoise Gomez et Olivier Lumbroso

2 commentaires

  1. Vos recherches nous poussent à l’introspection et à dépasser notre propension aux approches formalistes; elles engagent à reconsidérer notre fonction dans certaines situations et à placer l’enseignant comme accompagnant attentif de l’apprenant; le prérédactionnel (proposé à mes élèves et mis en oeuvre) permet d’éviter les blocages (par la motivation et le plaisir qu’il amène) et de redonner du sens à l’acte d’écriture et aux lettres via la transversalité.Il est aussi ce qui facilite l’acquisition de l’autonomie de l’élève( au sens où Merieu l’entend) et la découverte de son profil- ce qui peut participer à sa réussite.
    Il me tarde de découvrir votre prochain sujet.
    Cordialement.
    Stéphanie

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