« Les Héritiers », de Marie-Castille Mention-Schaar

"Les Héritiers", de Marie-Castille Mention-SchaarPorté à bout de bras par une grande comédienne, Ariane Ascaride, Les Héritiers, de Marie-Castille Mention-Schaar est un beau sinon un grand film. Son titre même est un acte de foi dans la transmission des valeurs dans l’École de la République, malgré toutes les différences culturelles, religieuses et sociales.
Le film commence pourtant bien mal dans ce lycée Léon-Blum de Créteil, où une jeune fille vient récupérer son attestation de réussite au bac. La conseillère d’éducation et le proviseur lui refusent l’entrée dans l’établissement parce qu’elle porte un foulard.
Ils appliquent le règlement certes, mais cette scène emblématique illustre la limite du dialogue autour de deux principes tout aussi forts l’un que l’autre : la liberté d’expression et le principe de laïcité.

 

Une aventure humaine bouleversante

Heureusement un professeur d’histoire et d’histoire de l’art, Mme Guéguen, va rendre ce lycée célèbre en 2011 en décidant de présenter sa classe de seconde la plus faible au Concours national de la Résistance et de la Déportation. Le thème en est ardu : « Les enfants et les adolescents dans l’univers concentrationnaire ». D’abord sceptique, la classe se prend au jeu et s’investit dans une recherche qui devient une aventure humaine bouleversante.
Le scénario du film, inspiré d’une histoire vraie, a été d’abord écrit par Ahmed Dramé, un des élèves de cette classe, profondément marqué par cette compétition qui lui a ouvert des portes qu’il croyait fermées à jamais.
Pour diffuser largement cette aventure, il a voulu en faire un film et a soumis un texte de 60 pages à la cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar, dont il avait vu Ma première fois (2012), l’a trouvée réceptive et intéressée par son histoire. La cinéaste, sentant combien cette expérience collective l’avait transformé, et émue par cette métamorphose exemplaire, lui a posé toutes sortes de questions, a pris contact avec Mme Anglès, le véritable professeur de la classe et a développé le texte d’Ahmed en fonction de ce que lui et son professeur lui racontaient.
Le parcours entre le point de départ de la classe et le document qu’elle a rendu à l’issue de ce concours est impressionnant. Le film raconte le questionnement et le cheminement des élèves de l’un à l’autre.
 
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Le travail de mémoire

Un peu convenu dans sa première partie, qui met en place le rapport de Mme Guéguen avec sa classe et permet de mesurer son autorité naturelle et son investissement, le film décolle littéralement avec le témoignage de Léon Zyguel, déporté à Auschwitz à l’âge actuel des élèves.
Son arrivée arrache la Shoah à l’abstraction et l’incarne littéralement. Les élèves ne sont plus dans l’Histoire mais dans une réalité vécue à laquelle il leur est facile de s’identifier. Il ne s’agit plus d’un génocide dont les millions de morts sont impossibles à imaginer mais d’une personne réelle qui raconte avec humour son arrivée au camp à quinze ans et ses tribulations. Qui lit solennellement le serment des rescapés. Émotion, larmes, respect. Le travail de mémoire peut commencer sans a priori dévalorisants sur les juifs, les tziganes, les homosexuels.
Le professeur d’histoire a pourtant eu du mal à aborder dans le calme les thèmes religieux, tellement piégés : l’enfer, le paradis, le jugement dernier, Calvin. Elle a même dans sa classe un jeune Français catholique converti à l’Islam et qui prétend faire la leçon aux musulmans. Mais des personnalités comme Léon Zyguel ou Simone Weill, sur qui elle montre un document télévisé, emportent par leur charisme toutes les oppositions.
 

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Un film consensuel qui redonne l’espoir d’une école  pacifiée

Certes, il s’agit là d’un feel good movie, d’un film consensuel et plein de bons sentiments dont le dénouement inespéré inspire un optimisme de bon aloi. Mais pourquoi pas après tout ? Par son mélange très réussi de réalité et de fiction, Les Héritiers est un beau film parce qu’il nous force à croire que tout est possible dans une école enfin pacifiée.
Que la générosité d’une enseignante qui croit plus en ses élèves qu’eux-mêmes peut venir à bout des refus les plus obstinés, des formes les plus répugnantes de racisme et d’antisémitisme. Elle peut d’abord apprendre à des adolescents à se parler et à s’écouter, puis galvaniser une classe de cancres et de fortes têtes au point de leur donner le goût de la recherche, de la solidarité et du respect mutuel.
La constitution d’un héritage commun par des enfants d’origines et de cultures différentes, l’appropriation d’une mémoire partagée qui ne soit plus un devoir mais un privilège, tel est l’enseignement de cette fiction qui émeut d’autant plus qu’elle a le mérite d’être inspirée par une histoire vraie. Même si la récente agression antisémite d’un couple juif, à Créteil justement, laisse craindre que ce film ne soit déjà devenu une utopie.

 Anne-Marie Baron

 
 

Le Concours national de la Résistance et de la Déportation

Le Concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) a été créé officiellement en 1961 par Lucien Paye, ministre de l’éducation nationale, à la suite d’initiatives d’associations et particulièrement de la Confédération nationale des combattants volontaires de la Résistance.
Il a pour objectif principal de transmettre des valeurs qui se rattachent aux droits de l’Homme et aux principes de la démocratie et permet aux collégiens et aux lycéens d’en mesurer leur pertinence et leur modernité. La participation à ce concours donne l’occasion aux élèves de rencontrer directement résistants et déportés et d’établir à ce titre un lien tangible entre les générations.
Depuis 2000, le Concours National de la Résistance et de la Déportation est une des composantes de la politique de mémoire du Ministère de l’Education Nationale en partenariat avec le Ministère de la Défense.
Le Concours national de la Résistance et de la Déportation est le premier concours scolaire en France dans le domaine de la mémoire. En 2012‐2013, plus de 40 000 élèves y ont participé.
Pour la session 2014‐2015 du concours, les élèves seront invités à travailler sur le thème : « La libération des camps nazis, le retour des déportés et la découverte de l’univers concentrationnaire ».
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Site du concours.
• Voir sur ce site « Le ciel attendra », de Marie-Castille Mention-Schaar (2016), par Anne Marie Baron.
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Anne-Marie Baron
Anne-Marie Baron

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