"Harry Potter à l’école de la philosophie", de Marianne Chaillan
Harry Potter a déjà fait couler beaucoup d’encre. Je ne songe pas aux milliers d’articles qui lui ont été consacrés dans la presse mais seulement aux commentaires, plus ou moins heureux, qu’il a suscités.
Le premier essai notable aura été celui d’Isabelle Smadja, Harry Potter, les raisons d’un succès. L’auteure passait aux cribles de la philosophie, de la psychanalyse et de la sociologie les quatre premiers volumes de la série.
Isabelle Cani, dans Harry Potter ou l’anti Peter Pan, se livrait à une comparaison astucieuse entre les deux personnages éponymes, montrant que Peter Pan préfigurait le culte de l’éternelle jeunesse qui agite notre époque tandis qu’Harry Potter, après un long cheminement vers l’âge adulte, en assumait pleinement les contraintes et les valeurs.
L’essai de Marianne Chaillan, Harry Potter à l’école de la philosophie, publié dernièrement chez Ellipses, confirme en partie la thèse d’Isabelle Cani et démontre une nouvelle fois, si besoin en était, la richesse d’une œuvre qui, tout en s’inscrivant pleinement dans notre temps, a su intégrer de façon ludique les héritages philosophiques et culturels de la civilisation occidentale.
Une dimension platonicienne
Marianne Chaillan commence par dévoiler la dimension platonicienne de l’œuvre. Avec la cape d’invisibilité, J.K. Rowling actualise en quelque sorte le mythe de l’anneau de Gygès. Assurés de l’impunité que procure l’invisibilité, sommes-nous capables de conserver notre morale ? Harry, contrairement à bien d’autres, révèle ainsi son aptitude à poser des actes véritablement moraux puisque jamais il ne cède à la tentation d’utiliser ce don de l’invisibilité à des fin personnelles, mesquines ou perverses.
Le monde d’Harry Potter semble, si l’on en croit Marianne Chaillan, gouverné par une vision platonicienne de l’univers. L’existence des fantômes qui hantent le quotidien de l’école de sorcellerie du héros manifestent la vision duelle de l’âme et du corps qui sous-tend le platonisme, et il n’est pas jusqu’aux débats sur l’éducation soulevés par le Ménon qui ne trouveraient un écho dans les romans de Rowling.
« Le savoir, rappelle l’essayiste, ne dérive pas d’une maîtrise doctrinale mais du déploiement interne de la pensée, d’une mise en évidence de la puissance existant en chacun de nous de penser par soi même. » Ainsi peut-on opposer la conception de l’instruction des sophistes incarnée par la tristement perfide Dolorès Ombrage à l’éducation de type « dialectique » prônée par Socrate et mise en œuvre par le professeur Dumbledore ou les enseignants les plus avisés, et qui fait de l’élève l’acteur et l’expérimentateur des savoirs qu’il doit acquérir.
Du côté d’Épictète… et de l’existentialisme
Outre Platon, Harry Potter saura tirer bénéfice des préceptes d’Épictète : et, s’il comprend très vite la nécessité de limiter ses désirs, il ne succombe pas au fatalisme des stoïciens. Son cheminement est à l’inverse une voie qui le conduit à prendre conscience de sa liberté. Et les propos que Rowling fait tenir à Dumbledore – « Ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes » – apparaissent comme un véritable manifeste existentialiste.
Les personnages positifs de la saga partagent d’ailleurs cette philosophie, et Sirius Black, l’un des adultes qui servent de modèles au héros, s’avère être un véritable professeur de liberté. À l’encontre d’un milieu familial qui avait fait le choix du mal et de la ségrégation, Sirius, quant à lui, a fait le choix de la résistance et de l’intégrité, prouvant à son filleul (Harry) que l’être humain n’est jamais totalement déterminé par la « situation » qui l’a vu naître.
Outre l’intérêt que l’ouvrage de Marianne Chaillan peut revêtir pour tout lecteur de la série Harry Potter, on appréciera le travail de vulgarisation philosophique auquel se livre l’auteur et je le conseillerai volontiers à mes élèves de terminale qui peinent sur les dialogues de Platon ou sur les pages énigmatiques de Sartre, non à titre de substitut bien sûr, mais comme un complément utile.
Comment devient-on des adultes responsables ?
La dernière partie de l’essai s’intéresse au thème essentiel de l’œuvre de J.K. Rowling, à savoir l’acceptation ou non de la finitude humaine. C’est dans cette partie que ses conclusions rejoignent celles de l’ouvrage d’Isabelle Cani. Bien des critiques ont reproché à J.K. Rowling le dénouement qui montre les principaux protagonistes de la saga, sur le quai de la gare de Victoria Station, disant au revoir à leurs enfants qui, à leur tour, partent pour l’école de sorcellerie. C’était, pour l’auteure, montrer sa détermination à clore un cycle. C’était aussi manifester l’acceptation par les héros de leur devenir et de leur statut d’adultes responsable.
En situation de parents, ils ont évolué, accepté, à l’inverse de Peter Pan, l’idée de l’irréversible, et au-delà, comme le montre dans son livre Marianne Chaillan, l’idée de la mort.
L’une des forces du roman de J.K. Rowling est d’attirer l’attention du lecteur sur les liens qui unissent le héros au méchant de la série, Voldemort. Même enfance orpheline, même capacité à comprendre le fourchelang (le langage des serpents), même expérience de la mort, même baguette magique… Mais quand l’un, le méchant, fait tout ce qui est en son pouvoir pour échapper à la mort, l’autre finit par l’accepter au nom de l’amour, pour protéger ceux qu’il aime. Et c’est, évidemment, ce faisant qu’il devient le plus fort.
« Devenir immortel, c’est trahir, pour un être humain »
Harry Potter, héros évangélique ? Voilà qui ferait sans doute réagir tous les intégristes qui n’ont eu de cesse de condamner la série. C’est pourtant la conclusion à laquelle aurait pu arriver notre auteure si elle avait poussé jusqu’au bout la logique de sa démonstration. C’est Jean, l’évangéliste, qui prête ces paroles au Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Et c’est ce que font dans l’ouvrage la mère de Harry, le professeur Rogue, et Harry lui-même.
Marianne Chaillan préfère convoquer Giraudoux qui fait dire à Alcmène : « Devenir immortel, c’est trahir, pour un être humain », renvoyant Harry et son petit monde vers une morale résolument laïque.
Elle avait pourtant bien montré que le phénix, adjuvant essentiel du héros dans la série, est aussi un symbole de la finitude, elle aurait pu s’interroger sur les origines du symbole qui, passant par les mythologies grecques et hébraïques, finit par incarner le Christ dans la littérature ésotérique. Mais philosophie n’est pas religion et l’ouvrage de Marianne Chaillon s’inscrit parfaitement dans cette mode du moment qui consiste à philosopher sur les manifestations de la culture populaire ; il délivre aussi quelques-unes des clés qui permettent de comprendre le succès planétaire d’une saga qui touche lecteurs et spectateurs des films, dans les ressorts intimes de leur existence.
Stéphane Labbe
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• Isabelle Smadja, « Harry Potter, les raison d’un succès », PUF, 2001.
• Isabelle Cani, « Harry Potter ou l’anti Peter Pan : pour en finir avec la magie de l’enfance », Fayard, 2007.
• Marianne Chaillan, « Harry Potter à l’école de la philosophie », Ellipses, 2013.
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