« L’Iroquois blanc », de Jean-Pierre Tusseau
Jean-Pierre Tusseau, qui nous avait habitués à ses élégantes traductions de romans médiévaux, nous surprend avec un roman d’aventures historique qui a pour cadre la Nouvelle-France (le Québec) du XVIIe siècle, L’Iroquois blanc.
Le héros, Guillaume, jeune apprenti charpentier, est maltraité par son maître, un alcoolique brutal et sans scrupule. C’est donc tout naturellement qu’il rêve de partir sur l’un de ces bateaux qui transitent dans le port de Rouen. La ville, nous dit le narrateur, conserve encore le souvenir d’un jeune chef indien d’Amérique du Nord, écho probable aux fameux cannibales de Montaigne (« Trois d’entre eux […] furent à Rouen… », Essais, I, 31.).
Il faut dire que le héros, dont l’intelligence a été remarquée par le père Lassère, a appris à lire. Il admire l’esprit aventureux de Marco Polo et les récits pleins de verve de Samuel de Champlain : ce dernier, quelques années auparavant, n’a-t-il pas exploré les rivages d’Amérique avant de fonder la ville de Québec ?
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Un roman d’aventures particulièrement documenté
Guillaume désespère d’accomplir ses rêves, mais les jésuites, dans leur entreprise colonisatrice, ont besoin de main-d’œuvre. Le jeune homme, acceptant de prêter son savoir-faire à la compagnie de Jésus, devient un « donné » ; il peut ainsi effectuer la traversée qui le conduira d’abord à Québec – petit village de quatre cents habitants –, puis aux avant-postes de la civilisation, en plein territoire huron, là où s’affrontent les tribus indiennes en d’interminables guerres attisées par les puissances européennes.
Le roman, particulièrement documenté, initie son lecteur au mode de vie fruste des premiers colons, aux coutumes barbares de ceux que l’on appelle sans intention péjorative les « sauvages ». Lorsque Guillaume est capturé par une tribu iroquoise, le lecteur ne se ferait, sur son sort, aucune illusion, s’il ne connaissait le titre. Nous sommes bien dans un roman d’aventures : la mort, pour reprendre les propos de Jean-Yves Tadié, en est « l’enjeu implicite mais indéterminé ».
La narration, dans la tradition mise en œuvre par Stevenson dans l’Île au trésor – il faut bien faire vivre le roman, quand le héros doit passer pour mort –, change de point de vue et se focalise sur le personnage de Jean qui, ami de Guillaume, « donné » comme lui à la compagnie de Jésus, fait l’apprentissage de la vie sauvage et devient l’un de ces coureurs des bois dont la liberté offusque les institutions politiques et religieuses.
Guillaume reparaîtra, son séjour chez les Iroquois l’aura transformé à jamais, et il deviendra un trait d’union entre deux civilisations aux modes de vie si opposés qu’elles ne peuvent cohabiter. Le roman épouse alors la temporalité d’une vie. Et Guillaume incarne l’esprit d’aventure et d’entreprise qui animait sans doute tous ceux qui osèrent ainsi partir armés de leur courage à l’assaut d’un monde nouveau.
La Nouvelle-France, préoccupation secondaire du régime de Louis XIV, acquiert peu à peu suffisamment d’importance pour qu’on y dépêche un bataillon destiné à écraser les Iroquois. Entre-temps, le héros est chargé par le gouverneur de maintenir une paix fragile. Quittant le bureau du dignitaire, il a cette réflexion qui résume l’esprit du roman :
« Guillaume ne cessait de se répéter : Quand les Blancs prendront-ils enfin conscience de ce que les Sauvages ne cessent de réaffirmer : “La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui appartenons à la terre” ? Et, soudain, il comprit ce qui lui avait semblé différent chez le nouveau gouverneur. En plus d’avoir l’air déguisé en courtisan de Versailles, comme ses prédécesseurs, celui-là était poudré. »
Un livre généreux et sans prétention
Destiné, semble-t-il, à la jeunesse, L’Iroquois blanc est un livre généreux et sans prétention qui magnifie, dans la tradition des romans de London et Curwood, la figure du trappeur libre et indépendant, aussi bien à l’égard des lois que des préjugés. Sans manichéisme, il dénonce aussi le génocide indien et met en lumière l’opportunisme des politiques colonialistes.
La postface nous apprend que la figure du héros est inspirée d’un personnage réel, Guillaume Couture, qui a sa statue à Lévis, petite cité située en face de Québec. L’auteur fait état de sa documentation, et l’on comprend que son intérêt pour la Belle Province provient sans doute des années qu’il a passées à enseigner l’ancien français à Trois-Rivières. La reconversion du professeur de langue en romancier est des plus réussies. C’est fort modestement que l’écrivain a emprunté le sentier des London, Curwood, Hémon et autres conteurs du Grand Nord. Il accomplit, avec L’Iroquois blanc, ce que peu de romanciers français savent au final réaliser : une histoire menée avec conviction et qui, non contente d’instruire et plaire à la manière des classiques, stimulera la réflexion des jeunes lecteurs.
Il y a, pour finir, quelque chose d’un peu québécois dans le roman de Jean-Pierre Tusseau. Cette façon, en un court roman, de cartographier une existence, d’en extraire la substance à l’aide de quelques croquis saillants pour en saisir ce qui ressemble à une mythologie, fait un peu penser à la manière d’une romancière comme Christine Eddie (Les Carnets de Douglas, 2007) qui, bien éloignée des standards du roman contemporain, construit une œuvre généreuse et pleinement humaniste.
Stéphane Labbe
• Jean-Pierre Tusseau, « L’Iroquois blanc », Éditions du Jasmin, 2012.
• Les traductions de Jean-Pierre Tusseau sont disponibles dans les collections « Classiques » et « Classiques abrégés » de l’école des loisirs.
• Marco Polo, Le Livre des merveilles, « Classiques abrégés », l’école des loisirs, 2009.
• Robert Louis Stevenson, L’Île au trésor, « Classiques abrégés », l’école des loisirs, 2013.
• Samuel de Champlain, Voyages, « Classiques abrégés », l’école des loisirs, 2008.
• Samuel de Champlain dans l’École des lettres : un groupement de textes ; une étude : »Relire Champlain« , par Jean-Pierre Tusseau.
• Jean-Yves Tadié, « Le Roman d’aventures », réédité dans la collection « Tel », Gallimard, 2013.