Une conférence de rentrée en intérim

Un dossier de presse aurait-il suffi en cette période politique chahutée par l’absence de gouvernement ? Pour Nicole Belloubet, il s’agissait « d’assurer la continuité de l’État » en maintenant la traditionnelle conférence de presse de rentrée ce 27 août. La ministre démissionnaire en a profité pour passer des dossiers « aux prochains ». Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef

Un dossier de presse aurait-il suffi en cette période politique chahutée par l’absence de gouvernement ? Pour Nicole Belloubet, il s’agissait « d’assurer la continuité de l’État » en maintenant la traditionnelle conférence de presse de rentrée ce 27 août. La ministre démissionnaire en a profité pour passer des dossiers « aux prochains ».

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef

Précautions de langage. Pour esquiver la polémique sur « la ministre démissionnaire qui s’accroche à son poste », Nicole Belloubet a multiplié les arguments d’autojustification en introduction de sa conférence de presse de rentrée, le 27 août, à 10 heures, à Paris et en vidéo sur le site du ministère de l’Éducation

Opposant sa « conscience professionnelle » et son « éthique personnelle » à ce qu’elle a plusieurs fois désigné comme « les affaires courantes » – à savoir la dissolution de l’Assemblée le 9 juin dernier et le marasme politique qui s’enlise depuis – elle a défendu une ligne : « la continuité de l’État », car aucun personnel « ne demande que les sonneries de classe se calent sur le Palais Bourbon ». « L’école n’attend pas, a-t-elle tranché, la rentrée doit avoir lieu et elle aura lieu ». Ce dont, cependant, personne ne doutait. 

Malgré l’interim imposé, Nicole Belloubet tenait, semble-t-il, à montrer qu’elle poursuivait la mission d’apaisement engagée depuis sa prise de fonction à un poste où elle a remplacé Amélie Oudéa-Castera succédant à Gabriel Attal, Pap Ndiaye et Jean-Michel Blanquer, pour un total peu banal de cinq ministres en deux ans. Pour ce faire, la ministre démissionnaire a adressé un certain nombre de signaux aux cadres et personnels de l’Éducation, comme la nécessité de « faire confiance aux enseignants », et l’importance accordée au respect et à la sécurité au sein des établissements.

Sur la forme encore, Nicole Belloubet s’est appliquée à faire la bascule entre la défense de son bilan : « La rentrée est prête, elle a été conduite sous mon autorité », et la transmission, devant témoins, de dossiers importants aux « prochains » : la finalisation des programmes d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ; le décret sur l’obligation d’obtention du brevet pour le passage en seconde ; la formation continue des enseignants ; l’ouverture d’une réflexion sur les temps scolaires ; enfin, et surtout, le souhait que le budget de l’Éducation soit « a minima sanctuarisé » : « Un euro dépensé pour l’éducation, c’est un investissement pour l’avenir de la Nation ».

Défense de la réforme des « groupes de besoins »

Pour les plus d’un million de personnels dont 850 000 enseignants et les 12 millions d’élèves, Nicole Belloubet a ensuite décliné une communication en trois points : l’école comme lieu d’émancipation et d’épanouissement, l’école comme premier service public, et l’école comme antidote aux assignations. Redisant les bienfaits des dédoublements de classe s’ils sont suivis d’une évolution des pratiques pédagogiques (mais sans dire comment ces pratiques pourraient évoluer) elle a rassuré sur la parution des nouveaux programmes de maths et de français pour les cycles 1 et 2 « dès la fin des affaires courantes ». Ils n’entreront en vigueur qu’en 2025, ce qui laisse aux enseignants « un an pour se les approprier et se former ». Elle s’est voulue rassurante également sur la généralisation des évaluations en CE2 et CM2 « outils précieux » pour les professeurs complétant celles qu’ils conduisent eux-mêmes et utiles pour « connaître les besoins et les acquis des élèves et mettre en œuvre des pédagogies différenciées ». 

En la matière, l’ancienne ministre a même réussi à faire passer la réforme dite du « choc des savoirs » en réforme « pour l’égalité des chances ». Balayant toute velléité de faire progresser « les forts » sans qu’ils soient ralentis par « les faibles », elle a pris soin de n’utiliser que la formule « groupes de besoins » et de garantir plus d’attention pour « les plus fragiles sans entraver les plus assurés ». 

Les mots ont leur importance : Nicole Belloubet a également redit son attachement au « socle commun des connaissances jusqu’à 15 ans », et ceci « sans tri social », a-t-elle précisé, favorable à des « pédagogies dynamiques et innovantes et des approches différenciées ». L’objectif de la réforme qui a secoué enseignants et parents d’élèves en 2023-2024, étant, d’après elle, de « réduire l’hétérogénéité des élèves sans la supprimer », et de favoriser le « travail en équipe » et la « dynamique de groupe ». Aux équipes désormais de la mettre en œuvre « avec pragmatisme et souplesse ». Les équipes qui ont alerté tout au long de l’année jusqu’en juin, aux prises avec le casse-tête des nouveaux emplois du temps induits, apprécieront. « Nous les évaluerons », a garanti Nicole Belloubet, utilisant la première personne du pluriel pour l’occasion.

« Rythme de croisière »

Pas d’évolution majeure pour le lycée général et technologique qui aurait trouvé « son rythme de croisière depuis la réforme Blanquer », sauf une amélioration du fonctionnement des stages de seconde, une expérimentation de « prépas seconde », pour « prévenir le décrochage », une meilleure affectation des élèves à l’entrée en seconde et une attention portée à l’orientation des filles vers les filières scientifiques. 

Le lycée professionnel, en revanche, fait l’objet d’une « réforme importante », d’après Nicole Belloubet qui voudrait y voir une « voie d’excellence » supposant de revoir la carte de formation par académie. 

« Bien-être, neutralité, sécurité et approche éthique du monde numérique », a énuméré Nicole Belloubet pour défendre l’école comme un « lieu protégé sanctuarisé », un lieu devant allier « bienveillance, empathie, respect des règles », où la lutte contre le harcèlement est devenue « un élément clé ». 

Le vocabulaire s’est durci quand elle a abordé la question de la neutralité de l’école avec une « tolérance zéro face aux atteintes à laïcité, atteintes racistes et antisémites », la fin du « pas de vagues » (discrétion devant un trouble survenu dans un établissement) et des procédures judiciaires à l’encontre des infractions. Pour prolonger la sécurisation physique de tous et soutenir les équipes mobiles académiques de sécurité une « force mobile scolaire » sera mise en place au niveau national ainsi qu’une sécurisation accrue des accès aux ressources numériques. Et une « pause numérique » sera installée progressivement avec l’interdiction des téléphones portables dans l’enceinte des collèges (ceux dont le règlement ne l’imposait pas déjà ?). « Une feuille de route IA », serait également en préparation, preuve que le pédagogique n’exclut pas le recours au numérique.

Premier service public avec l’hôpital

« Avec l’hôpital l’école est sans doute le 1er des services publics en termes de personnels, budget et territoires», a déclaré Nicole Belloubet regrettant que la réforme de la formation initiale des enseignants ait été «suspendue par les affaires courantes », alors qu’elle créait « une filière spécifique structurée et d’excellence, attractive avec rémunération à bac + 3 ». 

Au niveau des recrutements, la situation serait « en voie d’amélioration » cette rentrée grâce à des concours couvrant « la grande majorité des postes », sauf en Guyane, à Mayotte et dans les académies de Créteil et Versailles. Même satisfecit du côté des AESH qui assistent les élèves handicapés, au nombre de 470 000 en France désormais, un « plan métier » a été lancé. « C’est un travail à construire », a lancé Nicole Belloubet à ses successeurs.

Dans un discours ficelé, l’ancienne ministre de l’Éducation a profité de son statut « sur le départ » pour s’autoriser de discrètes pointes d’humour, en glissant des mots « hésitants » sur le budget par exemple, ou en répétant des acronymes comme NEFLE (pour « Notre école, faisons-la ensemble »), « d’une clarté biblique, non, j’enlève biblique… » 

En insistant sur l’automaticité des bourses, les dispositifs en faveur de la culture des sports comme vecteurs d’émancipation, Nicole Belloubet a eu une attention spéciale pour Sarah Steyaert, professeure des écoles dans l’académie de Poitiers et médaillée de bronze aux Jeux olympiques en voile. 

« La grande pauvreté est de plus en plus présente à l’école, s’est inquiétée Nicole Belloubet, des élèves ne savent pas s’ils pourront manger ni où ils vont dormirCela ne doit pas être ignoré. » 

Concernant l’accueil des élèves handicapés, au nombre de 490 000, ils devraient recevoir un numéro d’identification, profiter du déploiement de structures adaptées et d’un pass pour accélérer la réponse de prise en charge dans quatre départements pilotes. Mais « des évolutions législatives sont attendues », a glissé la ministre démissionnaire.

Enfin, sur le financement de l’enseignement privé et les scandales liés au déficit de contrôles dans certains de ces établissements Nicole Belloubet a renvoyé à l’article L111-1 du Code de l’éducation : «L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation veille, en lien avec les établissements scolaires publics et privés sous contrat et en concertation avec les collectivités territoriales, à l’amélioration de la mixité sociale au sein de ces établissements ». Et elle a assuré : dès septembre les premiers résultats du protocole de «plan mixité » signé avec l’enseignement catholique devront être évalués.

I.M.

Précédentes conférences de presse de rentrée dans L’École des lettres : 


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Ingrid Merckx
Ingrid Merckx