Du roman Tempête au haras au film :
étudier les chaînes d’adaptation avec des élèves
Avant de bénéficier d’une adaptation cinématographique par Christian Duguay, et d’inspirer une version en bande dessinée illustrée par Jérémie Moreau, Tempête au Haras, de Chris Donner, a connu une première vie littéraire en tant que roman de jeunesse. Tout sauf tiède. (Lire la critique de L’École des lettres sur le film Tempête)
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Chris Donner, issu du milieu cinématographique, est un écrivain de l’école des loisirs depuis près de trente ans. Il confirme avec ce livre à succès les promesses d’une œuvre plurielle – de La Disparition de la maîtresse (1990) au Trésor américain (2015) – où l’enfant héros se nourrit de sa sauvagerie pour contrarier les mauvais coups du destin. L’histoire de Jean-Philippe, devenu tétraplégique à la suite d’un violent orage où Tempête, la pouliche phare du haras, a le malheur de lui broyer la colonne vertébrale de ses sabots de futur crack des hippodromes, a donc constitué pour Chris Donner un nouveau défi lancé à la littérature de l’émotion.
La mode de l’adaptation à questionner
La mode de l’adaptation graphique, notamment d’un roman en bande dessinée, a tout lieu de questionner critiques littéraires et enseignants. Ne répond-elle pas d’abord à un objectif un tant soit peu commercial ? Si tel était le cas, justifierait-elle encore un accompagnement pédagogique ? Ces réserves sont d’ailleurs plus accrues à partir du moment où la logique adaptative, comme c’est le cas pour Tempête au haras, mène non seulement du texte à la B.D., mais aussi du texte au film. Plus spécifiquement, à chaque nouvelle adaptation de l’œuvre source, n’est-on pas en droit de se demander ce que sa variante graphique est susceptible d’apporter de plus et corrélativement ce qu’elle élimine ? On comprendra, par conséquent, que les professeurs soient souvent rétifs face au principe de la lecture facilitée d’une œuvre originellement textuelle dépouillée de fait d’une part de sa substance linguistique par la prééminence de l’image.
Une œuvre graphique inspirée
Aux détracteurs de la transformation d’une œuvre littéraire en B.D., il serait possible de répondre que tous les romans, en l’occurrence de jeunesse, ne sont pas possibles à adapter. En effet, la finalisation graphique dépend en grande partie du caractère visuel du récit original. Or, c’est ici tout l’intérêt du travail de Jérémie Moreau. Ce dernier parvient en effet à déployer l’éventail visuel suggéré par le texte même de Chris Donner. On sera notamment sensible à la réévaluation de la place du cheval, plus belle conquête de l’homme, selon le proverbe bien connu.
La bande dessinée met ainsi subtilement en perspective la relation contrariée par le sort, et pourtant intense et définitive entre Jean-Philippe et Tempête. Les deux doubles pages successives (pp. 48-49) et (pp. 50-51), quasiment sans texte, participent naturellement à la création d’un univers onirique qui n’est pas sans faire penser à celui du peintre Marc Chagall. À cet instant, entre rêve et réalité, Tempête se transforme en Pégase, tandis que l’enfant handicapé connaît le vol de Pan et d’Icare. Histoire des arts, mythologie grecque, les ressources culturelles impliquées par le travail graphique demeurent ainsi aussi riches que variées.
Si les grandes étapes du scénario original de Chris Donner sont respectées, du drame jusqu’au saisissant happy end (quasi obligatoire dans un roman destiné à la jeunesse), l’apport illustratif permet de donner à voir la communication silencieuse et paradoxale qui s’instaure entre l’enfant immobilisé à vie par la faute du cheval de sa vie. En ce sens, l’image – gros plan sur Jean-Philippe qui exprime sa douleur à la face gracieuse de la journaliste et incidemment à celle du lecteur – ne vient pas surenchérir l’émotion. Elle ne fait que rendre plus saillante chaque étape de la reconstruction d’un enfant qui déclare à une journaliste avide de compassionnel : « Tous les matins, j’ai envie de mourir. Demain matin, je serai peut-être mort parce que c’est trop dur. Tout est trop dur, injuste et dégueulasse. »
Qui a dit que la littérature de jeunesse n’était qu’un inoffensif livre d’images ou de l’eau tiède ? Tempête au haras parvient à solliciter les grandes questions qui agitent l’enfance : la mort, la souffrance, l’amitié, la relation avec les parents… L’air de rien, c’est-à-dire sans intention didactique, juste pour le plaisir de la rencontre avec une histoire. En attendant que le cinéma poursuive le cycle de transformation, la bande dessinée a produit son effet : quelque chose d’une tempête sous un crâne.
A.S.
Tempête, film français de Christian Duguay, avec Mélanie Laurent, Pio Marmaï, Kacey Mottet-Klein, June Benard, Charlie Paulet, Carmen Kassovitz. En salle le 21 décembre.
Tempête, remise en scène, Ingrid Merckx, L’École des lettres, 21 décembre 2022.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.