Un héros, d’Asghar Farhadi : un peu escroc
Un homme en prison pour dette tente d’honorer son créancier, mais reste le jouet d’une mécanique écrasante. Thriller social, Un héros, d’Asghar Farhadi, brosse une chronique de la société iranienne. Le cinéaste interroge la figure du héros, confronte mensonge et vérité, et observe comment se construit une réputation.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique de cinéma
Un homme en prison pour dette tente d’honorer son créancier, mais reste le jouet d’une mécanique écrasante. Thriller social, Un héros, d’Asghar Farhadi, brosse une chronique de la société iranienne. Le cinéaste interroge la figure du héros, confronte mensonge et vérité, et observe comment se construit une réputation.
Par Philippe Leclercq, professeur de lettres et critique de cinéma
Incarcéré depuis trois ans pour dette, Rahim (Amir Jadidi) bénéficie d’une autorisation de sortie de quarante-huit heures. Un laps de temps certes resserré, mais qu’il entend mettre à profit afin de rembourser en partie son créancier et ancien beau-frère. Il a, pour cela, l’idée de revendre les pièces d’or du sac à main que sa nouvelle compagne, Farkhondeh (Sahar Goldust), a trouvé dans la rue. Un doute cependant, appuyé par un mauvais taux de change, taraude Rahim, qui décide alors de rendre le trésor à sa propriétaire. Il placarde des affichettes sur les murs des environs de la précieuse trouvaille. Une femme se manifeste et récupère son bien. L’affaire se sait, l’homme devient un héros, érigé en modèle de rédemption par les médias et le directeur de sa prison, prompt à faire oublier les suicides qui ternissent la réputation de son établissement… Une association d’actions éthiques organise même une collecte d’argent en son honneur pour lui permettre d’honorer une première échéance de remboursement. Un emploi dans l’administration lui est promis. Rahim, largement récompensé pour sa bonne action, vit un véritable miracle jusqu’au moment où une rumeur commence à enfler sur les réseaux au sujet de son intégrité…
Héros, mais pas trop
Ce long préambule, qui évoque quelque argument de comédie italienne, ne dévoile rien du thriller moral qui lui fait suite et qui constitue son principal intérêt. Son auteur, le cinéaste iranien Asghar Farhadi, à qui l’on doit les excellents À propos d’Elly (2009) et Une séparation (2011), remet sur le métier sa méthode du scénario à tiroirs qui a fait son succès. Il tient en haleine, amuse et déconcerte tour à tour. La trajectoire de son héros épouse les contours d’une société soumise aux injonctions du régime qui a fait du pardon et de la rédemption des vertus publiques fortement médiatisées.
Rahim, désireux de sortir de la geôle où il croupit, se retrouve pris au piège d’une mécanique qui ne cesse de lui échapper. Or, pour tenter de s’en extraire et prouver sa bonne foi, il doit parfois broder sur la vérité quelques approximations qui forment de gros nœuds dramatiques sur lesquels achoppe la crédulité des uns et des autres, habitants de la ville de Chiraz, par ailleurs réputée pour la finesse de ses tapis… Les lieux où il se déplace, les rues et ruelles qu’il emprunte, avec aux lèvres un sourire permanent ou presque, autant pour assurer ses interlocuteurs de son honnêteté que pour se rassurer lui-même, sont les espaces d’un vaste labyrinthe social où il se débat et s’épuise. Il y devient, à son corps défendant, un outil entre les mains des groupes de pouvoir, soucieux de l’opinion et de leurs intérêts respectifs. L’ordre moral, exigé par le régime, doit régner. Il n’est qu’hypocrisie ou manipulation sournoise. La probité est un accessoire de façade comme le certificat de moralité que l’association de bienfaisance a décerné à Rahim et que celui-ci exhibe benoîtement devant les caméras de télévision.
Cet empressement quasi unanime et suspect à répondre aux injonctions du système (à l’exception du créancier jamais dupe de la mascarade) trouve un écho criard et malfaisant sur les réseaux sociaux où les masques tombent (pas les pseudos) et l’insulte jaillit dans un grand débraillage de l’intime et des idées rances. Face aux différentes pressions, le « héros » est sommé de se livrer à toutes sortes de négociations morales, relevant autant du cas de conscience que du dilemme social. Comme toujours chez les cinéastes iraniens, les enfants, en l’occurrence le jeune fils bègue de Rahim, sont les témoins malheureux (la parole empêchée) des turpitudes de ceux qui les élèvent – qui les gouvernent. La quête de Rahim repousse les limites de la patience et questionne avec intérêt le jugement et la conscience du spectateur. Fable humaniste et critique sociale, Un héros invite au voyage archéologique des valeurs universelles dont les contraires ne sont jamais que les deux faces d’une même pièce… d’or.
P. L.
Un héros, film iranien d’Asghar Farhadi (2h07), avec Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Sahar Goldoost. En salle le mercredi 15 décembre 2021.