Record de longévité à l’Éducation nationale
En 2017, Jean-Michel Blanquer entretenait l’espoir et la confiance. Quatre ans plus tard, comment expliquer que son ministère, très contesté chez les enseignants, reste si solidement en place ?
Par Pascal Caglar
Jean-Michel Blanquer bat, cette rentrée, le record de longévité d’un ministre de l’Éducation nationale de la Ve République, poste qu’il occupe depuis le 17 mai 2017. Cette performance était jusqu’à ce jour détenue par Christian Fouchet, ministre de Georges Pompidou du 6 décembre 1962 au 1er avril 1967, soit quatre ans trois mois et vingt-six jours. Durer cependant ne veut pas dire réussir, et comme le dit Alceste à Oronte (dans Le Misanthrope), « Le temps ne fait rien à l’affaire ». En d’autres termes, un long règne peut être une longue désillusion.
Imposant une rentrée en chanson, distribuant les Fables de La Fontaine aux primaires, promettant de nouveaux programmes, un nouveau bac, se définissant comme « ni pédagogiste ni traditionnaliste », ne jurant que par les sciences cognitives, Jean-Michel Blanquer se voulait pragmatique, proclamait l’école de la confiance et le dédoublement des classes de CP, entretenait l’espoir. On était en 2017.
L’état de grâce ne dure jamais. Très vite, on a vu que le remplacement de la plateforme d’Admission Post-Bac (dite « APB ») par Parcours Sup ne réglait pas le problème des bacheliers sans affectation, que la multiplication des vœux était un leurre, que la sélection était toujours présente dans certaines filières, que les réorientations n’étaient pas facilitées. Plus cruel encore, le Covid a révélé l’abandon total des néobacheliers, étudiants perdus dans un enseignement à distance qui n’en finissait pas.
La réforme des filières et le nouveau jeu des « spécialités et options » au lycée n’a pas introduit plus d’égalité pour le bac. Les modalités d’évaluation n’ont cessé d’être contestées, notamment la mise en place des évaluations communes « E3C », heureusement stoppées par le confinement et remplacées par une extension du contrôle continu.
Du reste, concernant le bac, le vrai changement, c’est sa dévaluation : avec plus de 95% de reçus, une explosion des mentions « bien » ou « très bien », les élèves ne savent plus vraiment leur niveau, les établissements d’origine deviennent plus significatifs, pesant d’avantage encore dans l’orientation, et les jeunes sont plus nombreux à se trouver lâchés dans la jungle du supérieur.
Du côté de la formation, difficile d’avoir confiance quand le Capes perd de son contrôle disciplinaire (abandon en lettres de l’ancien français), qu’il se dénature avec une épreuve orale d’entretien et de motivation, que les étudiants en cursus « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF) sont utilisés comme stagiaires, et que le recrutement se tourne de plus en plus vers des profils non académiques.
Ne parvenant pas à faire venir à l’enseignement des étudiants passionnés par leur matière, le parti pris a été d’adapter les conditions d’accès à l’enseignement à tous types d’expériences professionnelles. Porté par le Covid, l’usage des outils numériques, des sites et plateformes officiels, a pris peu à peu la place de la formation traditionnelle à travers les travaux universitaires et tend à uniformiser les pratiques et les évaluations, les ressources et leurs exploitations. Ces tendances nullement cachées sont ainsi à retrouver dûment formalisées dans les propositions du Grenelle de l’Éducation.
Un ministère solidement en place
Pourquoi, dès lors, avec des résultats si peu convaincants et une contestation permanente des enseignants, le ministère Blanquer reste-t-il si solidement en place ? Dans l’écheveau de raisons qui serait long à démêler, on peut au moins tirer deux fils : le fil d’une popularité relativement constante du côté des parents, systématiquement choisis comme interlocuteurs privilégiés de préférence aux enseignants : Jean-Michel Blanquer recherche l’approbation des parents et se soucie peu d’être impopulaire chez les enseignants.
La crise du Covid a bien montré qui étaient les véritables destinataires de sa communication. La laïcité, depuis l’affaire Paty, est un mot d’ordre fédérateur du côté des parents. En outre, avec les « vacances apprenantes », « l’école ouverte » pendant l’épidémie ou la distribution d’ordinateurs portables pour certains élèves du secondaire, l’Éducation nationale donne le sentiment de répondre aux besoins des enfants et des familles.
L’autre fil majeur de la toile tissée par Jean-Michel Blanquer est un pouvoir total sur l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale. Des recteurs aux chefs d’établissement, des inspecteurs généraux aux partenaires de l’Éducation nationale, c’est une politique unifiée qui s’impose, un corps tout entier aux ordres de son chef, porteur d’un plan de modernisation des services, et capable de renforcer les liens entre éducation et culture comme d’annexer le ministère de la Jeunesse et des sports.
Le record de longévité de Jean-Michel Blanquer est digne d’un chapitre de Saint-Simon, tant son succès rappelle les analyses fines et pénétrantes que le mémorialiste de Louis XIV a su faire de certains de ses contemporains intriguant autour du pouvoir, ballotés entre faveur et défaveur.
P. C.
Ressources :
- Sur la modernisation au sein du ministère de l’Éducation nationale :
https://www.education.gouv.fr/la-modernisation-au-sein-du-ministere-de-l-education-nationale-9941
- Sur le Grenelle de l’Éducation :