L’œuvre de Mme de Lafayette peut être approchée comme un matériau permettant d’apporter un témoignage historique d’ordre social, sur le temps de son auteur comme sur l’époque mise en scène dans la fiction. En-deçà de la grande histoire et au-delà de l’histoire psychologique, elle nous donne à interpréter des éléments appartenant à l’histoire des sociétés et des mentalités, sur lesquels l’historien achoppe parfois, faute de témoignages directs de ce qu’il se passe dans l’intimité des foyers et dans le fonctionnement des mentalités. En mettant en scène des héroïnes aux prises avec une passion amoureuse qui les pousse hors des cadres du mariage au mépris de toutes les règles sociales et morales, les œuvres de Mme de Lafayette abordent toutes deux thématiques sociales communes et interdépendantes l’une de l’autre : la situation de la femme au XVIe siècle et les relations conjugales. Elle explore, avec son regard particulier de femme du XVIIe siècle, la recherche d’une certaine affirmation de la personnalité de la femme tout en condamnant sévèrement les écarts moraux, le tout dans un contexte de forte pression sociale exercée sur le beau sexe par toutes les conventions. En faire une étude historique aujourd’hui est intéressant à double titre : cela nous montre, dans une superposition complexe de deux systèmes de vie et de pensée, les mœurs du XVIe siècle et les mœurs du XVIIe siècle. La volonté de réalisme des situations et des mécanismes psychologiques permet à l’écriture historique du XVIIe siècle de donner une vraisemblance et une épaisseur à la fiction, épaisseur du social et de l’intime qui échappe souvent aux documents officiels et à la grande histoire. Dans son adaptation cinématographique de _La Princesse de Montpensier_, Bertrand Tavernier cherche à donner encore plus d’épaisseur à la sphère de l’intimité conjugale et à la situation de la femme, à nous présenter un tableau de la vie et des mœurs du XVIe siècle. Appuyé par les nouveaux éléments apportés par la recherche en histoire de la femme et de la famille depuis ces dernières décennies, il tente de combler les blancs du récit et les lacunes de l’histoire : il développe des scènes de la vie conjugale et familiale restreintes dans la nouvelle historique initiale. Ses objectifs de vraisemblance historique sont les mêmes que ceux de Mme de Lafayette, même si le message moral et interprétatif diverge foncièrement : Bertrand Tavernier explore davantage sur la passion comme occasion pour la femme de s’émanciper des carcans sociaux et moraux imposés par la société du XVIe siècle. Il n’est donc pas exempt des mêmes travers que Mme de Lafayette : il a la tentation de relire dans son œuvre les éléments historiques au prisme du message adressé à ses contemporains. Faut-il pour autant en renier l’épaisseur historique ? Il semble plus intéressant de s’interroger sur la façon dont histoire et fiction se nourrissent et s’enrichissent mutuellement pour se donner à l’une l’autre épaisseur et vraisemblance. **PLAN DE L’ÉTUDE** (56 pages) **I. Le temps de la jeunesse et de la formation** • La jeunesse au XVIe siècle : le temps de la liberté ? • La formation des jeunes filles nobles : faire des épouses vertueuses et accomplies **II. L’arrivée à l’âge du mariage : le poids de la minorité féminine face à la contrainte sociale** • Le mariage : une affaire de raison plus que d’amour • Le mariage : un contrat social négocié par les parents selon des intérêts familiaux et économiques • La nécessité religieuse et sociale d’un consentement réel ou fictionnel des enfants au mariage **III. Le rôle de l’épouse au sein du couple marié : savoir rester à sa place et faire honneur à son époux** • Le mariage : un rituel social avant tout • Le début difficile de la vie conjugale • La tentation de l’adultère : topos littéraire et réalité sociale **IV. La rupture du mariage : la brouille définitive ou le deuil** • La séparation de corps : un moyen de rompre la cohabitation quotidienne mais sans casser le mariage • La maladie : un révélateur du couple ? • La confrontation à la mort de l’autre : entre soulagement et chagrin, l’épreuve des sentiments ? • Le port du deuil et le veuvage • Le remariage et le conflit des générations : un élément du quotidien conjugal au XVIe siècle