Bac 2020 : les enjeux d’une session inédite
Au commencement de l’année scolaire 2019-2020, il y eut la révolution annoncée du baccalauréat et son cortège de résistances tant du côté des élèves que des professeurs de lycée. Mais cela, c’était avant, bien avant que l’Imprévu ait pris les devants en venant, le temps d’un printemps confiné, tout chambouler dans les plans ministériels. Aussi, faute d’apparaître dans sa mouture renouvelée comme attendu, la session 2020 aura-t-elle surtout valu par son caractère inédit.
Le bac en proportion
Comme on le sait, le baccalauréat désigne en réalité trois types d’épreuves bien distinctes correspondant aussi à des volumes d’élèves sensiblement différents. Pour la session 2020, sur 740 601 candidats on en compte ainsi 399 461 au baccalauréat général (53,9 %) contre 185 541 au professionnel (25,1 %) et 155 599 au technologique (21 %). La voie générale demeure donc sinon la voie royale au moins la plus prisée.
Cette situation dont le graphique établi par la DEPP concrétise la permanence quand on compare notamment les courbes « technologique » et « général » qui évoluent parallèlement mérite d’être questionnée car elle induit un certain nombre de conséquences problématiques. En effet, si les filières tendent effectivement vers un renouvellement, certaines constantes demeurent quasi intangibles dans l’inconscient collectif des élèves, des parents et même des professeurs sur les questions d’orientation. Le baccalauréat général continue de bénéficier d’une préférence tacite, comme s’il participait d’un ordre naturel de la scolarité « normale » ou si l’on préfère « naturelle » d’un élève. Or, cette orientation reste extrêmement dommageable pour beaucoup d’entre eux, a fortiori ceux, qui, répondant à une autre loi tacite du système éducatif, ont fait le pari des filières scientifiques, alors même qu’ils ne montraient pas d’aptitudes particulièrement solides en mathématiques ou en sciences physiques.
Une bienveillance de mise
En tout état de cause, l’évaluation des élèves se fera cette année scolaire exceptionnelle avec d’autant plus de bienveillance que le confinement a été finalement la seule épreuve à surmonter. Le contexte étant ce qu’il a été, l’idée promue a consisté à mesurer le degré d’investissement des élèves dans le cadre de l’enseignement à distance sans pour autant tenir compte d’éventuelles notes obtenues au cours de cette période. Dans les faits, la logique de pondération positive a nettement prévalu, de même qu’une tendance assez naturelle à pousser les « avis » vers le haut : un avis assez favorable devenant un avis favorable afin de soutenir le dossier d’un élève. La prescription est d’ailleurs donnée à chaque jury de
« revaloriser certaines notes pour tenir compte de l’engagement dans ses apprentissages, des progrès et de l’assiduité d’un candidat ou lorsqu’il décèle des cas de discordances manifestes, pour l’ensemble des candidats d’un même établissement, au regard des sessions précédentes».
Il convient cependant de reconnaître le degré de complexité de la période vécue par les élèves de terminale : le point de mire des épreuves sur table s’étant tout à coup estompé et avec lui le coup de fouet traditionnel entretenu par la perspective proche de l’examen. Beaucoup de professeurs ont constaté cette logique de démobilisation, d’autant plus forte qu’en dépit de dénégations de façade, certains adolescents ont découvert l’inconcevable, à savoir non seulement que les cours leur manquaient mais aussi et surtout qu’ils en avaient foncièrement besoin ainsi que de la présence à leur côté de leurs « profs ».
Le grand saut dans le vide de l’après ?
Si l’on fait le compte des jours sans cours en ajoutant les mois d’été, on ne sera pas loin de la moitié d’une année. Six longs mois, qui, pour de nombreux élèves inscrits en Licence – 44% pour ceux de la voie générale – risquent de peser lourd dans la reprise des cours à l’université où l’autonomie constitue la compétence fondamentale requise pour avancer au moins jusqu’en L3 sans encombre.
On peut en conséquence affirmer sans grand risque de se tromper que beaucoup d’élèves seront, encore plus que les années précédentes, mis en danger universitaire du fait d’une trop longue période de carence d’apprentissages. De fait, il aurait pu être intéressant que la bienveillance promise du point de vue de l’évaluation du baccalauréat se corrèle à un renforcement des modules de remise à niveau en vue de l’année universitaire 2020-2021. Il s’agit ici de ne pas en rester à un vœu pieux inscrit dans le principe même de la procédure Parcoursup, qui vise à « personnaliser les parcours à l’université pour s’adapter à la diversité des publics et garantir que chacun puisse réussir dans le supérieur, au besoin par un accompagnement renforcé dès sa première année », en remobilisant le monde universitaire, contraint, par règlement sanitaire, depuis de longues semaines, à la politique subie de l’amphithéâtre vide.
Sans doute faudra-t-il enfin réfléchir sur les moyens de palier l’incohérence de certains parcours scolaires, mal conseillés. En effet, en ce qui concerne les élèves issus de la voie technologique, le pourcentage de ceux qui ont émis le vœu « BTS » monte à 50 % contre simplement 13 % en voie générale. Ainsi, loin d’étendre les possibilités de vœux réalistes, le choix de la voie générale ne fait en réalité que les restreindre dans le cas d’un élève moyen.
Il faudrait ainsi rappeler avec plus de force qu’un dossier moyen de voie générale reste bien moins favorable à une optimisation des chances de validation de vœux sur la plateforme Parcoursup qu’un bon dossier de voie technologique.
Le monde de l’après-COVID nécessite de dépasser les enjeux symboliques au profit d’une approche plus pragmatique mise au service de l’épanouissement d’une jeunesse promise inévitablement aux nouveaux assauts de l’Inédit.
Antony Soron
INSPÉ Sorbonne Université
• Note de la DEPP : Résultats définitifs de la session 2019 du baccalauréat (pdf).