Des lycéens de l’option facultative théâtre à la rencontre de l'écrivain et journaliste Matéi Vișniec, à RFI
Le mercredi 15 novembre 2017, les élèves de l’option facultative « Théâtre » du lycée de La-Plaine-de-Neauphle, à Trappes, dans les Yvelines, ont eu la chance de rencontrer le dramaturge Matéi Vișniec, auteur, entre autres, de la pièce Migraaaants sur la tragédie de l’exil, et journaliste à RFI. Une occasion unique de découvrir l’univers des médias et d’approcher un créateur reconnu.
À la suite d’un échange riche et intense, le choix de cette pièce a été confirmé pour la création collective de fin d’année scolaire. Une initiative qui sera suivie par l’École des lettres.
Matéi Visniec, écrivain et journaliste
Né en Roumanie dans la province de Bucovine en 1956, Matéi Vișniec fuit la dictature communiste où la censure réprime les esprits libres. Arrivé en France comme réfugié en 1987, Matéi Vișniec demande alors l’asile politique auprès d’un pays dont il admire autant la langue que la littérature et qu’il connaît bien après s’être immergé dans la lecture de ses classiques. Depuis 1990, il travaille comme journaliste à Radio France internationale tout en étant l’auteur d’une prolifique œuvre écrite en français et en roumain mais également traduite dans une quarantaine de langues.
Matéi Vișniec, qui est aussi essayiste et romancier, est un dramaturge incontournable depuis plusieurs décennies au Festival « Off » d’Avignon, et son œuvre théâtrale est actuellement la plus jouée en Roumanie.
En novembre 2017 Les Paroles de Job a été adapté pour devenir Paroles de cendre, mis en scène, en voix et en musique par la Compagnie de la Gare à Vitry-sur-Seine. Au théâtre de Ménilmontant, en décembre 2017, Lucilla Sebastiani a mis en scène et interprété La femme comme champ de bataille qui traite du viol comme arme de guerre.
Enfin, sur RFI Roumanie/You Tube, nous pouvons retrouver des vidéos dans lesquelles l’auteur-journaliste porte un éclairage sur l’actualité.
« Migraaaants », une pièce de théâtre sur un sujet brûlant
Comme le titre l’induit, la pièce Migraaaants confronte le lecteur-spectateur à une réalité difficile en engageant une réflexion sur la condition des migrants en Europe et plus largement sur la problématique de la migration d’êtres humains qui fuient leur pays ravagé par la guerre. Derrière le phénomène factuel des flux migratoires se donnent à voir des destins brisés par les épreuves à affronter pour accéder à l’Occident et y rester durablement dans des conditions dignes, garantes du respect des droits de l’homme.
L’auteur définit sa pièce comme une succession « de scènes courtes et de situations dramatiques [inspirées de faits réels] où [il] essaie de suggérer le grand dilemme moral dans lequel se trouve l’Europe. C’est une tragédie de l’humanité qui se déroule devant nos yeux, digne du théâtre antique grec où l’homme se confrontait à la force implacable du destin ».
Le sous-titre de la pièce énonce une réalité glaçante : On est trop nombreux sur ce putain de bateau, ce qui apporte un éclairage réaliste, violent et néanmoins lucide sur le parcours des migrants.
Plusieurs espaces se côtoient sur scène : un bateau qui traverse la Méditerranée, un cimetière dans une île perdue au milieu de la mer, le bureau d’un président, et des lieux publics où apparaissent des trafiquants d’organes. On y croise aussi des passeurs qui ont une famille à nourrir et des migrants qui rêvent des pays à atteindre ; un président et son coach, habile à manier un langage politiquement correct, et qui n’assume pas sa responsabilité face à ce drame humain ; une danseuse et une chanteuse voilée ; des prostitués ; des vendeuses de produits anti-migrants ; une grand-mère syrienne à la recherche de ses enfants et petits-enfants, morts au cours d’une traversée ; Elihu et Ayoub, victimes de trafiquants aux visages affables qui exploitent l’espoir naïf des jeunes migrants.
Ainsi, la pièce met en relief des itinéraires de vie souvent tragiques. La charge émotionnelle de certaines scènes est parfois contrebalancée par l’ironie cinglante d’autres séquences qui ciblent un monde marchand omnipotent. Ces tonalités différentes se complètent et décuplent la force de questionnement de l’œuvre où éthique, valeurs et droits humains sont les valeurs premières.
Matéi Vișniec explicite son projet en ces termes : « J’ai voulu écrire une pièce en mouvement, une pièce débat, une pièce qui dévoile des pratiques inhumaines et qui pousse à la réflexion. Je ne suis pas, dans cette pièce, dans la position d’un juge. Je ne juge personne, je capte seulement des situations dramatiques qui m’ont ému et troublé en tant que journaliste. »
Rencontre avec Matéi Vișniec à France Médias monde
Les élèves ont été chaleureusement accueillis par les équipes de France Médias monde, groupe audiovisuel public constitué de France 24, RFI et MCD (radio française en langue arabe diffusée dans dix-huit pays). Cette entreprise compte plus de 1 600 collaborateurs et a pour mission de service public d’offrir aux auditeurs, téléspectateurs et internautes une information ouverte sur le monde et la diversité des cultures.
66 nationalités sont représentées parmi les salariés. Chaque semaine, RFI, France 24 et MCD rassemblent plus de 100 millions d’auditeurs et de téléspectateurs dans le monde. Les trois médias du groupe cumulent 35 millions de visites par mois sur leurs environnements numériques.
RFI, radio d’actualités diffusée mondialement en français et en treize langues dont le roumain, le cambodgien, l’anglais, etc., propose à ses auditeurs des rendez-vous d’information et des magazines offrant des clés de compréhension du monde.
Après avoir découvert le fonctionnement et la diversité éditoriale du groupe, les élèves ont eu la chance de pouvoir interroger Matéi Vișniec. Leurs questions ont montré qu’ils étaient d’abord sensibles à la double fonction de l’auteur, mettant de fait en perspective le rapport entre la fiction et le réel. Journaliste, Matéi Vișniec est quotidiennement en prise avec des informations et reportages sur les migrants et cette matière réelle faite d’anecdotes vécues peut constituer le point de départ d’une inspiration littéraire pour créer des situations dramaturgiques. L’auteur s’est en effet extrêmement documenté sur le sujet des migrants avant d’écrire sa pièce.
Une élève a demandé pour quelle raison le titre contenait quatre a au lieu d’un et l’auteur a émis sa propre interprétation sans la définir comme vérité universelle. Selon lui, cela peut suggérer le déplacement des migrants tout autant que le cri face à un danger ou un signal d’alarme.
Certains ont questionné la tonalité cynique de certaines scènes de Migraaaants. Matéi Vișniec leur a rappelé la fonction de l’artiste, désireux de changer une situation humainement insupportable en faisant réagir le public et en créant des ouvertures intérieures chez le lecteur-spectateur. Selon lui, l’ironie, la dérision et le grotesque sont des procédés artistiques très efficaces pour souligner l’horreur et dénoncer la négation des libertés, des droits humains et toutes les compromissions qui bafouent un cadre éthique qui devrait a priori prévaloir sur l’argent et le profit.
Le théâtre s’acquitte d’une mission d’éveil des consciences en jouant avec l’émotion. C’est cette émotion que l’auteur veut aussi transmettre pour faire grandir à la fois notre humanité, notre compréhension du monde et notre esprit critique.
Ses propos sur le théâtre comme réappropriation fictionnelle d’un fait réel et comme espace d’émotions à partager pour stimuler nos interrogations, font écho à ceux d’un autre journaliste, Boris Razon, que l’on peut lire dans le numéro spécial de l’École des lettres, « Raconter le réel : du documentaire à la fiction » (n° 3, 2014-2015) : « La fiction provoque des réactions et l’envie d’agir là où l’information bloque, inhibe et est reçue comme un choc. »
Si la pièce de Matéi Vișniec a été reçue comme un choc par les élèves, elle a aussi touché leur sensibilité et leur a donné envie de l’interpréter pour porter la voix de son auteur vers un autre public afin de le faire réagir à son tour sur un tel sujet « coup de poing ».
L’artiste et le journaliste
D’autres questions ont émergé sur le rapport à la double culture et à la langue. Matéi Vișniec considère que la langue française est plus précise que la langue roumaine et il lui semble plus aisé de dire en français beaucoup de choses en peu de mots. Il n’a d’ailleurs pas manqué d’insister sur le rôle fondamental de la littérature dans la construction de soi-même et dans la compréhension que l’on a du monde. Certaines réponses existentielles peuvent se trouver dans les livres.
Enfin, la question de la censure sous la dictature de Nicolae Ceausescu a été soulevée et l’auteur a raconté aux élèves une anecdote qui les a marqués : quand il vivait en Roumanie, avant la chute du mur et l’effondrement du communisme, Matéi Vișniec travaillait pour un journal. Alors qu’il proposait de publier l’un de ses poèmes où figurait le mot « vieux « , il s’était vu prier de corriger son texte pour ne pas indisposer le dictateur déclinant.
Matéi Vișniec a expliqué que l’auto-censure lui était impossible en raison notamment de cette expérience personnelle. En revanche, il comprenait très bien qu’un metteur en scène puisse éluder une scène trop dure. L’auteur offre une matière verbale et le metteur en scène a la liberté de s’en emparer comme il le souhaite, et de trouver un sens personnel.
Une élève a interrogé la construction particulière de la pièce Migraaaants, fondée sur l’entrecroisement des espaces et qui donne ainsi à voir une mosaïque de situations diverses. Dans ses pièces, l’auteur-journaliste offre un point de vue d’artiste et montre comment le phénomène des migrations va changer le visage de l’Europe.
Une expérience pédagogique et humaine
Cette rencontre entre un dramaturge-journaliste et des élèves en option facultative « théâtre » réaffirme l’importance de la mission éducative artistique et culturelle en milieu scolaire et du partenariat avec des structures extérieures. En effet, grâce à ces échanges captivants sur les plans humain et culturel, l’enseignement artistique répond aux objectifs d’ouverture d’esprit, d’exploration de l’imaginaire et de développement de l’esprit critique.
Les élèves ont pu se familiariser avec des enjeux contemporains majeurs tout en saisissant l’importance de la lecture et du regard singulier qu’un artiste peut porter sur le monde en inventant une forme littéraire et artistique singulière pour dire le réel. Cette sensibilisation aux questions qu’une telle problématique de société peut soulever va de pair avec celles plus existentielles touchant à la condition humaine.
Dans le prolongement de cette rencontre, les élèves ont pu visiter l’ensemble des locaux de France Médias monde et ont été invités à lire de courts extraits de la pièce Migraaaants en studio d’enregistrement. Ils vont pouvoir désormais appréhender la problématique de cette œuvre à travers la médiation des personnages de théâtre qu’ils vont interpréter.
Un prochain article sera consacré au travail de mise en scène de la pièce de Matéi Vișniec que les élèves sont en train d’imaginer avec le concours d’un intervenant artistique, le comédien Étienne Guichard.
Caroline Riva, professeure de lettres option théâtre
au lycée de La-Plaine-de-Neauphle, à Trappes
• Vidéo : Interview de Matéi Vișniec (2014).
• Le festival de théâtre de Sibiu, en Roumanie, par Matéi Vișniec.
• Le groupe France Médias monde.
• Le site de RFI.
• « Raconter le réel : du documentaire à la fiction », un numéro spécial de « l’École des lettres » (n° 3, 2014-2015), téléchargeable et disponible sur demande à courrier@ecoledeslettres.fr