« Les Héritiers », de Marie-Castille Mention-Schaar. Pour un cinéma de résistance
Dans son essai, L’Identité malheureuse (2013), Alain Finkielkraut prenait comme exemple à charge contre une école « sans lois » le film La Journée de la jupe. Il omettait de fait sciemment des représentations cinématographiques des lieux d’enseignement moins désespérantes, comme l’admirable film documentaire Nous, Princesses de Clèves.
Les années 2000 ont d’ailleurs été propices à une intrusion de la caméra « entre les murs » afin d’y capter envers et contre tout le meilleur, comme en témoignent singulièrement La Cour de Babel et plus récemment Les Héritiers, réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar en 2014.
Un film de « résistance » par la Résistance
Amhed Dramé est à l’origine du projet cinématographique. Cet ancien élève du lycée Léon-Blum de Créteil, désireux de faire carrière dans le cinéma, a eu l’aplomb de transmettre un scénario par mail à la réalisatrice, scénariste et productrice Marie-Castille Mention-Schaar pour qu’elle émette un avis. De là, comme dans les plus belles histoires, se crée entre l’adolescent et la cinéaste une fructueuse alchimie autour de la participation au Concours national de la Résistance et de la Déportation d’une classe de seconde prétendument « poubelle ».
Tout part donc d’une histoire vraie narrée par Amhed à Marie-Castille, impliquant l’expérience engagée par Anne Anglès, professeur d’histoire et professeur principal du jeune garçon durant l’année 2009. Le film, ancré dans la réalité multicommunautaire du lycée, ne force pas le trait idéaliste en ne cachant rien des turbulences propres aux zones d’éducation prioritaire. Néanmoins, comme c’était le cas aussi d’Entre les murs, quelque chose d’« invraisemblable » se passe tandis que s’impose la réelle présence d’une jeunesse moins « creuse » que les médias le laissent entendre si souvent.
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable
Le spectateur sent ainsi s’animer peu à peu le projet des co-scénaristes qui, récusant toute lourdeur didactique, tend à opposer résistance superficielle au savoir et Résistance historique à l’oppression nazie. La construction dramatique de ce film fort et propice à la réflexion trouve son point d’orgue autour de la scène charnière où Léon Zygel, ancien déporté, vient témoigner de ce qu’il a vécu…
À la question récurrente qui lui est posée par les journalistes, la réalisatrice a coutume de répondre : « Non, bien sûr que non, ce film n’a pas pour fonction d’idéaliser les faits. » Mais ici encore, il n’est pas facile de défendre une position à rebours des idées reçues. La représentation d’une classe de « lascars », pour être crédible, ne doit-elle pas les confondre dans leur indécrottable médiocrité ou nullité ? Le vrai a donc ici, pour bien des regards, quelque chose d’invraisemblable : comme si le « no future made in banlieue » constituait une vérité générale communément admise en France.
Et au milieu coule (pourtant) une rivière de mémoire…
Ariane Ascaride, comédienne discrète, n’en est pas moins, comme on le sait, une artiste engagée. Elle campe dans Les Héritiers une professeure d’histoire et d’histoire des arts habitée par le désir de transmettre. Petite hussarde de la République aux lunettes aussi rondes que ses yeux pleins d’espoir, ce nouveau personnage de « prof » marqué par le deuil et pourtant « combattant » s’engage dans la gageure d’inscrire de façon paradoxale la pire classe qui soit dans la plus improbable des aventures humaines.
La comédienne au jeu toujours aussi clair et juste n’a pas cherché à incarner avec une grandiloquence déplacée une pêcheuse d’âmes, visant simplement à donner corps à une petite personne qui, comme le docteur Rieux dans La Peste d’Albert Camus, a la ferme conviction que le vrai engagement se mesure à petite échelle. Le dernier plan sur une année scolaire qui recommence, avec ses rituels obligés confirme alors – comme il en est plus que besoin de nos jours – qu’il y a bien encore des professeurs heureux de remettre cent fois sur le métier leur ouvrage.
À quand de beaux projets de classe sur la représentation de l’école au cinéma ? De La Cour de Babel aux Héritiers, il y a désormais matière à discussions ! À condition de se souvenir que les « héritiers » dont parlent le film ne sont pas ceux de Bourdieu mais, en dépit de tous les préjugés, les vivants piliers de « nos futurs ».
Antony Soron, ÉSPÉ, Paris
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• Voir sur ce site la critique des « Héritiers » , de Marie-Castille Mention-Schaar par Anne-Marie Baron.
• « Le ciel attendra », de Marie-Castille Mention-Schaar, ou l’urgence d’une mise en garde, par Anne -Marie Baron.