Les combats de la littérature
Cette semaine, et à l’occasion de quelques événements, les suppléments littéraires de nos quotidiens affichent tous en une les combats de la littérature, anciens ou contemporains.
Panorama.
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La littérature monde, une idée d’avenir qui fête ses dix ans
Pour Livres et idées, le supplément de La Croix, c’est la question de la Littérature monde qui importe, à l’issue du week-end des Étonnants Voyageurs ; l’occasion de refaire le point sur ce concept lancé il y a dix ans et qui avait fait grand bruit : pourquoi distinguer entre écrivains français et francophones s’était-on demandé à l’époque ? On c’est Michel Le Bris, Jean Rouaud, Alain Mabanckou et Anna Moï, la première à lancer la révolte de ces écrivains relégués aux marges de la littérature. Cette dernière vient de recevoir le prix Étonnants Voyageurs.
On notera dans Le Monde des livres de cette semaine l’article que Jean-Louis Jeanelle consacre au livre de Claire Ducourneau, La Fabrique des classiques africains. Écrivains d’Afrique subsaharienne francophones. Il s’agit d’un ouvrage sérieux publié aux éditions du CNRS mais qui rappelle des situations parfois ubuesques pour ces écrivains qui doivent se conformer avant tout aux stéréotypes occidentaux de la littérature africaine.
Un exemple avec Les Crapauds, roman de Tierno Monénembo, qui devient en 1979 Les Crapauds de brousse afin de « sonner » africain. Le paradoxe contemporain serait plutôt que ces écrivains sont devenus aujourd’hui, en raison même de leur reconnaissance, des auteurs mondiaux et voient leur lien avec l’Afrique se distendre.
La lutte pour le verbe !
Émancipation également, ou retour en grâce annoncé quoique très progressif pour la poésie avec une interview de Zéno Bianu en une du Rendez-vous des livres et à l’occasion du marché de la poésie place Saint-Sulpice. « C’est le salon du livre des petits éditeurs, qui sont grands quant à l’exigence. Il est bel et bon que cela continue dans un contexte où les choses ne sont pas des plus aisées pour l’art en général et la poésie en particulier. »
Pour le poète, la poésie ne se vend pas bien parce qu’elle est mal diffusée, mais c’est un genre vital, il suffit d’y croire un peu : « Rappelons-nous la façon dont Cocteau classait ses livres. Il parlait de poésie de poésie, de roman de poésie, de cinéma de poésie, pour dire à quel point elle était au centre. »
Le cahier est complété par une présentation du travail réalisé par Yves di Manno et Isabelle Garron, Un nouveau monde. Poésies en France 1960-2010 qui, selon Alain Nicolas, expose la méthode suivie par les auteurs « un ou deux auteurs représentatifs des regroupements effectués et, pour chaque période, quelques solitaires ». Il ajoute : « Ce volume est un acte, disent les auteurs, c’est ce qui fait tout son prix« , avant de conclure qu’ »il s’impose dès aujourd’hui comme une référence ».
On découvrira de nombreux autres poètes dans les pages du supplément de L’Humanité, et notamment la résistance incarnée par les textes de Claude Ber rassemblés dans le recueil au joli titre Il y a des choses que non et publié chez Bruno Doucey. On lira également dans Le Monde des livres l’entretien accordé par Franck Venaille à Éric Loret : « J’aime bien dans un premier temps que ma poésie, mon écriture passe inaperçue, et qu’elle soit souterraine. Je compare souvent la poésie à une taupe, ou un hérisson. Ce n’est pas du tout péjoratif : ce sont des animaux attachants. Les journaux britanniques consacrent des articles à la façon d’attirer les hérissons dans les jardin, de les apparier entre eux – car celui-ci est veuf, celui-là est malheureux… Alors j’ai l’impression que je suis un hérisson de jardin » (Requiem de guerre, Mercure de France).
De l’engagement considéré comme un des beaux-arts
Enfin le Figaro littéraire monte également au créneau en célébrant les écrivains engagés. Taslima Nasreen, Asli Erdogan, John Le Carré comme références pour le dossier, et deux entretiens avec Mario Vargas Llosa et Kamel Daoud. Le premier souligne que l’on a perdu le sens de l’engagement dans le journalisme, il ne lit dans ce dernier qu’un relai de la propagande officielle : « Le problème en Occident, ajoute-t-il, c’est que la littérature ne trouve plus d’échos dans la vie publique. La critique sérieuse a disparu de la presse. »
Son nouveau roman, Aux cinq rues, Lima, développe ce dernier point. On notera cependant que cette tribune se trouve dans un titre de large diffusion.
Quant à Kamel Daoud, il pourrait résumer à lui seul l’ensemble des combats que nous évoquons ici : dans l’entretien qu’il accorde à Sébastien Lapaque, sur ses terres d’Oran, il revient sur son parcours et son rapport à la langue. Iil se tient assez éloigné des considération du choix d’une langue d’expression, « tout simplement parce que je ne parle pas la langue de l’autre. Je parle la mienne ». Ses références sont bien entendu empruntées à plusieurs cultures, même si celles-ci se rattachent au tronc central que constitue sa ville d’Oran et l’Algérie : « La décolonisation a fabriqué un espace linguistique insulaire. La langue française s’est tropicalisée, la syntaxe s’est disloquée et de nouveaux mots sont apparus. Je n’ai aucun complexe vis-à-vis de cette langue qui est la mienne. »
Enfin combats aussi et engagements en une de Libération ce jeudi : Curzio Malaparte et ses chroniques, les « battibecco » ou prises de bec, nous dit Philippe Lançon dans l’article qu’il leur consacre. Il raconte la vie de tous les jours en Italie mais sans pouvoir se résoudre à s’effacer devant le sujet. Il va voir le pape et c’est lui le personnage principal. Le critique de tirer la morale de ces textes piquants : « L’écrivain est en lutte perpétuelle avec le personnage pour que les deux bâtissent une légende » et, bien mieux encore, « il transforme ces causes en burins pour sculpter sa statue ».
Comme on le voit, si on ne leur donne pas toujours l’écho qu’elles méritent, la littérature et les idées ne cessent pour autant de danser ensemble au point qu’on les voit confondues.
Frédéric Palierne