Le prix Manga'titude
Le prix Manga’titude est un prix littéraire autour du manga organisé depuis cinq ans par cinq professeures documentalistes de l’académie de Limoges, Aurélie Laurière, Marielle Puyhaubert, Laëtitia Raynaud, Béatrice Augeard et Anaïs Denis.
Le manga, bande dessinée créée au Japon, fait partie intégrante de la culture nipponne. En France, en raison de la diversité des thèmes abordés, il connaît un vif succès auprès du public adolescent depuis les années 1990.
Ainsi, en tant qu’enseignants documentalistes, nous avons conscience qu’aujourd’hui, beaucoup d’adolescents sont lecteurs essentiellement de mangas, d’où la volonté pour nous de nous intéresser à ce genre de lecture et de nous pencher sur l’intérêt de proposer un fonds manga de qualité dans les CDI. Pour cela, il nous est apparu nécessaire de monter un projet, à travers ce prix, qui permettrait aux élèves et aux professeurs documentalistes d’approfondir leurs connaissances sur l’univers des mangas.
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L’origine du projet
Plusieurs enseignantes documentalistes de l’académie s’étaient inscrites en 2009 au prix Mangawa créé par des libraires spécialisés et six d’entre nous avions décidé de nous retrouver un après-midi, dans un lycée de Limoges, avec les élèves de nos comités de lecteurs, afin d’échanger sur la sélection proposée par ce prix et de voter collectivement pour décerner le prix Mangawa.
Ce prix ne nous a pas apporté de satisfaction pour plusieurs raisons :
– un nombre trop important de quinze mangas à lire, ce qui ne facilitait pas les échanges entre élèves ;
– le choix de certains titres, peu enclins à figurer dans les CDI ;
– un objectif commercial incontestable, puisque la convention passée avec les librairies organisatrices du prix obligeait les professeurs documentalistes à commander les mangas à ces librairies ;
– un manque d’objectifs pédagogiques de la part de ces librairies qui ne proposaient rien autour de ce prix.
Suite à cette demi-journée, nous avons réfléchi à la mise en place d’un prix Manga académique, le prix Manga’titude.
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Le prix : objectifs et sélection des mangas
Le prix Manga’titude s’adresse aux élèves de 4e et de 3e en collège, mais aussi aux élèves des lycées GT et lycées professionnels de l’académie de Limoges. Les animateurs de ce prix dans les établissements scolaires sont les responsables des CDI.
Neuf à dix mangas sont sélectionnés, chaque année, par un comité de professionnels (professeurs documentalistes, libraires) parmi trois catégories : shonen, shojo, seinen. Le shonen a pour cible éditoriale les jeunes garçons adolescents, le shojo vise plutôt un lectorat de jeunes jeunes filles adolescentes, le seinen s’adresse aux jeunes adultes de sexe masculin..
Lorsque nous avons créé le prix, nous nous sommes fixées des objectifs pluriels répondant au souhait de nous adresser aux élèves, bien sûr, mais également aux professeurs documentalistes et éventuellement aux professeurs d’autres disciplines. Notre objectif premier était, bien évidemment de faire découvrir l’univers du manga aux « néophytes » adolescents et adultes. De là découlent les autres objectifs, à savoir la volonté de valoriser ou mettre en place un fonds manga dans les établissements scolaires, rapprocher les adultes et les adolescents autour des codes du manga, notamment par la création de comités de lecteurs, orienter les jeunes lecteurs vers un manga de qualité, favoriser les passerelles entre collèges, lycées et lycées professionnels et valoriser l’implication des élèves en récompensant leur travail lors de la journée finale.
Les inscriptions au prix Manga’titude par les établissements se déroulent entre la rentrée de septembre et les vacances de Toussaint. De novembre à avril, dans les établissements respectifs, est mise en place la lecture des mangas sélectionnés par l’intermédiaire du professeur documentaliste via l’animation de comités de lecteurs avec les élèves et par le lien entre établissements grâce à un blog pédagogique modéré par les organisateurs.
Au mois d’avril, tous les participants se retrouvent à Limoges pour rencontrer des professionnels du manga, participer à des ateliers de dessin, assister à des plaidoyers d’élèves volontaires et voter pour décerner le prix Manga’titude au volume qu’ils ont préféré. Ce jour-là, des élèves peuvent participer à un concours de cosplay.
Parallèlement, lors de cette journée, des prix sont attribués aux établissements et élèves inscrits. Des prix individuels récompensent les meilleurs commentaires rédigés sur le blog, les meilleurs plaidoyers présentés lors de cette journée, les meilleurs dessins du concours Manga’fiche (concours complémentaire, le meilleur dessin étant choisi pour l’affiche de l’édition suivante de Manga’titude), enfin les meilleurs costumes d’un concours de cosplays, désignant des costumes de personnages de manga. Divers lots sont à gagner : mangas, matériel de dessin, DVD, clés USB, sacs à dos, produits dérivés de mangas, T-shirts…
L’achat des mangas et le transport des élèves sur la journée finale sont pris en charge par les établissements.
Nous choisissons chaque année neuf ou dix mangas selon des critères précis :
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Représentation des trois genres principaux (shonen, shojo et seinen).
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Préférence pour des séries courtes pour que les professeurs documentalistes puissent en acquérir la totalité, à terme.
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Choix de mangas récents afin qu’ils ne soient pas trop connus et déjà lus par les élèves.
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Choix de mangas de qualité avec des sujets variés et pour certains, représentatifs de l’histoire du manga et de la culture japonaise (avec, par exemple, Divine Nanami sur les Yokais et divinités japonaises, Daisy et Je reviendrai vous voir sur la catastrophe de Fukushima, J’aime les Sushis sur la gastronomie nippone, Bakuman sur le métier de mangaka…)
Pour cela, nous consultons régulièrement les revues et sites web spécialisés, nous tenons compte des conseils avisés des libraires de Limoges et, bien sûr, nous lisons énormément de titres pendant les vacances d’été.
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3. La journée finale, point d’orgue du prix
Nous avons tout de suite souhaité un événement fédérateur autour du prix avec une journée de clôture à Limoges en présence de tous les élèves inscrits et de leurs enseignants.
L’un des principaux objectifs du prix est d’apporter des connaissances aux élèves et aux professeurs documentalistes sur l’univers du manga. Comme il est très difficile de faire venir directement des auteurs du Japon, nous avons dû chercher d’autres professionnels : spécialistes, éditeurs, dessinateurs français de bande dessinée avec un style graphique inspiré du manga…
Les participants ont donc eu la chance de pouvoir rencontrer différents intervenants :
Patrick Sobral, auteur de la série BD d’inspiration manga « Les Légendaires » (Éditions Delcourt, Paris) ; Gwénaël Jacquet, journaliste critique de mangas pour la revue spécialisée en ligne BD Zoom ; des membres des éditions Akata ; l’auteur Michaël Almodovar pour son manga Les Torches d’Arkylon (Éditions Akata, Le Dorat) ; l’auteur Le Fab ; le dessinateur Michaël Bettinelli pour sa BD Le Grimoire pourpre (Les Ardents Éditeurs, Limoges) ; l’auteur de BD d’inspiration asiatique Nicolas Sauge ; les dessinateurs de l’association L’École du Crayon de Bois qui proposent des ateliers dessin aux élèves.
Cette recherche d’intervenants est le point le plus compliqué de l’organisation avec la recherche de financements. En effet, il est très important pour nous de varier les intervenants d’une année sur l’autre car les élèves participent très souvent au prix sur plusieurs années.
Nous avons la chance d’avoir des partenaires réguliers : le rectorat de Limoges et la DRAC, la Sofia, les Carrières de Condat, la Maif, la MGEN, le Conseil départemental de Haute-Vienne et le Conseil régional du Limousin ainsi que certains éditeurs comme Pika, Ki-oon et Akata. Nous avons également le soutien de la mairie de Limoges et de la Bibliothèque francophone multimédia pour le prêt de salles pour la journée finale.
« Victimes » de notre succès avec plus de 600 élèves inscrits à chaque édition depuis deux ans, nous avons dû faire appel à plus d’intervenants et cette année, pour la première fois, organiser deux journées finales. Pour pouvoir financer ces journées, nous avons donc choisi de demander une contribution financière de dix euros aux établissements scolaires.
Nous avons également décidé de créer l’association Manga’titude, pour faciliter les demandes de subventions, percevoir les cotisations des collèges et lycées inscrits et aussi rémunérer directement les intervenants.
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L’édition 2016
Pour cette cinquième édition, nous avons dû organiser deux journées finales au lieu d’une, devant le nombre conséquent de participants : plus de 620 élèves, soit près de 710 participants avec les accompagnateurs, de 25 collèges et 22 lycées et lycées professionnels de l’académie.
En plus d’un important travail personnel en dehors du temps scolaire, trois journées banalisées nous sont nécessaires pour tout organiser :
– finaliser la sélection des neuf mangas ;
– créer l’association et son compte bancaire associé ;
– contacter les établissements et concevoir les supports de communication ;
– chercher des intervenants ;
– organiser le planning des deux journées finales, répartir les établissements dans les différentes salles et gérer les questions techniques ;
– se répartir les demandes de financement et de lots ;
– sélectionner les meilleurs commentaires et les meilleurs dessins (parmi les 136 œuvres qui nous ont été envoyées cette année) ;
– préparer l’exposition des dessins et répartir les lots ;
– répondre aux nombreuses questions et sollicitations des établissements….
Lors des deux journées finales, les 28 et 29 avril 2016, les élèves ont assisté aux interventions de deux auteurs de bandes dessinées et de Bruno Pham, qui travaille pour les éditions Akata. En matinée, Jérome Ledouble et Rémy Laucournet, de l’association L’École du Crayon de Bois, ont proposé un atelier de dessin et Bruno Pham a présenté le travail d’éditeur de mangas : choix des mangas au Japon, négociation des droits, travail de traduction et de mise en page, édition de mangas français…
Les après-midi, les participants se sont tous réunis pour assister aux défilés de 64 élèves cosplayers et à 22 plaidoyers préparés par des élèves volontaires de différents comités de lecteurs, pour défendre leur manga préféré.
A la pause, chaque élève a déposé un bulletin de vote dans une urne, pour élire son manga préféré. Au retour de la pause, nous avons remis les différents prix aux élèves et aux établissements ainsi que le Prix Manga’titude 2016, attribué cette année à The Ancient Magus Bride, de Koré Yamazaki (éditions Komikku).
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Conclusion : bilan sur cinq ans
Les élèves sont souvent ravis de participer à ce projet et la majorité de ceux que nous avons pu interroger nous ont dit qu’ils étaient prêts à renouveler l’expérience. Ils apprécient les interventions des journées finales, en particulier les ateliers de dessin. Qu’ils soient lecteurs avertis ou non de mangas, ils prennent du plaisir à lire les titres de la sélection. Il est est aussi intéressant de noter que la plupart d’entre eux nous ont reconnu qu’ils ne seraient pas allés d’eux-mêmes, en librairie, vers certains des mangas proposés et que cela avait été pour eux une découverte très positive.
A priori, ils aiment aussi échanger sur leurs lectures, que cela soit grâce au blog ou en comités de lecteurs. Enfin, les plaidoyers des journées finales, en constante augmentation, montrent que les élèves ont un regard critique et très varié sur les mangas lus.
À chaque édition, nous observons une émulation et un investissement toujours plus importants des élèves inscrits. Ainsi, pour l’édition 2016, certains élèves avaient choisi de présenter leur plaidoyer sous forme de courtes saynètes très réussies. Des clubs mangas ou asiatiques se créent dans certains établissements où les élèves échangent sur leurs lectures et la culture nippone, s’exercent au dessin et préparent leurs costumes pour les journées finales de Manga’titude.
Pour les enseignants documentalistes, participer à ce projet est positif pour plusieurs raisons En effet, grâce aux intervenants et à la lecture de la sélection, ils ou elles peuvent mieux connaître cette culture manga, partagée par beaucoup d’adolescents, et mieux appréhender ses codes ; en outre, cela permet de fédérer les élèves de tous niveaux et de mélanger les publics autour d’un projet culturel notamment par la mise en place de comités de lecteurs et la participation des élèves au blog et aux plaidoyers favorisant également le travail sur l’expression écrite et orale ; enfin, cela permet d’enrichir le fonds manga du CDI, la sélection regroupant des titres de qualité que les élèves des comités de ne se privent pas de diffuser auprès de leurs camarades.
Pour les organisateurs, c’est un projet très intéressant à mettre en place. Même si la logistique est très consommatrice en temps, le sourire des élèves à l’issue des journées finales vaut bien toutes ces heures passées !
Aurélie Laurière, lycée professionnel Marcel-Pagnol, Limoges,
& Anaïs Denis, lycée Jean-Giraudoux, Bellac
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• Le blog du Prix Manga’titude.
• Voir dans « l’École des lettres » les articles consacrés à la bande dessinée.
Je regrette de ne plus être au lycée, car cet évènement est extraordinaire. Un énorme merci aux organisateurs pour leur travail et leur dévouement 🙂