« Tout en haut du monde », de Rémi Chayé, au firmament du cinéma d’animation
Prix du public au festival du film d’Annecy en 2015, Tout en haut du monde demeure le fruit d’une longue maturation artistique de la part de son réalisateur. Rémi Chayé ne s’était-il pas déjà embarqué dans l’aventure de L’Île de Black Mor de Jean-François Laguionie (2004) et de Brendan et le secret de Kells de Tomm More (2009) ?
S’il n’est pas question de « dogme » fédérant le travail de ces trois raconteurs-plasticiens du cinéma d’animation, il est néanmoins évident qu’ils partagent un même désir d’exploration, considérant comme allant de pair l’écriture d’une aventure, ici celle de la petite Sacha, jeune fille de l’aristocratie russe contredisant le destin prescrit par son rang, et l’aventure de l’écriture cinématographique à destination d’un très large public.
La quête du pôle Nord qui est ici au cœur de l’intrigue supposait d’apporter notamment un soin particulier à l’arrière-plan du récit : à savoir la blancheur polaire, potentiel linceul de l’équipée sauvage tout au long de ce récit filmique d’une rare intensité dramatique.
Un vrai film d’aventures
Le scénario de cette œuvre de fiction qui situe l’action en 1882 s’appuie sur la réalité de l’exploration du pôle Nord. En effet, en 1880, l’aventurier Robert Peary parvient à y planter le drapeau américain. Parti de Saint-Pétersbourg la même année, le grand explorateur russe Oloukine s’embarque sur le Davaï afin de conquérir, lui aussi, le lieu de toutes ses batailles exploratrices. Malheureusement, il ne reviendra pas de son dernier voyage à la pointe du monde. Convaincue que le bateau de son grand-père, « à la coque renforcée » comme elle le martèle à ses contradicteurs, a pu résister aux glaces de l’Arctique, sa petite fille, se lance sur ses traces en compagnie d’un équipage au long cours.
Le cinéma d’animation a trop gros budget a habitué son public a courir en file indienne après un horizon d’attente des plus attendus. Entre poncifs et passages-obligés, rien de nouveau sous le soleil du septième art même en trois dimensions… À l’inverse, à l’instar de Phantom Boy, autre réussite majeure du genre l’année passée, Tout en haut du monde ose présenter avec autant de modestie que d’inventivité narrative un éventail de personnages atypiques confrontés à des situations extrêmes où le naturel revient inexorablement au galop.
Outre la jeune fille de 14 ans qui brave les dangers avec un courage et une ténacité digne des plus grandes aventurières de la littérature pionnière, chaque personnage dévoile une personnalité forte suscitant la curiosité : Katch, le jeune mousse voué à un amour naissant pour la jeune aristocrate aventureuse, Lund le capitaine taiseux du Norge, Larson, son frère, arnaqueur dans l’âme qui va progressivement regagner la confiance et l’estime de son aîné.
Pour autant, jamais le film ne cherche à forcer les effets. Tout au contraire, il laisse le soin au paysage glaciaire tout à la fois de la plus sublime pureté et de la dangerosité la plus extrême de déployer naturellement sa capacité d’envoûtement et la force de ses mystères. La fracture des immenses glaciers et les incessants bruits de craquement créent un climat d’inquiétante étrangeté propice à toutes les craintes du spectateur.
La regrettable déprogrammation précoce des films d’auteur
Tout en haut du monde a été projeté sur les écrans hexagonaux le 27 janvier pour les quitter moins de trois semaines plus tard comme par désenchantement. Conséquence fâcheuse, tant et tant d’imaginaires d’enfants, de collégiens qui auraient eu tout à gagner à se laisser porter par ce voyage périlleux se voient frustrés d’un modèle de récit d’aventures. Or, comme La Fille des batailles de François Place, cette fois dans la catégorie de l’album de jeunesse, le film de Rémi Chayé constitue une formidable entrée tout à la fois dans l’univers des explorateurs, Magellan, Livingstone ou encore Vasco de Gama, et dans celui des romans d’aventures, de L’île au trésor à L’Appel de la forêt.
Il y a donc bien quelque chose de désespérant à voir disparaître des écrans en moins de temps qu’il ne faut pour rêver le matériau premier d’un apprentissage du romanesque (idéalement au cycle 3). En ce sens, il est sans doute grand temps de rappeler à l’institution quel rôle elle se doit de jouer pour promouvoir des films comme celui-là. Les nouveaux programmes de français du collège n’accordent-ils pas une place accrue au cinéma ? On imagine quels réseaux de personnages pourraient être développés depuis le capitaine Lund jusqu’au capitaine Nemo.
Des questions fondamentales
Tout en haut du monde pose par ailleurs des questions fondamentales que tout enfant est susceptible de relayer tant sur la quête identitaire que sur les relations humaines. Le parcours de Sacha promise pourtant aux ors de l’aristocratie russe, dans le sillage du Davaï, offre ainsi des constantes par rapport à des récits d’aventures dont il s’inspire, mais il se dote surtout d’une vraie singularité, en l’occurrence liée à cet appel du Grand Nord, personnifié par son découvreur, Ouloukine (voir l’extraordinaire scène onirique où la petite fille retrouve le journal de son grand-père tout en embrassant sa silhouette « hibernatisée » à jamais).
Un film d’animation essentiel – heureusement bientôt en dvd –, comme on en compte tout juste une demi-dizaine par an, capable de mener les mousses vers le grand large, dans cette zone sensible si féconde où l’image retrouve les vertus premières des textes sources…
Antony Soron, ÉSPÉ Paris
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.• Un exemple de récit d’exploration recommandé par le ministère de l’Éducation nationale : les « Voyages » de Samuel de Champlain, fondateur de la ville de Québec, dans la collection « Classiques » de l’école des loisirs, étudié dans deux dossiers de « ‘École des lettres » exclusivement réservés aux enseignants :
– premier article,
– second article,
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