L’accompagnement personnalisé au service de l’argumentation en classe de seconde
Rôle et place de l’argumentation au lycée
Héritiers de la méthodique et rationnelle tradition cartésienne, les exercices littéraires du baccalauréat mettent l’accent sur la capacité à dérouler, de façon logique, un raisonnement constructif.
Tous les acteurs éducatifs savent d’emblée que la dissertation relève de la pure démarche argumentative : c’est, d’ailleurs, ce qui la rend redoutable aux yeux des lycéens. Mais force est de constater que les autres épreuves de l’examen se fondent sur des exigences mentales et des qualités expressives tacitement équivalentes :
• les TPE doivent répondre de manière structurée à une problématique que le candidat aura préalablement définie ;
• l’oral de français (ÉAF) suppose l’élaboration d’une réponse construite, pertinente, synthétique, appuyée sur une analyse fouillée d’un document ;
• le commentaire de texte, dit « commentaire littéraire », proposé à l’écrit, cousin germain de l’oral, doit éviter toute paraphrase, s’attacher à justifier et prouver ce qu’il avance en enchaînant des remarques reposant sur une analyse rigoureuse des procédés d’écriture ;
• Seule l’écriture d’invention semble, a priori, échapper aux contraintes argumentatives ; cependant, les apparences sont trompeuses car il ne s’agit pas de créer en toute liberté.
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Respecter le cadre fixé par le sujet ne suffit pas. Une étude approfondie du texte support, de son style, de sa mise en forme s’avère tout aussi nécessaire. Démarche analytique et synthétique s’entrelacent donc pour constituer un impératif préalable qui servira de tremplin à une démarche créatrice très encadrée. Par ailleurs, la narration et la description, souvent sollicitées dans ce type d’exercice, peuvent servir une thèse et que composer un discours, un apologue, un éloge ou un blâme suppose aussi de savoir convaincre et/ou persuader…
L’argumentation revêt une importance prédominante au lycée
Mais quelles sont les compétences des élèves frais émoulus du collège dans leurs pratiques argumentatives ? Certes, depuis peu, le diplôme national du brevet renoue avec la composition argumentée. Mais les exigences du lycée, érigées en système, nécessitent bien souvent un accompagnement de l’élève pris au dépourvu devant la généralisation de la construction argumentative. Celle-ci joue, en effet, les métamorphoses s’incarnant sous diverses formes : exposé, TPE, commentaire littéraire, dissertation…
Les élèves performants des filières « L » dominant analyse, synthèse, construction argumentée sont, en réalité, intellectuellement bien proches de leurs rigoureux camarades des filières « S » ! Devant, en outre, maîtriser l’expression écrite, ils se font si rares que nos classes de pseudo-littéraires, trop souvent dévoyées, deviennent, en réalité, un refuge pour les échoués de la « S », ce qui devrait interpeller nos responsables…
Pour une mise en place progressive sur l’année
Le cours en classe entière permet d’aborder des notions cruciales mais il ne suffit pas pour bon nombre d’élèves qui devront être soutenus : des séquences pourront être proposées en accompagnement personnalisé afin d’offrir une véritable progression sur l’année :
– la première séquence pourrait s’intituler : Pour une première approche raisonnée de l’argumentation ; de l’oral vers l’écrit.
– la seconde traiterait de L’argumentation au service du commentaire littéraire.
– la troisième s’appellerait : L’argumentation au service de la dissertation.
Séquence 1
Pour une première approche raisonnée de l’argumentation
Quelles compétences travailler ? Quel public cibler ? Pourquoi partir de l’oral pour aller vers l’écrit ?
1. Présentation des compétences visées
• Analyser la démarche argumentative (Qu’est-ce qu’un thème ? Qu’est-ce qu’une thèse ? Qu’est-ce qu’une problématique ? Qu’est-ce qu’un argument ? Qu’est-ce qu’un exemple et quelle est son utilité? Rôle de la stratégie argumentative ? Convaincre et / ou persuader ?)
• Apprendre à sélectionner ses arguments et ses exemples, à les hiérarchiser, à les rendre efficaces en fonction du destinataire.
• Apprendre à s’exprimer clairement et de façon enchaînée à l’oral, à sélectionner son vocabulaire afin de convaincre et /ou persuader.
• Apprendre à rebondir, réfuter, concéder.
• Commencer à argumenter à l’écrit (esquisse d’une argumentation écrite).
2. Le public ciblé
Beaucoup d’élèves seront concernés en ce début d’année, et pas uniquement les plus fragiles en français. Pour établir des groupes homogènes et modérés (entre dix et quinze), plusieurs enseignants devront travailler en parallèle afin de répondre à une large demande ; les professeurs auront établi une liste des candidats sachant qu’une adhésion de l’élève s’avère être l’unique promesse de réels progrès.
L’oral comme point de départ : dans sa vie de tous les jours, chaque élève maîtrise parfaitement la plupart des techniques argumentatives sans en être forcément conscient. Il s’agit donc d’amener chacun à une prise de conscience de ses capacités, dans le but d’installer, au grand jour, des compétences souterraines mais réelles.
Apprivoisé, chacun pourra alors transposer sa pratique à des exercices plus intellectualisés.
Déroulement de la séquence
• Séance 1 à visée explicative et rassurante
Il s’agit d’expliquer aux élèves que la démarche sera progressive et que le point de départ concernera des compétences installées. Des jeux de rôles placeront les élèves dans des situations qui leur sont familières.
Exemples de mises en situation proposées :
– Vous devez vous adresser à vos parents (choix du père ? de la mère ?) afin d’obtenir un nouveau téléphone portable, l’autorisation de participer à une fête. . .
– Vous êtes en retard et vous devez vous justifier auprès de l’un de vos enseignants ou vous tentez de légitimer l’arrivée tardive d’un devoir…
Ces situations familières délieront les langues et il sera alors aisé d ‘expliquer ce qu’est une problématique (question soulevée : obtention de ce que je désire ou excuse pour mes manquements), un argument (idée au service de ma démonstration : Comme j’ai grandi, une nouvelle paire de baskets s’impose…), un exemple (cas concret illustrant l’argument – mes blessures aux pieds).
La nécessité d’une stratégie argumentative sera aussi soulignée puisque tel ou telle choisira soit son père soit sa mère comme interlocuteur privilégié. Il sera alors aisé de rappeler que nous ne nous exprimons pas de la même façon si notre requête est dirigée en direction de notre jeune frère ou de notre grand-mère !
Enfin, une distinction de taille sera établie entre deux verbes qui recouvrent des mises en œuvre différentes. Convaincre suppose qu’on s’appuie sur le raisonnement, l’esprit, alors que persuader vise à émouvoir, à susciter des sentiments.
• Séance 2 : réinvestissement dans des débats et joutes oratoires
Des sujets simples, pouvant être proposés par les élèves eux-mêmes, donneront naissance à des affrontements dialectiques. On pourra alors préciser le sens des mots thème et thèse. Si le thème est : Le tabac, la problématique pourra être : « Bienfaits ou méfaits du tabac » et deux thèses s’affronteront donc: celle des bienfaits et celle des méfaits, à moins qu’un enrichissant consensus s’installe. Les contraintes fixées par l’enseignant toucheront la nécessaire clarification entre arguments et exemples, l’usage de connecteurs logiques.
Des joutes oratoires s’enchaîneront, chaque participant devant rapidement rebondir sur l’argument de l’adversaire en s’appuyant, par exemple, sur ce qui aura été listé précédemment au tableau. Les binômes se succèderont. Il sera possible d’élucider le sens des verbes réfuter (ruiner, infirmer) et concéder (admettre tout ou partie d’un argument adverse).
• Séance 3 : Sensibilisation à la manipulation argumentative
Un extrait du théâtre de Pagnol est distribué aux élèves. Voici ce passage, issu de César. Les trois personnages jouent aux cartes dans le café de César qui parle de façon véhémente.
César : Monsieur Brun, j’ai la prétention de connaître mon métier.
Monsieur Brun : Evidemment, évidemment.
César : Monsieur Brun, tous les apéritifs sont faits avec des plantes : gentiane, sauge, peau d’orange, absinthe et cetera. Or, les plantes, ce sont des remèdes. Dans ma chambre, j’ai un gros livre : La Santé par les plantes, ça guérit TOUT. Alors, finalement, qu’est-ce que c’est qu’un apéritif ? C’est une espèce de tisane froide. Vous pourriez me dire qu’il y a de l’alcool…
Monsieur Brun : Je vous le dis.
César : Et qu’est-ce que c’est, l’alcool ? Essence de vigne : plante ! Et quand quelqu’un se trouve mal, qu’est-ce qu’on dit ? « Vite, faites-lui boire quelque chose ! Vite ! Un peu de rhum ! Un peu de chartreuse ! » Donc, Remède.
Ce passage, ludique, amuse les élèves tout en les désarçonnant car ils sentent, d’emblée, que l’argumentation est douteuse même si elle se présente de façon construite et apparemment logique.
On notera le thème : l’alcool ; puis, la problématique : « L’alcool est-il bon à la santé comme les plantes peuvent l’être ? » Enfin, on posera la thèse de César, le cafetier : « L’alcool est bon pour la santé ».
On effectuera un relevé des arguments (l’alcool est « fait avec des plantes » ; les plantes soignent ; l’alcool comme « tisane ») et on pointera les exemples (« gentiane, sauge, peau d’orange, absinthe, rhum…) On cherchera les connecteurs logiques (or ; donc). On en déduira que, par la forme, ce discours s’apparente à une argumentation construite. Puis, conscients des intérêts malhonnêtes du cabaretier, on précisera que la thèse est, pourtant, fausse. On s’interrogera alors sur les procédés qui rendent efficace un propos pourtant mensonger : on mettra en exergue l’habileté de la construction enchâssant arguments, exemples et connecteurs ainsi que la véhémence du ton, responsable de la force persuasive du discours.
Ici, forme et fond sont à dissocier. Par un éveil citoyen, on attirera l’attention de chacun sur l’habileté oratoire du protagoniste qui use de subterfuges afin de manipuler son auditoire.
N.B : un tableau récapitulatif des principaux connecteurs logiques sera distribué.
• Séance n°4 : Transposition écrite des acquis argumentatifs
L’heure de cours sera divisée en deux moments inégaux :
– Un quart d’heure de débat (activité orale recentrée sur un sujet moins concret, plus intellectualisé : par exemple, chacun présentera ses préférences pour telle ou telle expression artistique – cinéma, musique, peinture… Notons que ce choix de sujet offrira la perspective d’un plan échappant au carcan dialectique (thèse, antithèse, synthèse). Des arguments et exemples seront énoncés, échangés, discutés et notés au tableau par l’enseignant qui s’effacera, se contentant de faire office de secrétaire.
– Le reste de l’heure supposera un passage à l’écrit avec un plan fourni (introduction en trois moments : thème, problématique, plan annoncé ; rédaction de deux arguments liés et illustrés d’exemples).
• Séance 5 : Évaluation des acquis de la séquence
Divers exercices deviennent possibles :
– Rédaction d’une introduction et d’une partie de devoir (trois arguments liés et étayés) sur un sujet quelconque comme l’intérêt du sport ou des loisirs.
– Reconstitution d’un texte argumentatif mis en puzzle.
– Questionnaire autour d’un discours de Victor Hugo comme celui qu’il prononça à l’Assemblée le 9 juillet 1849 à propos de la misère sociale (relevé du thème, de la problématique, de la thèse, des arguments, des exemples, des connecteurs logiques).
• Séance 6 : Restitution des évaluations et suite à donner
Il est important que chaque élève, surtout si cet élève n’appartient pas aux classes dans lesquelles l’enseignant effectue son service annuel, récupère un bilan de son évaluation afin qu’il puisse mesurer ses acquis et envisager une suite possible des progrès en cas de fragilité. Le diagnostic peut aussi concerner d’autres compétences.
– Aucune notation sur 10 ou 20 n’interviendra : il faut encourager, former et non pas sanctionner. Il s’agit de souligner les réussites ou les faiblesses dans la démarche argumentative, de conseiller soit un autre AP pour la suite du trimestre, soit d’indiquer des outils (manuels, exercices, pratiques comme le débat systématisé ou comme l’analyse régulière des découvertes culturelles de l’élève tels que les attraits ou faillites d’un film.) favorisant une gradation des acquis.
Marie-Claude Hibert
À suivre.
N.B : L’accompagnement personnalisé logiquement proposé pour six semaines, concernera l’argumentation au service du commentaire littéraire.