« Her », de Spike Jonze
Spike Jonze est l’un des réalisateurs américains les plus inventifs. Being John Malkovitch (1999), Adaptation (2003) et Max et les Maximonstres, d’après Maurice Sendak (2009), ont fait mesurer sa capacité d’imaginer un univers à la fois très proche du nôtre et tout à fait déviant.
Le monde qu’il décrit dans Her n’est pas encore celui où nous vivons, mais lui ressemble à s’y méprendre. Nous n’avons pas encore recours à des écrivains publics pour écrire nos lettres, mais nous envoyons des cartes postales pré-rédigées ou électroniques. Nous avons développé avec nos téléphones ou nos ordinateurs portables des relations de dépendance et de nombreux adolescents sont soignés pour de telles addictions.
Théodore Twombly vient de se séparer de sa femme. Sa vie solitaire se résume à écrire des lettres pour autrui, à jouer à des jeux vidéo sophistiqués et à chatter pour trouver une partenaire sexuelle virtuelle. Une vie par procuration en somme.
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Un monde virtuel élaboré et néanmoins crédible
Un jour il voit une publicité interactive vantant les mérites d’un logiciel d’intelligence artificielle permettant un contact direct avec son acquéreur. Curieux, il achète le programme informatique, l’installe sur son ordinateur et tombe peu à peu amoureux de la voix qui lui parle. À la fois secrétaire idéale, maîtresse de maison et amante torride, Samantha change sa vie et lui donne la parfaite illusion du bonheur.
Scénario habile, récompensé par un oscar, psychologiquement plausible et cohérent étant donné la voix irrésistible de Scarlett Johansson, qui remplace un peu trop avantageusement les voix stéréotypées dont on a l’habitude en informatique. Solitude, frustration sexuelle et affective, font de cet anti-héros un être fragile et sentimental, dont le cinéaste détaille complaisamment les failles et les déceptions pendant plus de deux heures.
Son univers aseptisé est mis en valeur par une photographie et une mise en scène remarquables qui donnent vie à un monde virtuel élaboré et néanmoins crédible, culminant dans une scène d’amour qui ne donne rien à voir mais laisse imaginer avec talent le climax de l’orgasme.
Une vision décalée du monde pleine d’acuité
Spike Jonze décrit avec humour notre dépendance par rapport aux nouvelles technologies et nous oblige à réfléchir à l’avenir d’une société qui a remplacé les relations humaines par des ersatz. Les gens que croise Théodore sont tous en train de dialoguer avec leur OS (operating system), comme les passants de nos rues qui, les oreilles vissées à leur téléphone, donnent l’impression de parler seuls.
Cette réflexion amusée sur les dérives prévisibles de la société contemporaine est servie à souhait par Joaquin Phoenix, parfait en bureaucrate des sentiments, peu à peu englué dans les émotions qu’il sait si bien simuler.
Décidément Spike Jonze a le chic pour traîter des sujets originaux, avec une maîtrise de l’écriture et de la mise en scène qui donnent à sa vision décalée du monde toute son acuité.
Anne-Marie Baron
• Sur « Max et les Maximonstres », de Spike Jonze, d’après Maurice Sendak, voir le numéro de « l’École des lettres ».
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