« Ida », de Pawel Pawlikowski
Après son film kitsch tourné en Grande Bretagne, My Summer of Love, Pawel Pawlikowski revient dans son pays pour son second opus, Ida, sur la Shoah, ou plus exactement sur le rôle joué par les Polonais pendant la Shoah.
En 1962, avant de prononcer ses vœux, Anna, une jeune orpheline élevée au couvent est envoyée en ville faire la connaissance de sa tante Wanda. Celle-ci, seul membre de sa famille encore en vie, lui révèle que son vrai nom est Ida Lebenstein, qu’elle est juive et que ses parents ont été assassinés dans un village sous l’occupation nazie.
Elle l’entraîne dans ce village pour une enquête destinée à retrouver leurs dépouilles.
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Une intrigue austère
Avec une rigueur exemplaire, le réalisateur filme dans un superbe noir et blanc une intrigue austère. Plans fixes composés comme des tableaux, avec les personnages aux limites du cadre ou en dehors, grande économie de gestes et de dialogues. Mais le principe de l’enquête – quasi policière ou digne de celles de Claude Lanzmann – menée par les deux femmes rend le film passionnant sur le plan dramatique et sur le plan psychologique.
Pourtant, comment traiter à la fois de la culpabilité collective polonaise à l’égard des juifs et de la sanglante répression communiste à l’égard des ennemis du peuple ? Ce film magnifique et bouleversant superpose très habilement les deux sujets, puisque la tante a été d’abord victime des exactions polonaises, puis impitoyable procureur de la République, ce qui l’a fait surnommer Wanda la rouge.
Confusion des bourreaux, des justes et des victimes également à propos du paysan polonais qui, sous la menace nazie, a sauvé Ida, mais tué les autres membres de sa famille après les avoir cachés un certain temps, estimant qu’ils n’avaient pas de chances de survivre. Le film parvient à traiter la complexité de ces situations limites par ellipses et allusions, la parole et les mouvements de caméra y étant d’une grande parcimonie.
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La rencontre de deux femmes que tout oppose
Car, dans les décors naturels glacés et sinistres de ces champs et de ces bois de bouleaux évocateurs à eux seuls de la Shoah par balles et des camps qui ont marqué ces années noires, son véritable sujet est la rencontre de deux femmes que tout oppose : la nonne, réservée, craintive, qui ne connaît rien à la vie, et la juge qui en a fait le tour – personnage décidément plein de paradoxes – très portée à boire, à fumer, à draguer sans complexes. La découverte de ce qu’elle cherche à oublier est saisissante.
Un beau saxophoniste révèle à Ida le plaisir et donne au spectateur l’espoir d’un changement de cap. La musique de jazz et l’intimisme des rares scènes d’amour détendent un instant cette atmosphère de plomb. Mais la vie qui se révèle d’un seul coup avec ses extrêmes a de quoi effrayer la jeune Ida, fragile image de l’innocence.
L’évolution de ces deux caractères crée un véritable suspense psychologique. Liées peu à peu par le choc que représente la rencontre de leurs bourreaux, la tante et la nièce, interprétées par deux remarquables comédiennes, Agata Kulesza et Agata Trzebuchowska, vont réagir – au sens chimique – l’une sur l’autre et s’identifier l’une à l’autre sans pour autant arriver vraiment à surmonter leurs différences et à infléchir leurs destins respectifs. La beauté douloureuse de cette œuvre n’a d’égale que son ambigüité.
Anne-Marie Baron
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AMB a justement insisté sur la perspective historique où s’insère ce film exceptionnel, réalisé par un très grand artiste. Chaque plan est travaillé comme Bresson savait le faire. Ce n’est pourtant pas un esthétisme gratuit, car il se dégage de ce film une grande puissance méditative. Pour Ida, c’est l’histoire d’une mise à l’épreuve. Wanda, sa tante, la presse d’entrer dans la vie ordinaire des hommes afin de mesurer l’ampleur du sacrifice auquel elle consentira en prononçant ses vœux. AMB a bien montré les relations ambiguës qui unissent (ou opposent) la tante et la nièce. Aucune des deux finalement ne retournera à la vie ordinaire. Ida aura finalement triomphé de l’épreuve; elle s’engagera sans regret dans la voie qu’elle avait choisie.
L’histoire de ces deux femmes poursuit le spectateur longtemps après la fin du film.