Tunnel to Summer :
les sortilèges du temps
Par Philippe Leclercq, critique
En salle mercredi 5 juin, le premier long métrage d’animation du réalisateur japonais Tomohisa Taguchi reprend le motif du tunnel pour développer une aventure adolescente et initiatique. Le cadre est serré pour évoquer le mal-être des deux héros et leur besoin éperdu d’ailleurs.
Par Philippe Leclercq, critique
Emprunter un tunnel est toujours la promesse d’un voyage non tant géographique que psychologique dans le cinéma d’animation japonais. Ce lieu de transition est en effet un des passages obligés du genre, qu’il soit inspiré ou non d’un manga. Sa fréquente présence revêt des formes variées : puits, grottes, trous, conduits, souterrains…, de même qu’en littérature, comme en témoignent les romans d’Haruki Murakami (Chroniques de l’oiseau à ressort, 1995 ; 1Q84, 2010). Sa traversée, objet de fascination et de crainte, a valeur d’initiation, d’épreuve ou d’étape conduisant à la (con)naissance du jeune héros, à son entrée dans l’âge adulte.
La traversée du tunnel est au cœur de Tunnel to Summer, the Exit of Goodbyes, le premier long-métrage d’animation du réalisateur nippon Tomohisa Taguchi, né en 1985 et passé par le cinéma en prises de vues réelles. Son action se situe en 2005, dans une petite bourgade des environs de Tokyo. Kaoru, lycéen taciturne, vit seul avec son père alcoolique depuis la mort accidentelle de sa jeune sœur, Karen. Un jour, s’en revenant de cours, il découvre par hasard le mystérieux tunnel d’Urashima qui, selon la légende, offre à qui s’y aventure de réaliser son vœu le plus cher. Or, le sortilège a un coût : chaque seconde passée à l’intérieur du tunnel se compte en heures à l’extérieur. Tandis qu’il entreprend d’y retourner, Kaoru est suivi par l’énigmatique Anzu, une nouvelle élève fraîchement débarquée dans sa classe. Ensemble, ils tentent de déjouer le piège temporel pour satisfaire leurs attentes respectives…
Rêves d’ailleurs
Le film de Tomohisa Taguchi, auréolé du prix Paul-Grimault au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2023 – l’équivalent d’une mention spéciale du jury à Cannes –, est adapté du light novel homonyme de l’écrivain Mei Hachimoku (Natsu e no Tunnel, Sayonara no Deguchi, 2019). Lecture de détente très populaire dans les pays asiatiques, le light novel est destiné aux post-adolescents ou jeunes adultes. Ce genre littéraire, à mi-chemin entre le manga (il est fortement illustré) et le roman traditionnel, se caractérise par un style simple et une structure narrative composée de courts chapitres et de très nombreux dialogues.
Le réalisateur Tomohisa Taguchi, qui espère un jour adapter Kafka sur le rivage (2002), de Murakami, a décelé dans Tunnel to Summer une complexité dramaturgique largement supérieure au genre. La psychologie des deux héros n’y est pas fortement développée, leur présence douloureuse suffit à évoquer le mal-être d’une adolescence soumise à de puissantes injonctions sociales d’une part et à l’absence des parents d’autre part (ceux d’Anzu sont littéralement invisibles). Bien qu’ils forment une équipe, ces deux personnages sont souvent représentés seuls, enserrés dans des images surcadrées (cadre dans le cadre) et plongés dans des pensées que l’on devine grave. La quête qui soude leur amitié s’écarte de la traditionnelle intrigue amoureuse entre lycéens dans des univers parallèles dont le cinéaste d’animation Makoto Shinkai s’est fait une spécialité (Your Name, 2016 ; Suzume, 2022). Autant que les cadrages, le choix du réalisme servant de décor aux scènes du quotidien entre en résonance avec l’ennui des adolescents qui ne rêvent rien que tant que de changer de vie et de s’évader dans un autre monde.
Pacte faustien
De même que Tunnel to Summer ne répond pas aux codes de la romance adolescente, le traitement métaphorique du tunnel déjoue les attentes. Le pacte faustien qui en fonde l’espérance rend inopérantes les tentatives des personnages qui s’épuisent tant à vouloir retrouver sa sœur décédée qu’à gagner le don du dessin (Anzu souhaite devenir mangaka). Le tunnel apparaît vite comme un miroir aux alouettes, marqué par une forme de repli sur soi, opposant le présent au passé, le rêve à la réalité. Il invite, à l’inverse, les personnages à se replier en eux-mêmes et à creuser et développer leurs propres idées, leurs émotions, et le trésor intérieur qui les habite déjà. En dépit des efforts et du temps perdu, la quête initiatique n’est pas vaine. Elle leur permet de découvrir le meilleur des viatiques pour avancer sur les chemins incertains de l’existence : une solide confiance en soi et en l’avenir.
P. L.
Tunnel to Summer, the Exit of Goodbyes, film d’animation (japonais) de Tomohisa Taguchi (1h24) avec Oji Suzaka, Marie Iitoyo, Seiran Kobayashi. En salle le 5 juin.
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