Téléphones interdits au collège :
le gouvernement raccroche au nez des élèves

La généralisation de la pause numérique dans les collèges à la rentrée scolaire 2025 annoncée le 9 avril par la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne, relance le débat et les réflexions sur la place des écrans dans la vie des élèves. Et ce, d’autant plus que la plupart des règlements les interdisent déjà.

Par Faye Chartres (professeure de lettres en Seine-Saint-Denis)

La généralisation de la pause numérique dans les collèges à la rentrée scolaire 2025 annoncée le 9 avril par la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne, relance le débat et les réflexions sur la place des écrans dans la vie des élèves. Et ce, d’autant plus que la plupart des règlements les interdisent déjà.

Par Faye Chartres (professeure de lettres en Seine-Saint-Denis)

Le 9 avril, lors d’un entretien à Sud Radio puis le lendemain au Sénat, la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a annoncé vouloir généraliser l’interdiction des téléphones portables au collège à la rentrée.  Cette décision se place dans la continuité de l’expérimentation lancée en 2024 par sa prédécesseuse Nicole Belloubet[1] et s’appuie sur les préconisations d’une commission mandatée par le président Emmanuel Macron au sujet de«l’exposition des jeunes aux écrans[2] ». L’usage des téléphones portables répond notamment à la treizième proposition des experts du rapport qui consiste à « organiser une prise en main progressive des téléphones » :
« – avant 11 ans : pas de téléphone ;
– à partir de 11 ans : téléphone sans connexion Internet ;
– à partir de 13 ans : téléphone connecté sans accès aux réseaux sociaux ni aux contenus illégaux ;
– à partir de 15 ans : accès complémentaire aux réseaux sociaux éthiques[3]»

Depuis septembre 2024, environ 200 collèges et 50 000 élèves ont déjà dû déposer leurs téléphones à l’entrée des collèges. « Tous les retours […] sont très positifs, notamment sur l’amélioration du climat scolaire », a commenté la ministre sur le site de la chaîne Public Sénat[4]. Reste à connaître l’efficacité effective d’une interdiction qui n’est pas nouvelle sur le plan juridique. En effet, nombreux sont les établissements dont les règlements intérieurs prohibent déjà l’usage des téléphones mobiles. « L’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges et pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte, à l’exception des circonstances, notamment les usages pédagogiques, et des lieux dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément. », stipule la loi n° 2018-698 du 3 août 2018. Actuellement, écoliers et collégiens ne peuvent sortir leurs téléphones de leur poche dans l’enceinte des établissements sans risquer une sanction. Quelle différence les récentes annonces gouvernementales espèrent-elles faire ? Le respect effectif des préconisations passera notamment par le recours à « des casiers ou des pochettes »,sur le modèle de ce qui se fait dans certains pays étrangers.

Tous en pause numérique

La France s’inscrit dans une dynamique mondiale qui va du Brésil à la Nouvelle-Zélande, en passant par le Royaume-Uni. Ces mesures d’interdiction des téléphones à l’école répondent à un sentiment d’une « crise de l’éducation » dans laquelle les écrans constituent de véritables catalyseurs de tensions. Des mesures drastiques vont ravir les adultes, un peu moins les élèves, comme au Danemark par exemple, explique un article de Courrier international. Aux États-Unis, la législation gagne progressivement les différents États[5]. Dans le pays de l’Oncle Sam, le bilan est mitigé. Directeurs, professeurs et parents sont satisfaits. Selon eux, la distraction a diminué au profit d’une concentration croissante. Dans les collèges français choisis pour l’expérimentation, certains adolescents en oublieraient même l’existence de leur doudou aux métaux lourds en fin de journée[6]. Face à un tel plébiscite, des discours plus mesurés se font entendre.

  • Le coût matériel sera difficile à assumer pour les départements[7] dans un contexte d’austérité budgétaire. Les départements sont chargés d’assurer « l’équipement et le fonctionnement[8]» des collèges. L’Assemblée des départements de France va d’ailleurs à contre-courant de l’enthousiasme général. Selon eux, la demande ne serait pas globale et les« retours modérés ». Ils exigent que les chefs d’établissement soient les premiers décisionnaires et « qu’aucune participation financière ne [leur] soit imposée[9]». Au niveau du fonctionnement interne des établissements, qui assurera le contrôle et le rendu des téléphones ? Une responsabilité lourde pour un objet précieux pour les enfants et les familles. Dans un contexte de crise de recrutement et où les vies scolaires sont surchargées, les inégalités risquent de se creuser encore plus entre les territoires.
  • Rien n’endiguera les stratagèmes de nos adolescents souvent très imaginatifs face à la répression des adultes[10]. Le rapport de l’Unesco[11] sur les technologies dans l’éducation est sans équivoque : entre les téléphones de substitution et les pochettes non rendues, nombreuses sont les actions de rébellion menées face à la confiscation massive. Comment, en effet, espérer la compréhension de telles mesures si le dialogue n’est pas mené en amont ? Avant de sévir, ne faudrait-il pas encadrer en explicitant l’importance de développer un usage raisonné et raisonnable des écrans ? Ne déplace-t-on pas le problème hors des murs de l’école où les élèves risquent de se ruer encore plus sur leurs écrans ? C’est tout un dispositif d’encadrement qui doit être pensé et mis en place. Il ne peut reposer sur des actions isolées ou des interventions ponctuelles à l’heure où les adultes référents se heurtent à des coupes budgétaires drastiques et aux maigres enveloppes ministérielles[12].
  • Un rapport commandé par l’OCDE développe l’idée de l’émergence d’un effet rebond. « Les élèves sont moins enclins à désactiver les notifications des réseaux sociaux et applications au moment d’aller dormir[13] ». Cette sorte de pulsion compensatoire ne va pas dans le sens de la décroissance attendue vis-à-vis de l’usage des écrans. Le sujet est une affaire de santé publique qui concerne enfants et adultes. Ces derniers passent en moyenne 4h36 par jour devant les écrans[14], l’équivalent de 15 ans dans une vie ! Les adultes doivent « montrer l’exemple »,insiste un jeune collégien interrogé par France Info[15]. Il scande son sentiment d’injustice en observant que, dans un environnement scolaire, l’asymétrie des rapports pèse parfois lourdement sur le climat des classes. Ne risque-t-on pas de cultiver une défiance envers l’autorité et l’école ?

Les enfants et les écrans

Le débat autour de la place du numérique et de ses conséquences dans la vie des jeunes revient sur le devant de la scène. La crise sanitaire a été un véritable tournant : gouvernements, enseignants, familles et élèves ont dû improviser une transition numérique à marche forcée. En France, entre les serveurs saturés et les problématiques matérielles, cette crise a mis en lumière la fracture numérique et les inégalités sociales qu’elle accentue. Dans une enquête éclairante menée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (la Depp) en 2022[16], les enseignants évoquaient l’insuffisance de leur formation, mais aussi de celle des élèves qui manquaient de compétences numériques. Depuis, la généralisation de la certification Pix a été décidée, mais pour quels résultats ? L’écart dans la validation des compétences numériques minimales se creuse sur le long temps scolaire, selon les origines sociales des élèves.

Dans l’ouvrage qu’elles coordonnent, Les Enfants et les écrans (édition Retz, 2023), les enseignantes-chercheuses Anne Cordier et Séverine Erhel reviennent, aux côtés d’autres experts, sur les préoccupations sociales liées au numérique. Le livre est divisé en dix chapitres reprenant dix idées reçues en lien avec les écrans : « Les écrans altèrent le développement des enfants et des adolescents », « l’usage du numérique entraîne des troubles neuro-développementaux » ou bien« l’usage du numérique fait diminuer l’intelligence des enfants et des adolescents ». 

Sans complaisance mais chiffres à l’appui, les deux expertes confirment et déconstruisent les clichés sur les écrans digitaux. Elles rappellent notamment que la société s’inquiétait de la même manière face au succès du… flipper ! Le danger potentiel représenté par la lecture et les livres n’a-t-il pas été pointé des siècles durant[17] ? Face à la confusion entre corrélation et causalité, le numérique est moins le problème que la manière dont il est discuté, relayé et idéologisé. Le déclin supposé de l’intelligence est un relais de théories eugénistes britanniques qu’on entend dans une grande partie des médias grand public. Si des bénéfices sont identifiés (sociabilisation plus dynamique, diversité de contenus culturels proposés …), les experts rappellent que le numérique ne saurait suffire dans un contexte d’apprentissage. Ainsi, l’enseignement de la lecture par les écrans n’est pas très efficace, le support livre restant essentiel dans la fixation des savoirs. C’est ainsi que les pays scandinaves ont fait machine arrière sur le tout numérique qui ne peut constituer le véhicule exclusif de l’apprentissage[18]. Finalement, l’encadrement est essentiel. Les autrices concluent sur l’idée d’un accompagnement vers une pratique émancipatrice du numérique. Il faut amener les enfants à être actifs et déterminants dans leur usage des écrans digitaux.  A l’heure où l’IA commence à se faire une place dans les pratiques sociales, faisons-nous kantiens : formons au discernement et ouvrons l’espace de discussion avec les jeunes. La culture exclusive du bannissement ne saurait constituer l’unique solution et risque de donner aux écrans une désirabilité irrépressible qui sera plus difficile à réguler.

F. C.


Notes


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

l'École des lettres
l'École des lettres
L'École des Lettres - Revue pédagogique, littéraire et culturelle
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.