
Notre planète. Chronique n° 18.
L’A69, emblème de démocratie environnementale, dans un manuel scolaire
Signe d’un changement de paradigme : dans le nouveau manuel de lycée professionnel des éditions Hachette, le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres sert de support à un dossier sur la démocratie environnementale.
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire (académie de Toulouse)
Signe d’un changement de paradigme : dans le nouveau manuel de lycée professionnel des éditions Hachette, le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres sert de support à un dossier sur la démocratie environnementale.
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire (académie de Toulouse)
De l’école primaire au lycée professionnel, l’enseignement moral et civique (EMC) est l’occasion d’aborder avec les élèves, sous l’angle des valeurs, des grands principes et l’essentiel des textes législatifs de la République, les problématiques contemporaines qui agitent l’actualité. Depuis plusieurs années, l’environnement s’installe comme un sujet politique et de société majeur. Dans ce contexte, le projet de l’A69, construction d’une portion d’autoroute reliant Castres et Toulouse, est devenu exemplaire d’un changement : l’implication directe des citoyen(ne)s dans les décisions prises par les politiques à l’occasion de grands projets qui impactent leur cadre de vie.
La naissance de ce que l’on appelle la « démocratie environnementale » ne va pas de soi et pose un certain nombre de questions politiques. Aujourd’hui, un manuel scolaire s’empare de la problématique de l’A69 pour proposer aux enseignants des outils de réflexion. Le nouveau manuel de lycée professionnel des éditions Hachette (seconde et première bac pro) s’appuie sur ce projet de chantier dans un dossier documentaire consacré à la « démocratie environnementale ». Un document parmi d’autres mentionne l’opposition à l’A69 qui est devenue un emblème des luttes contemporaines pour la défense de l’environnement : contre les coupes d’arbres, l’assèchement des zones humides, l’artificialisation des sols, la pollution de l’air engendrée par les usines à bitume, la terre, les cours d’eau…
Un projet des années 1980
Serpent de mer de la politique d’aménagement dans le Tarn depuis les années 1980, le projet de la création d’une 2 x 2 voies entre Castres et Toulouse ressurgit dans les années 2010 et s’accélère entre 2018 et 2023. Devant le manque d’investissement de l’État, les élu(e)s départementaux et régionaux, soutenu(e)s par les préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne, font le choix d’un projet autoroutier, déclaré d’utilité public (DUP) par un décret du 19 juillet 2018. Un concessionnaire est retenu en avril 2022, le choix en est annoncé par le Premier ministre, Jean Castex.
Plusieurs enquêtes publiques sont menées, notamment une environnementale qui mobilise quelque 8 000 réponses à 90 % négatives. Des dizaines de scientifiques mettent en doute, avec plusieurs institutions environnementales, le bien-fondé du projet pour le développement durable du territoire. En mars 2023, les préfectures des deux départements concernés publient le décret autorisant les travaux. Ceux-ci commencent dans la foulée, menés par l’entreprise Guintoli, filiale du groupe de BTP NGE. Plusieurs centaines d’emplois sont créés pour nourrir le chantier, en particulier des postes de chauffeurs poids lourds, puisque les travaux de terrassement nécessitent de transporter des tonnes de terre et de pierres.
Sous l’influence du groupe pharmaceutique Pierre Fabre, fleuron du Tarn impliqué financièrement dans Atosca, la société de concession dédiée à l’autoroute, les médias locaux comme La Dépêche du Midi, le Journal d’Ici ou la radio régionale 100/100, mènent une campagne de soutien au projet. Le député local de la 3e circonscription de Castres, Jean Terlier, réélu en juillet 2024 par un front républicain contre le Rassemblement national, n’est pas le dernier à avancer des arguments pro-autoroute : nécessaire désenclavement du Tarn, essor économique du bassin Castres-Mazamet, sécurisation de l’axe routier, etc.
Dès les années 1990, plusieurs associations se sont émues de la construction d’une 2 x 2 voies et de son impact sur les paysages et l’environnement local. Elles ont dénoncé l’usage de béton, de bitume, l’artificialisation des terres agricoles ou la montée en puissance du trafic routier, notamment de camions. Alors que le projet était en sommeil, son retour sur le devant de la scène à la fin des années 2010 est intervenu au moment de la signature des accords de Paris sur le climat (2015).
De nombreux habitants ont pris conscience qu’une autoroute payante le long d’une nationale existante, privatisant la liberté de circuler en sécurité, s’inscrivait à rebours des attendus du développement durable. Le dossier documentaire consacré aux débats de la démocratie environnementale dans le manuel des éditions Hachette propose à juste titre un extrait de la Constitution de 1958 modifiée en 2005 et qui mentionne le fait que la Charte de l’environnement est devenue constitutionnelle. Il présente aussi les travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui alertent sur la crise climatique, le réchauffement climatique, et donc la nécessité d’une transition écologique rapide.
Un dossier exemplaire
Ainsi, le lancement du projet d’A69 (53 kilomètres de tracé) et le commencement des travaux interviennent au moment où la question environnementale devient plus prégnante. Les autorités politiques, État,et élu(e)s) ne semblent pas mesurer l’intérêt citoyen pour l’adaptation écologique. Malgré les alertes d’institutions environnementales en amont des travaux et le rejet du projet par une partie des habitants via l’enquête publique environnementale, les promoteurs de l’autoroute accélèrent le calendrier.
Face à cette situation, associations et collectifs d’habitant(e)s se mobilisent contre ce qui est perçu comme un passage en force, et ne tarde pas à dégager deux visions du monde et de vie à la campagne, deux manières d’occuper l’espace et d’envisager le rapport à la nature. Les actions contre l’A69 prennent plusieurs formes, parfois spectaculaires : recours en justice sur le fond, la question de l’utilité publique du projet face à son coût environnemental, manifestations populaires et concerts sur le tracé (avril, octobre et décembre 2023) avec promotion d’alternatives à l’autoroute par le collectif La Voie est libre, intervention du Groupement national de surveillance des arbres (GNSA) et leurs militants grimpant dans les arbres (les écureuils) afin d’éviter les abattages, création de collectifs dits « sans bitume » contre la fabrication de 500 000 tonnes d’enrobé à chaud en pleine campagne du Lauragais, à quelques centaines de mètres d’écoles. Plusieurs zones à défendre (ZAD) sont installés par des écureuils et des citoyens, parfois très jeunes, qui viennent en renfort soutenir cette lutte.
De simples citoyens et citoyennes s’engagent et prennent en main l’expertise. Le manuel Hachette mentionne d’ailleurs l’intervention du GNSA et de son président Thomas Brail. Au sommet des arbres, ce grimpeur arboriste met sa vie en jeu contre le projet d’A69. II va jusqu’à mener une grève de la faim puis de la soif à Paris en s’accrochant dans un arbre en face du ministère de la Transition écologique pour pousser l’État à de la cohérence. Il réclame l’arrêt des travaux détruisant des centaines d’arbres centenaires et de multiples zones humides. Des élu(e)s locaux et nationaux, des associations nationales comme Attac ou Extinction Rébellion s’impliquent : l’A69 devient un projet exemplaire, décrié ou soutenu, mobilisant les médias nationaux et parfois internationaux avec, par exemple, la venue de Greta Thunberg début 2024.
D’un côté, l’État et des élu(e)s à différentes échelles soutiennent un projet qualifié de structurant, mobilisant d’importants moyens en forces de l’ordre pour disperser les opposants et limiter les ZAD, usant de la répression judiciaire contre des militants qualifiés « d’éco-terroristes » par le ministère de l’Intérieur ; de l’autre, des associations et des collectifs, militants ou simples citoyen(ne)s, soucieux de développement durable, usant d’actions en justice, de temps forts, de manifestations le plus souvent pacifistes, non sans quelques débordements violents de minorités radicalisées sur les questions écologiques. Cette nouvelle prise en charge directe interroge le politique, le fonctionnement de la démocratie sans la remettre en cause. Elle met à l’épreuve la cohésion sociale autour des choix collectifs concernant la question vitale de l’avenir commun dans un département rural.
Un enjeu de débat en classe
Le dossier documentaire du manuel Hachette pour les élèves de la voie professionnelle, fait de l’A69 un sujet de débat qui s’inscrit dans le thème « La démocratie environnementale ». Cette question peut également être traitée dans les nouveaux programmes d’EMC de seconde (sur la question de « l’état de droit ») ou de première (à partir de la rentrée 2025 sur le thème « Les valeurs et les principes de la République à l’épreuve de la cohésion sociale »). Elle peut être également abordée en géographie et en lettres.
Le roman d’Éric Pessan, Le soleil est nouveau chaque jour (l’école des loisirs) raconte une mobilisation de jeunes originaires de Nantes qui s’encabanent pour protester contre un projet d’entrepôt dans la Meuse. Engagés dans la lutte pour le vivant, dépassant leur horizon local, ils montent dans les arbres pour bloquer les travaux, déclenchant les foudres des autorités. Leur lutte n’est pas sans rappeler celles des écureuils, militants qui se sont accrochés dans les arbres pour protester contre le projet d’A69, parmi lesquels l’arboriste grimpeur Thomas Brail.
Comme pour les méga-bassines de Sainte-Soline (dossier documentaire également disponible dans le manuel de seconde), l’A69 met en lumière l’implication de plus en plus importante et plus directe de la société civile dans les questions environnementales.
Ce projet autoroutier souligne aujourd’hui le clivage entre une base sociale de plus en plus large et investie dans le développement durable et des autorités en responsabilité (de tous les bords politiques) qui défendent un modèle économique traditionnel, énergivore, et les orientations des Chambres de Commerce et d’Industrie, les emplois industriels classiques (et non l’industrie verte), le développement des échanges pour développer les territoires.
La Convention citoyenne pour le climat en 2019 (également mentionnée dans le dossier documentaire) a souligné ce clivage et l’impasse démocratique qui en résulte. En effet, les propositions alternatives ont été balayées par les autorités à l’origine du projet d’A69. Dans le manuel, une caricature met en évidence le fait que les « enquêtes » réalisées en amont des grands travaux ont été peu prises en compte par les pouvoirs publics.
Le dossier documentaire dans ce manuel invite les élèves et leurs professeurs à construire un débat argumenté à partir des documents à compléter pour confronter responsables politiques locaux et « membres d’une association de défense de l’environnement » sur la question climatique. En s’appuyant sur les textes législatifs (comme le code de l’environnement) qui devraient être au centre des décisions prises.
Le 27 février dernier, le projet autoroutier de l’A69 a été stoppé par une décision du tribunal administratif de Toulouse. Cette décision a été saluée par des scientifiques qui travaillent sur la crise climatique ou l’aménagement du territoire et certain(e)s élu(e)s, associations et collectifs défendant le vivant et le climat. À l’inverse, la décision du tribunal a été immédiatement contestée par une majorité d’entrepreneurs du bassin Castres-Mazamet, des membres du gouvernement et des sénateurs et élu(e)s locaux.
Ces derniers multiplient appels et recours pour défendre une reprise rapide des travaux et remettre en cause le jugement, avec le soutien paradoxal du ministère de la Transition écologique. Sur quel modèle de développement notre avenir peut-il s’appuyer ? Les élèves qui vont prendre en main ce débat devront mettre en évidence les enjeux climatiques actuels et l’implication des citoyen(ne)s dans la « démocratie environnementale ». Cette implication vient par ailleurs démontrer que l’engagement citoyen ne se limite pas, ou plus, au bulletin de vote.
A. L.
Retrouvez l’ensemble des chroniques de la rubrique « Notre planète » ici.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.