« Humanités, littérature et philosophie » : une spécialité pour affronter les défis du XXIe siècle

Les secondes choisissent actuellement leurs trois enseignements de spécialités pour la première. HLP – humanités, littérature et philosophie – ne brigue ensuite que 10 % des suffrages en terminale. C’est pourtant une spécialité qui ambitionne de fournir aux élèves un outillage intellectuel complet pour les rendre aptes à disséquer discours et implicites.

Par Hans Limon, professeur de philosophie et formateur AEFE (océan Indien)

La création de la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie (HLP), consubstantielle à la réforme du baccalauréat de 2019, traduit une volonté explicite de replacer les humanités — entendues dans leur acception classique d’étude des textes et des formes d’expression structurant la pensée occidentale — au cœur du parcours de formation de l’élève. Inscrite dans le cadre d’un cycle terminal fondé sur une logique d’axialisation progressive, cette spécialité ambitionne de fournir aux élèves un outillage intellectuel complet, où l’acuité de l’analyse textuelle interagit avec la problématisation conceptuelle, dans une perspective résolument transdisciplinaire.

Héritière des studia humanitatis, la spécialité réactualise l’aspiration humaniste apparue à la Renaissance et visant à former des individus pleinement conscients de leur rapport au langage, à la culture et à la cité. Il ne s’agit donc pas d’une simple immersion dans un patrimoine littéraire ou philosophique, mais bien de l’édification d’une posture intellectuelle apte à disséquer les discours contemporains et à en révéler les implicites idéologiques.

Une organisation thématique ouverte à la transversalité

Le programme de la spécialité HLP repose sur une organisation thématique bipartite :

En première :

  • Les pouvoirs de la parole, qui sonde la performativité du langage, les stratégies rhétoriques, les manipulations discursives, mais aussi les conditions d’émergence d’une parole émancipatrice.
  • Les représentations du monde, qui explore la diversité des régimes de vérité, la production des savoirs et les modes de mise en récit du réel.

En terminale :

  • La recherche de soi, qui articule les objectifs de l’introspection littéraire, les péripéties de la constitution du sujet moderne et les multiples détours de la construction de l’identité narrative.
  • L’humanité en question, qui interroge la condition humaine face aux bouleversements techniques, aux transformations environnementales et aux nouvelles frontières éthiques.

Ces axes ne sont pas des catégories thématiques, mais bien plutôt des matrices à idées qui permettent d’associer avec subtilité des corpus littéraires, philosophiques, scientifiques et historiques hétérogènes. La présence d’auteurs aussi divers que Platon, Montaigne, Pascal, Hugo, Arendt, Rousseau, Nietzsche, Camus, Lévi-Strauss ou encore Césaire offre aux élèves une polyphonie de points de vue sur des sujets anthropologiques, politiques et éthiques fondamentaux.

Un levier pour appréhender les troubles contemporains

Cette spécialité ne se cantonne pas à la transmission de savoirs : elle met en œuvre une formation intellectuelle à la fois dense et féconde, qui conduit les élèves à saisir la complexité des mutations contemporaines avec discernement et profondeur. L’urgence climatique, les débats sur la justice sociale, les polémiques autour de la bioéthique ou encore l’enthousiasme – teinté d’inquiétude – autour de l’intelligence artificielle y trouvent un écho permanent.

Ainsi, face aux promesses et aux menaces portées par les algorithmes, les élèves peuvent convoquer la conception platonicienne de la mimèsis, la critique de la technique par Günther Anders ou encore l’impératif de responsabilité formulé par Hans Jonas. De même, la crise climatique est l’occasion de revisiter la dialectique nature/culture par le truchement des travaux de Lévi-Strauss ou des propositions écopoétiques contemporaines. Ces rapprochements ne relèvent pas d’une accumulation érudite qui serait plutôt malvenue ; ils participent à l’éclosion d’une intelligence en mesure de croiser les savoirs et d’en certifier ou non la pertinence au regard des réalités du présent.

Des attendus d’évaluation exigeants et formatifs

Les épreuves de la spécialité HLP sont spécifiquement conçues pour évaluer la capacité des élèves à combiner une lecture analytique rigoureuse, une mobilisation contextualisée des savoirs et une réflexion personnelle assemblée avec méthode.

 La question d’interprétation réclame une lecture microscopique attentive à la texture du texte, à sa rhétorique interne, à ses jeux intertextuels, mais aussi une recontextualisation macrostructurale le resituant dans un horizon culturel plus large. Il s’agit moins de formuler une explication exhaustive que d’élaborer une interprétation problématisée, où chaque choix herméneutique est justifié et adossé à une visée argumentative d’ensemble.

– L’essai, en terminale, engage les élèves dans une médiation autonome, déployée à partir d’une problématique pertinente, nourrie de références plurielles et soucieuse d’anticiper d’éventuelles objections. Ce n’est ni un développement libre – une élucubration – ni une dissertation canonique ; cet exercice constitue un espace de pensée personnelle où l’élève fait progresser son raisonnement en entretenant une conversation souple et méticuleuse avec le texte-source.

Une éthique de la transmission

Dans ses travaux sur l’éthique enseignante, Eirick Prairat, philosophe de l’éducation, rappelle que la posture de l’enseignant ne saurait se réduire à une stricte application de prescriptions didactiques. Il plaide pour une éthique de la présence, dont les piliers sont la sollicitude, la justice pédagogique et le tact relationnel. Ce dernier, loin d’être une vulgaire habileté communicationnelle, consiste en cet art d’adapter en temps réel la parole pédagogique aux singularités de chaque élève et de chaque situation. Cet art de l’ajustement est particulièrement mobilisé dans le cadre de la spécialité HLP, où la diversité des supports, la plasticité des exercices et la transversalité des dilemmes impliquent une vigilance constante à l’égard des cheminements individuels et des décalages interprétatifs.

Une formation citoyenne au confluent de la raison et des émotions

Dans Les émotions démocratiques et L’Art d’être juste, la philosophe américaine Martha Nussbaum tente de montrer que la vitalité démocratique repose autant sur la rationalité critique que sur l’aptitude à éprouver la vulnérabilité d’autrui. En confrontant les élèves à la profusion des voix littéraires et philosophiques, la spécialité HLP exerce cette imagination empathique, qui permet non seulement d’identifier la position de l’autre, mais aussi de la ressentir dans sa densité existentielle. Ce travail sur les affects ne relève en rien d’une dérive vers l’émotif ou l’anecdotique ; il s’ancre dans le cœur même d’une formation éthique incarnante et incarnée, qui soustrait les élèves à l’aridité de l’abstraction pure pour les incorporer à la chair vive des vies actuelles ou révolues.

Un foisonnement interdisciplinaire au service d’une intelligence globale

Par la diversité de ses thématiques et l’amplitude de ses approches, la spécialité HLP entretient des correspondances naturelles avec l’ensemble des autres disciplines des niveaux de première et de terminale.

– En histoire-géographie, l’étude des pouvoirs de la parole éclaire les discours de légitimation impériale ou les controverses mémorielles.

– En sciences de la vie et de la Terre, le survol de l’humanité en question résonne avec les enjeux de l’anthropocène, de la transition écologique et de la bioéthique.

– En spécialité HGGSP, l’abord des représentations du monde croise directement l’étude des propagandes, l’analyse des dynamiques géopolitiques de l’information et des rapports de force entre savoirs experts et opinions publiques.

– En physique-chimie, les débats sur la technique, la rationalité scientifique ou les technosciences s’inscrivent dans une histoire longue des représentations de la nature et du progrès.

Une école de la liberté intellectuelle et de la responsabilité démocratique

Choisir la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie, c’est amorcer un cheminement d’une rare intensité intellectuelle, qui allie la plus grande rectitude de pensée à une véritable éducation à la sensibilité et à la responsabilité citoyenne. C’est apprendre à penser contre soi-même, à considérer le langage à travers le prisme de son épaisseur temporelle, à sillonner le territoire indéfini des expériences humaines et à prendre la parole dans l’espace public avec à-propos, justesse, nuance et audace.

Cette spécialité ne cherche pas à façonner des spécialistes dédiés : elle cultive des esprits libres, dotés d’une véritable assertivité intellectuelle, capables d’investir la réalité sans s’y dissoudre, de prendre à bras-le-corps son opacité sans la réduire à des schémas simplificateurs et de reconnaître l’altérité sans renoncer à la clarté et à la fermeté de leur propre pensée.

Et après ?

Il convient enfin de souligner qu’opter pour la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie n’enferme en rien les élèves dans un cadre professionnel étroit. Cette spécialité ne dessine pas une voie exclusivement tournée vers les carrières littéraires ou philosophiques. Bien au contraire, elle favorise une culture générale approfondie, une agilité intellectuelle et une solide maîtrise de l’argumentation : autant d’atouts particulièrement valorisés dans des parcours aussi variés que les études médicales – où la réflexion éthique et la qualité du dialogue avec le patient sont essentielles -, les formations commerciales – où la capacité à structurer une démonstration et à décoder les tactiques discursives est un levier particulièrement efficace -, les écoles d’ingénieurs – de plus en plus attentives aux enjeux de responsabilité sociale et d’encadrement, théorique et pratique, de l’innovation – ou encore les sciences humaines et sociales, dont les questionnements s’entrelacent naturellement avec les problématiques de la spécialité.

À celles et ceux qui souhaitent emprunter ce chemin intellectuel, une seule recommandation s’impose : osez la puissance de la question, la richesse du doute et la joie de la découverte. Les humanités n’ont jamais cessé d’examiner le monde pour en accroître l’intelligibilité ; elles attendent désormais votre voix pour prolonger cette recherche et cette investigation en perpétuelle morphogenèse.

H. L.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Hans Limon
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