
Épreuve orale du bac de français :
La Vie tumultueuse de Mary W.
Pour la présentation orale d’une œuvre choisie par le candidat, Sarah, élève en première, propose le roman de Samantha Silva, La Vie tumultueuse de Mary W. (10/18). Analyse de l’œuvre et entretien avec son professeur de lettres au sujet de l’autrice.
Stéphane Labbe, professeur de lettres (académie de Rennes)
Pour la présentation orale d’une œuvre choisie par le candidat, Sarah, élève en première, propose le roman de Samantha Silva, La Vie tumultueuse de Mary W. (10/18). Analyse de l’œuvre et entretien avec son professeur de lettres au sujet de l’autrice.
Stéphane Labbe, professeur de lettres (académie de Rennes)
Les épreuves anticipées du bac français approchent. Parmi celles-ci, la présentation orale d’une œuvre choisie par le candidat. L’objectif, dans la première partie de cette épreuve, est d’effectuer une présentation claire et concise du livre : le candidat justifie son choix en se référant, si possible, à l’objet d’étude au programme. Dans le cadre du parcours « Écrire pour combattre les inégalités », associé à l’étude de la Déclaration des droits de la femme, d’Olympe de Gouges, nous avons proposé à nos élèves la lecture du roman de Samantha Silva, La Vie tumultueuse de Mary W., récemment publié en poche[1] et qui ressuscite une autre grande inspiratrice du féminisme moderne : Mary Wollstonecraft. Le texte qui suit est la retranscription d’une présentation réussie. Merci à Sarah pour son travail.
Présentation
La Vie tumultueuse de Mary W. est un roman de Samantha Silva, publié en 2021. L’autrice américaine, dans un entretien disponible en ligne et réalisé pour le Lone Star College-Kingwood, explique qu’elle a voulu retracer la vie de Mary Wollstonecraft, l’une des pionnières du féminisme en Angleterre dont elle estime qu’elle est trop méconnue dans son pays.
Son roman est passionnant : elle choisit comme point de départ la naissance de la future Mary Shelley (Mary Wollstonecraft est la mère de Mary Shelley) et la rencontre entre son héroïne et Madame Blenkinsop, une vieille sage-femme. Elle fait alors alterner les deux points de vue, celui de Madame Blenkinsop qui va assister aux derniers jours de Mary, et celui de Mary qui s’adresse à son bébé pour lui raconter sa vie et ses combats.
Le point de vue de Madame Blenkinsop est intéressant : c’est celui d’une vieille femme qui a mis au monde des centaines d’enfants, mais qui n’en a jamais eu elle-même et, de façon assez inexplicable, elle se sent attirée par cette patiente qui a un enfant tard, à trente-huit ans. La sage-femme est séduite par l’atmosphère qui règne dans la maison, pleine de livres et de manuscrits commencés, et d’encriers. Elle est sensible aussi à la lucidité de Mary Wollstonecraft qui prend le contrepied de bien des idées reçues et se montre convaincante quand il s’agit de les justifier. On a l’impression que Madame Blenkinsop symbolise toutes les femmes qui vont recevoir l’héritage de Mary Wollstonecraft.
L’autre narratrice du roman est Mary Wollstonecraft elle-même. Son récit est émouvant parce qu’il prend le ton d’une conversation intime : elle s’adresse à son bébé qu’elle appelle « Mon petit oiseau » et lui rapporte son enfance difficile auprès d’un père violent, ses amitiés, son engagement pour les valeurs de la Révolution française, son grand amour déçu… C’est une voix fragile, celle d’une mourante et qui, pourtant, porte déjà au-delà des siècles. Parce qu’elle dénonce avec calme et lucidité les injustices faites aux femmes dans un siècle qu’on appelle pourtant siècle des Lumières.
Entretien
Sarah, élève de première. — Mary Wollstonecraft est-elle contemporaine d’Olympe de Gouges ?
Stéphane Labbe, professeur de lettres. — Elles se sont en effet trouvées toutes les deux à la même époque à Paris, dans les années 1792-93 et pendant la Terreur. Elles sont toutes les deux des pionnières du féminisme, mais l’influence de Mary Wollstonecraft a été beaucoup plus grande que celle d’Olympe de Gouges. Son grand traité féministe, A Vindication of The Rights of Women, a été traduit très vite dans toute l’Europe, en français notamment, alors que la Déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouges a longtemps été ignorée, pendant presque deux cents ans. Il faut attendre la réédition et le beau texte d’introduction de Benoîte Groult en 1984 pour que l’on recommence à parler d’Olympe de Gouges.
Ces deux autrices féministes se sont-elles jamais rencontrées ?
Sans doute n’étaient-elles pas du même milieu social. On lit dans son roman que Mary Wollstonecraft rencontre Théroigne de Méricourt, femme politique liégeoise et figure majeure de la Révolution, elle assiste même à l’incident où elle est prise à partie par des partisanes de la Terreur. En fait, Mary Wollstonecraft a beaucoup fréquenté les milieux des émigrés anglais et s’est même sentie menacée pendant la Terreur. Les émigrés anglais pouvaient être accusés d’espionnage à tout moment.
Émigrée anglaise, Mary Wollstonecraft défendait pourtant les valeurs de la Révolution française ?
Effectivement. Son premier livre marquant s’intitulait A Vindication of The rights of Men et s’en prenait au député anglais Edmund Burke qui avait condamné la Révolution française dans un discours au parlement, puis dans un ouvrage qui justifiait le conservatisme et les privilèges de l’aristocratie. Mary Wollstonecraft a vu dans la Révolution française une opportunité politique. Dans le livre de Samantha Silva, l’écrivaine s’attaque à l’aristocratie qui exploite le peuple et défend l’idée républicaine.
Son roman restitue-t-il la vérité historique ?
À la fin du livre, la romancière remercie les biographes de Mary Wollstonecraft. Sa vie est bien connue : il reste une correspondance, le témoignage de son mari, le philosophe Samuel Godwin et puis les nombreuses réactions à son œuvre dans la presse. Samantha Silva a fourni un gros travail de documentation avant de se lancer dans l’écriture de son roman. Elle a sans doute inventé certains épisodes de l’enfance. Par exemple cet épisode de l’enfance où le père de Mary pend le chien de sa fille pour la punir de s’être rebellée. Il s’agit d’illustrer le fait que le père de Mary était une sorte de tyran domestique : alcoolique et dépourvu de talents, il incarne la domination du patriarcat. L’autrice a donc fait un vrai travail de romancière en créant le personnage touchant de Madame Blenkinsop, en donnant à Mary Wollstonecraft une voix juste et en inventant un certain nombre d’épisodes.
Que retenir de cette voix ?
Peut-être qu’il ne faut pas hésiter à s’indigner. Toute petite, Mary Wollstonecraft s’est élevée contre son père qui maltraitait sa mère. D’une façon générale, et c’est ce qui en fait un personnage attachant, elle prend toujours le parti du plus faible. Elle s’oppose encore à son père quand elle l’empêche de faire interner son frère Henry (les hôpitaux psychiatriques étaient des lieux de douleur absolue à l’époque, les patients maltraités y mourraient de façon précoce). Elle trouve un apprentissage à ce frère déficient. Partout, en Angleterre, en Irlande où elle est préceptrice, au Portugal où elle va assister aux derniers instants de sa meilleure amie, elle constate que la femme est dominée et réduite à des tâches subalternes. Elle parvient à se faire reconnaître, en tant qu’intellectuelle indépendante, aux yeux des personnalités les plus en vue de son temps, en ce sens c’est une femme exemplaire. Sa fille aurait été elle-même impressionnée par cette mère qu’elle n’a pas connue (ou qu’elle n’a connue que par ses écrits) puisqu’elle deviendra célèbre sous le nom de Mary Shelley et se choisira comme nom de plume Mary Wollstonecraft Shelley, ce qui est un bel hommage.
S. L.
[1] Samantha Silva, La vie tumultueuse de Mary W., 10/18 (2024), 384 pages, 9,20 euros.
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