
Épreuve de philosophie du bac 2025 :
corrigés pour la série générale
Expérience unique pour certains élèves, inaugurale pour ceux qui poursuivront après le bac, l’épreuve de philosophie est un rite de passage. Pistes de correction pour les sujets 2025 en série générale : Notre avenir dépend-il de la technique ? La vérité est-elle toujours convaincante ? Et le texte Théorie de la justice, de John Rawls.
Par Hans Limon, professeur de philosophie (AEFE, océan Indien)
Ce lundi 16 juin 2025, 530 000 élèves de terminale, toutes séries confondues, ont affronté l’épreuve de philosophie. Certains y sont entrés en tremblant, d’autres en souriant, quelques-uns peut-être avec une phrase de Kant en tête ou une référence vaguement stoïcienne glanée sur TikTok. Tous, en revanche, ont été confrontés à une exigence rare dans le cadre scolaire : penser. Penser vraiment. C’est-à-dire construire un raisonnement, formuler une problématique, convoquer des exemples, tracer une ligne de pensée personnelle, sans se cacher derrière les évidences ou les automatismes.
L’épreuve de philosophie, dans sa version française, demeure un rite de passage. Elle ne demande ni récitation de cours, ni restitution servile de connaissances, mais une mise en jeu de soi dans un dialogue avec des questions qui n’appartiennent à personne, sinon à la condition humaine. Ce rendez-vous annuel, à la fois solennel et fragile, est d’autant plus précieux qu’il pousse chaque élève à expérimenter, ne serait-ce que ponctuellement, la joie austère de la réflexion libre.
Pour celles et ceux qui, dans l’après-coup, souhaitent comprendre ce qu’ils auraient pu faire ou auraient voulu mieux faire, voici quelques pistes de correction. Elles ne visent pas l’exhaustivité ni la conformité académique à toute force, mais proposent des chemins possibles, à la croisée des connaissances et de l’invention. C’est l’occasion, aussi, de rappeler que philosopher, ce n’est pas cocher des cases : c’est se risquer à penser.
Sujet 1. Notre avenir dépend-il de la technique ?
Aparté
Face à un sujet qui combine futur et technologie, on devine les soupirs. Sujet redouté car doublement vague et vertigineux. Pourtant, derrière sa formulation apparemment anodine, se joue une interrogation majeure sur la place que nous accordons aux outils que nous créons et sur la possibilité de préserver notre liberté face à eux.
Introduction
De la roue à l’intelligence artificielle, de l’outil de silex au réseau globalisé, la technique n’a cessé d’accompagner l’humanité dans sa marche. Elle n’est pas un simple prolongement du bras : elle structure nos manières de produire, de penser, d’habiter le monde. À l’heure où le mot avenir se confond avec ceux de progrès, d’algorithmes prédictifs, de climat assisté par technologie, une question se pose : avons-nous encore prise sur notre destin ou la technique en est-elle devenue la clef exclusive ? L’interrogation engage non seulement notre rapport au futur, mais aussi ce que nous attendons de nous-mêmes : la technique est-elle un levier parmi d’autres ou la condition même de toute possibilité future ?
Problématisation
Ce sujet interroge une possible dépendance : faut-il entendre que, sans technique, l’avenir serait inenvisageable ? Ou, à l’inverse, que l’avenir ne peut être digne que s’il échappe à la seule logique technicienne ? Entre émancipation et asservissement, entre nécessité et liberté, il s’agit de réfléchir à ce qui nourrit notre capacité à projeter, à anticiper, à espérer. Ce questionnement invite à explorer ce que la technique permet, ce qu’elle empêche et la manière dont nous pouvons ou non nous en faire les maîtres.
Plan proposé
I. La technique, condition du progrès et de la projection vers l’avenir
Dans un premier temps, il est difficile de contester que la technique constitue un facteur déterminant dans notre capacité à transformer le monde et à envisager l’avenir. Depuis l’Antiquité, l’homme s’est distingué par son pouvoir de fabriquer des outils. Pour Aristote, l’homme est un être doué de technè, c’est-à-dire d’un savoir-faire orienté vers un but. Aujourd’hui, les avancées technologiques prolongent cette faculté dans des proportions inouïes. La médecine permet d’allonger l’espérance de vie, les technologies vertes prétendent offrir des réponses à la crise écologique, les algorithmes gouvernent la logistique planétaire. À bien des égards, la technique apparaît comme une condition sine qua non de notre capacité à envisager un avenir viable. Elle n’est pas seulement un instrument, mais un véritable ressort de projection. Selon Descartes, la technique est un moyen de devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Discours de la méthode). L’avenir, dans cette perspective, n’est pas subi : il est conquis.
II. Une dépendance risquée : quand la technique devient une fin et non un moyen
Toutefois, cette place centrale de la technique dans nos projections comporte un risque majeur : celui de renverser la hiérarchie entre l’homme et ses instruments. Au lieu de servir nos fins, la technique tend à s’imposer comme finalité. Jacques Ellul, dans Le Système technicien, décrit ce phénomène d’auto-accélération : ce n’est plus l’homme qui décide de l’usage de la technique, mais la technique qui prescrit sa logique, celle de l’efficacité et de l’innovation perpétuelle. L’avenir devient alors non plus l’espace du choix, mais celui du calcul, de la gestion, de l’optimisation. Cette logique comporte un danger politique et anthropologique. Hannah Arendt, dans La Condition de l’homme moderne, met en garde contre la confusion entre fabrication et action, entre production technique et liberté humaine. L’homme devient alors un « animal laborans » réduit à ses fonctions d’exécution. Peut-on encore parler d’avenir si le devenir se réduit à la programmation ?
III. Réconcilier technique et humanité : vers une maîtrise éthique de nos outils
Il est possible, cependant, d’envisager une voie médiane : ni technophilie naïve, ni rejet frileux. Hans Jonas, dans Le Principe responsabilité, invite à penser une éthique de la technique, fondée sur la conscience des conséquences à long terme. L’avenir dépend alors de la technique, certes, mais d’une technique pensée, maîtrisée, orientée par une volonté humaine éclairée. La transition écologique, la gouvernance des données, les débats sur l’intelligence artificielle prouvent que cette responsabilité est déjà à l’œuvre, parfois timidement, dans le champ politique. Autrement dit, la technique n’est pas ce qui décide de notre avenir, mais ce à travers quoi nous pouvons encore en être les auteurs, à condition d’en faire un outil au service de ce que nous jugeons bon.
Conclusion
L’avenir dépend bien de la technique, dans la mesure où celle-ci est l’un des vecteurs essentiels de notre capacité à agir sur le monde. Mais il dépend encore plus de la manière dont nous pensons la technique, dont nous en débattons, dont nous l’encadrons. La technique est notre chance si elle reste notre choix. Et c’est sans doute là que se niche la philosophie, dans ce moment rare où l’on suspend le geste pour interroger la direction. Pour nos élèves de terminale, penser cela, c’était déjà faire preuve d’un sens aigu de la liberté.
Sujet 2. La vérité est-elle toujours convaincante ?
Un élève, entre deux gorgées de boisson énergisante, a peut-être eu cette réaction intérieure en découvrant le sujet : « Franchement, si c’était le cas, j’aurais eu 18 toute l’année ! » Et il n’a pas complètement tort. La formulation de la question, apparemment simple, ouvre en réalité sur l’un des plus subtils problèmes philosophiques : le rapport entre ce qui est vrai et ce qui persuade, entre la force du réel et la puissance de la parole, entre le contenu et son impact.
Introduction
Nous vivons dans une époque où l’on parle sans cesse de vérité : vérité scientifique, vérité journalistique, vérité morale, vérité d’un témoignage. Et pourtant, plus on en parle, plus elle semble s’échapper. On peut dire quelque chose de vrai… sans que personne n’y croie. À l’inverse, on peut affirmer une contre-vérité et divulguer des fake news ou des théories complotistes avec une telle assurance que des foules entières s’en laissent convaincre. De ce paradoxe naît la question : la vérité est-elle toujours convaincante ? Il ne s’agit pas ici de demander si la vérité existe, ni même si elle peut être atteinte, mais d’interroger son effet : suffit-il qu’une proposition soit vraie pour qu’elle emporte l’adhésion ? Cela revient à explorer la distinction entre deux ordres : celui du vrai et celui du vraisemblable, celui du réel et celui de l’opinion. Autrement dit, être convaincu n’est pas nécessairement accéder au vrai. Dès lors, peut-on espérer que la vérité possède en elle-même une force de conviction ? Ou faut-il accepter qu’elle doive être traduite, mise en scène, pour toucher les esprits ?
Problématisation
On pourrait croire, naïvement, que ce qui est vrai s’impose de soi, qu’il n’y a pas besoin d’artifice pour convaincre de l’évidence. Pourtant, les faits montrent souvent l’inverse. Si la vérité n’est pas toujours convaincante, est-ce à cause de son contenu ou de celui qui la reçoit ? Le problème se déplace alors : est-ce le vrai qui échoue ou la raison humaine à le reconnaître ?
Plan proposé
I. La vérité possède en elle une force rationnelle de conviction
Il existe une confiance profondément ancrée dans l’histoire de la philosophie : celle en la capacité de la raison à discerner le vrai. Chez Platon, la vérité est ce vers quoi l’âme s’élève par l’effort dialectique. Le mythe de la caverne illustre cette idée : en sortant des illusions de l’opinion, le philosophe découvre l’évidence des formes véritables. La vérité y est présentée comme lumineuse, presque irrésistible pour celui qui l’aperçoit. Descartes, de son côté, fonde son projet philosophique sur la clarté et la distinction : ce qui est clairement et distinctement perçu ne peut être que vrai (Méditations métaphysiques). Ainsi, pour un esprit bien conduit, la vérité s’impose comme une évidence rationnelle. Elle convainc parce qu’elle s’accorde à la structure même de l’intellect humain. Dans cette perspective, la vérité n’a pas besoin de persuasion : elle convainc par elle-même, en vertu de sa nécessité logique, de sa cohérence ou de sa correspondance avec le réel. Un théorème mathématique, une démonstration rigoureuse, une preuve scientifique peuvent ainsi s’imposer par leur seule solidité interne.
II. Pourtant, elle ne convainc pas toujours : émotions, préjugés et rhétorique faussent la réception
Mais cette belle confiance dans la force du vrai rencontre une limite : les êtres humains ne sont pas des esprits purs. Ils sont traversés par des affects, des biais cognitifs, des peurs, des intérêts, des illusions, des croyances héritées. La vérité peut se heurter à ce mur intérieur. Comme l’écrivait Pascal, « la vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » : tout dépend souvent du contexte, de la culture, du regard. C’est ce que souligne Nietzsche dans Le Gai Savoir : la vérité n’est pas ce qui s’impose par sa force logique, mais ce que l’on choisit de considérer comme tel. L’homme ne cherche pas le vrai, mais le rassurant. La vérité, crue, nue, brutale, peut être refusée si elle dérange. Il est souvent plus confortable d’adhérer à ce qui flatte nos convictions que d’accepter une vérité qui les contredit. Ajoutons à cela le poids de la rhétorique. Depuis les Sophistes, on sait qu’il est possible de convaincre sans dire le vrai, simplement en usant de stratégies discursives efficaces. La publicité, les discours politiques, les fake news modernes en sont des exemples. La vérité ne suffit pas à emporter l’adhésion si elle n’est pas portée par un discours adapté, voire séduisant.
III. Convaincre par la vérité exige une pédagogie, une médiation, un art du discours
Il ne faut donc pas abandonner la vérité au silence ou à l’inefficacité. Il faut lui offrir les moyens d’être entendue, et cela suppose une certaine forme d’art. Convaincre par le vrai, cela s’apprend. Socrate, dans les dialogues de Platon, ne se contente pas de dire le vrai : il le fait naître chez l’autre, par l’ironie, le questionnement, le dialogue, c’est ce qu’on appelle la maïeutique. Aujourd’hui encore, enseigner une vérité scientifique, sociale ou éthique suppose une pédagogie. Il ne s’agit pas d’imposer, mais de conduire l’esprit à reconnaître de lui-même ce qui fait sens. C’est tout l’enjeu du journalisme de qualité, de l’enseignement, de la médiation culturelle. La vérité n’est donc pas toujours immédiatement convaincante, mais elle peut le devenir, à condition d’être exprimée dans des formes sensibles, des discours ajustés à ceux auxquels elle s’adresse. Ce n’est pas de la manipulation : c’est de la responsabilité intellectuelle.
Conclusion
La vérité, dans l’absolu, possède une force rationnelle qui devrait convaincre. Pourtant, les obstacles sont nombreux : passions, croyances, intérêts, stratégies. Il ne suffit pas d’avoir raison pour faire entendre le vrai. Et il peut arriver d’avoir raison seul et contre tous. Il faut donc savoir comment dire la vérité, à qui, et pourquoi. La vérité a besoin d’une voix. Et vous, chères élèves et chers élèves, qui avez peut-être douté de vos arguments, qui avez hésité entre Sartre et les fake news, souvenez-vous : philosopher, c’est précisément apprendre à faire vivre la vérité, non comme un glaive, mais comme une lumière qu’on transmet. Si vous avez tenté cela, même un peu, vous avez fait œuvre de penseur.
Sujet 3. John Rawls, Théorie de la justice (1971)
Introduction
À première vue, certainsélèves ont peut-être cru à un extrait de cours d’instruction civique : débat public, subventions, liberté politique… Où est donc passée la métaphysique si chère aux professeurs de philosophie ? Et pourtant, ce texte est d’une densité redoutable. Car John Rawls, penseur majeur de la démocratie libérale, n’évoque rien de moins que les conditions concrètes d’un débat politique juste, et surtout ce qu’il faut garantir pour que la liberté politique ne soit pas une illusion.
L’idée centrale
Rawls soutient ici que les libertés politiques n’ont de valeur réelle que si tous les citoyens disposent des moyens concrets d’y accéder et d’en user. Il ne suffit pas d’avoir théoriquement le droit de voter ou de s’exprimer pour que la démocratie soit équitable. Encore faut-il être informé, pouvoir juger en connaissance de cause, proposer des idées et participer au débat public sans être écrasé par le pouvoir de l’argent.
Ce que dénonce Rawls
Le cœur du problème réside dans l’inégalité de moyens : certains, plus favorisés, disposent de ressources financières qui leur permettent d’influencer le débat public, voire d’en orienter l’agenda. Ils peuvent ainsi faire valoir leurs intérêts et marginaliser ceux des autres. À terme, c’est l’ensemble du système démocratique qui se trouve faussé : ce ne sont plus les arguments qui prévalent, mais les capitaux qui parlent le plus fort.
La thèse du texte
La thèse est claire : pour que les libertés politiques soient réellement égales, il faut corriger les effets des inégalités économiques. Cela passe par des politiques de redistribution, par la pluralité des médias, par des aides publiques à la participation politique. Rawls évoque ainsi la « juste valeur » des libertés, expression clé de sa philosophie : les droits doivent être effectifs, pas simplement formels. Ce souci de garantir à chacun non seulement une égalité de droits, mais les moyens réels d’en jouir, entre en résonance avec la théorie des capabilités développée par Amartya Sen et Martha Nussbaum, qui insiste, elle aussi, sur la nécessité de fournir à chaque individu les conditions concrètes d’exercice de ses libertés fondamentales.
Pourquoi ce texte est d’actualité
Impossible de ne pas penser aux débats contemporains sur les lobbys, à la concentration des médias ou aux campagnes électorales financées à coups de millions. Rawls propose ici une philosophie du contre-pouvoir, adossée à l’équité, et qui rappelle que la démocratie ne se limite pas à des institutions, mais suppose des conditions sociales de possibilité.
Pour conclure
Un texte d’autant plus exigeant qu’il parle de nous, aujourd’hui. À vous, élèves de terminale, il rappelle ceci : philosopher, ce n’est pas fuir dans les nuages, c’est réfléchir à la façon dont le monde pourrait devenir un peu plus juste, si l’on en prenait vraiment les moyens. Et parfois, ces moyens passent… par une dissertation bien construite.
Conclusion générale
Qu’on soit élève de série générale ou technologique, cette cuvée 2025 de l’épreuve de philosophie du baccalauréat aura proposé un moment rare : celui de suspendre les automatismes scolaires pour se risquer à penser librement. Les sujets offerts cette année ne se sont pas contentés d’un vernis académique : ils ont ouvert de véritables brèches dans les certitudes du quotidien. La liberté dans toutes les circonstances, le pouvoir de conviction de la vérité, le rôle de la technique dans notre avenir, la nécessité de l’art, les fondements du lien social, la possibilité même d’un débat politique juste : autant de problématiques qui traversent la vie adulte et la citoyenneté.
Aux élèves de terminale générale, on a demandé de réfléchir à ce que nous pouvons attendre de la technique, à la force ou à la faiblesse persuasive de la vérité ou encore à la façon dont les inégalités économiques minent la justice politique. Aux élèves de série technologique, c’est la liberté malgré les contraintes, la fonction de l’art dans nos existences ou le rôle central de la justice face à l’égoïsme social qui ont été proposés comme points de départ. Rien d’ornemental ici, rien d’accessoire : ces sujets touchent au cœur de notre temps et invitent chacun à exercer son discernement critique, à penser par soi-même.
Certes, l’exercice est exigeant : il faut structurer, argumenter, nuancer, convoquer des références, et surtout ne pas céder à la panique. Mais c’est justement dans cette rigueur que réside l’une des dernières poches de résistance à la simplification ambiante. En ce sens, la philosophie n’est pas l’ennemie des élèves, mais leur alliée la plus précieuse pour apprendre à dire « je pense » avec conscience et responsabilité.
Et si certains se sont découragés, si d’autres ont pris un peu de plaisir à se surprendre eux-mêmes à réfléchir plus loin qu’ils ne croyaient pouvoir, alors la mission est accomplie. Car philosopher, ce n’est pas devenir spécialiste des Anciens, c’est oser habiter le présent avec intelligence. Et cela, en pleine épreuve du baccalauréat, c’est déjà beaucoup.
H. L.
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