
Diplôme national du brevet 2025
Français : analyse et pistes de correction
Le genre autobiographique a encore été mis à l’honneur pour l’épreuve de français du brevet en métropole, série générale, avec un extrait de La Force de l’âge, second tome de la saga autobiographique de Simone de Beauvoir. Les corrections ont débuté mardi 1er juillet et s’étalent exceptionnellement sur deux jours et demi en raison de la canicule.
Par Inès Hamdi, professeure de lettres (académie de Créteil)
Le 26 juin dernier, les élèves de troisième passaient l’épreuve de français du brevet des collèges. En métropole, en série générale, ils sont tombés sur l’autobiographie, genre qui revient souvent au brevet, avec un texte de Simone de Beauvoir.
Sujet ICI
Corrigé
I) Une calanque de souvenirs : remarques générales sur le sujet
- Un retour en écriture féminine et féministe. Simone de Beauvoir suit les pas de George Sand qui avait été mise à l’honneur au brevet des collèges en 2023. Les deux extraits ont en commun d’insister sur la dimension nostalgique du souvenir. Dans le sujet de 2023, George Sand contait l’un des jeux marquant de son enfance qui consistait à « passer une rivière » imaginaire. L’épreuve 2025 retrouve aussi cette idée de seuil puisque l’extrait présente une narratrice qui passe un cap émancipateur en arrivant dans la cité phocéenne. Simone de Beauvoir et George Sand ont toutes les deux enveloppé leurs souvenirs d’un voile de rêverie. L’écriture de soi est enrichie du plaisir de revenir dans ces sensations cotonneuses et enjouées.
- Un extrait introspectif qui nécessitait une bonne gestion du temps. Genre autobiographique oblige, l’extrait choisi se révèle extrêmement analytique puisqu’introspectif. Simone de Beauvoir raconte surtout le point de bascule, quoiqu’intériorisé, qu’a constitué cette mutation marseillaise. Les candidats devaient identifier les mouvements sensibles qui se jouaient dans l’intériorité de la narratrice éprise de liberté devant sa nouvelle vie dans les Bouches-du-Rhône. Les compétences de lecture devaient être solides dans le développement de réponses longues et interprétatives.
Les candidats devaient ainsi être attentifs à leur gestion du temps : les questions étaient peu nombreuses mais réclamaient un approfondissement. Les caractéristiques des récits de soi n’étaient pas explicitement sollicitées et le texte était coupé de son contexte historique (très prégnant dans la seconde partie). En effet, le roman se situe dans un empan chronologique complètement en lien avec le programme d’histoire-géographie : le récit de Beauvoir s’étend jusqu’en 1944 et fait écho au thème 1 du programme : « L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914 – 1945) ».
- Une trame de questions aussi resserrée que son texte. La trame annoncée depuis 2023 a été conservée. Le questionnaire commence bien par une« première question [évaluant] la compréhension du sens global du texte ».
- La première question présentait la difficulté supplémentaire de reposer sur un raisonnement inductif. Les candidats devaient identifier le métier de la narratrice à partir de discrets indices : l’évocation des cours à assurer, l’emploi du temps qu’elle récupère auprès de la directrice de lycée, la mention du volume horaire de cours à assurer… Ils sont assurément nombreux à l’avoir, au mieux, considérée comme une étudiante.
- Les deux questions posées portaient bien sur « la compréhension fine de deux passages. » correspondant aux deux premiers paragraphes du texte. Les candidats devaient ainsi identifier la dimension symbolique de ce voyage et de cette installation qui allaient scander l’éclosion d’une nouvelle femme indépendante et avide de découvertes.
- La question qui suivait intégrait bien une « dimension stylistique » : elle s’attardait notamment sur la composition des premières descriptions émerveillées de Marseille, soutenues par le recours à des figures de style analogiques comme l’image « coup de foudre » (ligne 27) résumant cet ébahissement et les énumérations successives, constitutives d’une peinture quasi synesthésique de la ville.
- Les deux dernières questions relevaient bien de « l’interprétation » avec pour « lien » une « image » reproduisant le tableau de Frédéric Bazille, La Robe rose (... imprimée en noir et blanc). Les candidats devaient développer leurs impressions de lecture et l’image qu’ils se sont figurée de la narratrice ; à savoir une femme confiante, libre et prête à conquérir son indépendance dans un futur et des perspectives qu’elle entend bien générer elle-même.
- Du côté de la grammaire et des compétences linguistiques, les questions étaient plus conventionnelles avec …
- … une question d’identification d’un verbe suivie d’une justification orthographique autour d’un participe passé sur lequel les élèves peuvent hésiter : emploi adjectival ? Accord avec un auxiliaire « lointain » ? Les enseignants ont pu s’étonner de l’absence des manipulations syntaxiques qui, depuis peu, ont fait leur grande entrée dans les formations et la terminologie officielle. Dans les programmes, celles-ci ne peuvent que « probable[ment] » être posées et ne sont donc pas obligatoirement attendues le jour de l’épreuve.
- Les candidats ont eu à travailler sur « les composantes d’une phrase complexe », mais le dédoublement des questions à propos des deux propositions indépendantes juxtaposées a pu mettre les mettre en difficulté. Généralement, ces deux questions sont traitées en une et la perspective sémantique est éventuellement traitée dans une question suivante.
- Les paramètres de la réécriture se sont révélés des plus classiques : le passage du singulier au pluriel, du « je » au « nous » désignant, selon la consigne « la narratrice et une amie ».
II) Beauvoir à bon port : quelques pistes de correction
Partie grammaire et compétences linguistiques. Compréhension et compétences d’interprétation
1) La narratrice se trouve à Marseille pour des raisons professionnelles. Le paratexte précise qu’elle a quitté Paris à « vingt-trois ans ». Elle développe la nature de ses activités dans le second paragraphe (« faire quatorze heures de cours chaque semaine »(lignes 13 -14) avant d’évoquer sa rencontre avec« la directrice du lycée »(ligne 25) et de prendre connaissance de son emploi du temps. La conjonction de tous ces éléments permet de déduire que la narratrice est une jeune enseignante.
Commentaire : Finalement, cette première question, qui reposait sur un implicite très fort, a très certainement perturbé les candidats et les enseignants. Si la réalité autobiographique confirme bel et bien cette année marseillaise dans la vie de l’autrice, nombreux sont ceux qui risquent, par son jeune âge et la méconnaissance des conditions matérielles du métier de professeur (mutations, installation dans l’établissement …) de la prendre davantage pour une étudiante que pour une enseignante
2) La narratrice désigne elle-même rétrospectivement cette période de sa vie comme « un tournant absolument neuf » (ligne 4). Elle a recours aux adjectifs « décisif » (ligne 1) et « grands » (ligne 3) qui renvoient à l’idée d’une transformation d’envergure : ils donnent de l’ampleur à cet événement. Simone de Beauvoir emploie le passé composé qui a une valeur d’accompli, possède des conséquences dans le temps présent et est aussi celui de l’écriture dans ce contexte générique. En effet, l’extrait provient d’un récit autobiographique dont l’une des caractéristiques réside dans la sélection d’événements signifiants et donc d’importance pour la narratrice qui augure, avec cette mutation marseillaise, le début d’une série de voyages et de découverte de soi.
Commentaire : Les candidats peuvent appuyer leurs justifications sur des outils stylistiques en analysant la langue intensive et modalisée de Simone de Beauvoir, mais ils ne semblent pas attendus explicitement sur ce point et seront probablement bonifiés dans le cadre des corrections.
3) Dans ce paragraphe, la narratrice construit une véritable opposition entre son « passé » (ligne 9) et sa nouvelle vie. Encore une fois, le recours aux temps composés permet cette confrontation entre un mode de vie réglé et marqué par la dépendance de l’adolescence (« jusqu’alors j’avais dépendu étroitement d’autrui… », ligne 11) et l’affranchissement euphorique des prescriptions, qualifié de « grand bonheur »(ligne 12).
Au départ, elle reste fixée au niveau « du grand escalier » (ligne 5) de la gare Saint-Charles, comme si le temps s’était arrêté pour marquer une nouvelle direction. C’est le début d’un voyage, dans tous les sens du terme : géographique (« valise », ligne 5 ;« consigne », ligne 5, etc.), mais aussi mental. La gare prend une dimension symbolique : celle d’un nouveau départ, une sorte de page blanche qui est marquée par la conquête d’une liberté nouvelle où tout à « inventer » (ligne 15).
De cette installation découle ainsi l’émancipation et la découverte de soi (« me révéler à moi-même », ligne 19), mais aussi une ouverture de tous les instants.
Commentaire : Le plus délicat ici était de ne pas tomber dans la redondance. Les candidats devaient organiser des idées claires et suivre une véritable ligne directrice. Il sera intéressant de voir les pistes proposées par le corrigé officiel tant la latitude interprétative était vaste…
4) L’intégralité de l’extrait repose sur une description visuelle mais aussi sensorielle de Marseille. La narratrice passe par l’énumération pour construire une image idéalisée mais aussi poétique de la cité phocéenne. Ainsi, les groupes nominaux sont enrichis d’expansions du nom : le ciel est « bleu », les tulles sont « ensoleillées », les trous ont « d’ombre »…
De plus, la narratrice a recours à la métaphore du coup de foudre à la fin de l’extrait pour appuyer cette logique d’émerveillement. Le dernier paragraphe repose d’ailleurs sur une construction syntaxique qui poursuit la dimension cumulative des précédents paragraphes. La répétition anaphorique de « je » à chaque début de groupe syntaxique scelle cette relation déjà fusionnelle entre la narratrice et la ville.
Enfin, « Marseille » est scandée à plusieurs reprises, quasi anaphoriquement et dans des structures nominales qui renforcent la mise en relief de cette ville personnifiée et de sa place dans la construction personnelle de la narratrice.
Commentaire : Les outils stylistiques sont explicitement sollicités avec la mention de « l’analyse d’un procédé d’écriture ». La question est moins délicate à traiter par rapport aux précédentes car Marseille est présentée comme un enjeu et une plaque tournante dans la vie de la narratrice. Les candidats doivent cependant être capables de soutenir leurs propos par l’analyse concrète de l’écriture de Simone de Beauvoir.
5) De ce souvenir solaire (dans tous les sens du terme), la narratrice construit une image forte d’elle-même et qui résonne avec le titre (La Force de l’âge). C’est tout d’abord une femme émancipée qui commence son apprentissage de la liberté.
C’est ensuite une femme active qui s’émerveille du monde et présente une véritable capacité d’adaptation. Elle se projette très rapidement et loue presque immédiatement sa chambre dans l’avant-dernier paragraphe. À la fin de l’extrait, la succession des actions témoigne d’un potentiel aventureux qui sera confirmé par la réalité biographique. Elle n’hésite pas à apprivoiser cette « grande cité inconnue » (ligne 10) dans laquelle elle habite déjà (ligne 25).
Enfin, la narratrice est marquée par une curiosité toujours soutenue par un art de la réflexion et de l’observation. En une trentaine de lignes, Simone de Beauvoir fait une cartographie riche et dense de sa première vision de Marseille. Elle s’attarde sur tous les aspects et les éléments qu’elle rencontre. Même si l’idéalisation est de mise, elle est animée par l’intention de rencontrer profondément cette ville.
Commentaire : Cette question bilan se révèle très intéressante sur le plan réflexif. Les candidats ont à nommer les traits de caractère qu’ils devinent à la manière dont la narratrice observe et habite ce « nouveau monde ». C’est une invitation à déjouer certains stéréotypes avec la présentation d’une « femme puissante » dont la pensée va profondément marquer la société.
6) Ce tableau de Frédéric Bazille intitulé La Robe rose pourrait idéalement illustrer notre extrait.
Tout d’abord, il met en scène une femme contemplative qui regarde un horizon lointain. Cette femme est au premier plan et prend une place significative. Cette composition va dans le sens du genre narratif dans lequel s’inscrit notre extrait puisque dans l’autobiographie, l’auteur-narrateur-personnage est au cœur de son propre récit. « j’occupe une place centrale dans le texte ».
Du tableau, il émane une sérénité et un pittoresque semblable au texte. La femme regarde lointainement une ville non identifiée qui semble se situer dans le bassin méditerranéen, mais qui ne correspond pas véritablement à Marseille. Un sentiment de stabilité émane et renvoie aux instants de pause et de figement du texte lorsque la narratrice s’immobilise au niveau de l’escalier de la gare à la ligne 5 («Je m’immobilisai en haut du grand escalier»).
7) a. Le mot souligné est un participe passé.
b. En emploi adjectival, le participe passé « séparée » s’accorde en genre et en nombre avec « je » qui est au féminin et au singulier.
8) a. [j’avais rendu visite à la directrice du lycée ], [mon emploi du temps était fixé]
Les deux propositions sont indépendantes et juxtaposées.
b. Elles sont reliées par juxtaposition via une virgule qui a un sens explicatif.
9) a. « immobilisai » est un dérivé de l’adjectif « mobile » auquel on a ajouté le préfixe privatif im– et le suffixe –iser qui implique l’idée d’une transformation. ai- est la désinence / terminaison du passé simple.
b. Si « mobiliser » désigne le fait de rassembler son énergie pour réaliser quelque chose et de susciter un mouvement, une mobilisation, « immobiliser » est son antonyme. Il s’agit donc de maintenir dans l’immobilité et donc d’empêcher un élément d’être mobile, d’être en mouvement.
« Immobile », « immobilité » ou « immobilisation » sont des mots de la même famille.
10) « Nous étions là, seules, les mains vides, séparées de notre passé et de tout ce que nous aimions, et nous regardions la grande cité inconnue où nous allions sans secours tailler au jour le jour notre vie. Jusqu’alors, nous avions dépendu étroitement d’autrui : on nous avait imposé des cadres et des buts. »
Dictée
Jamais je ne m’ennuyais : Marseille ne s’épuisait pas. Je suivais la jetée battue par l’eau et le vent, je regardais les pêcheurs, debout entre les blocs de pierre où se brisaient les lames ; je me perdais dans la tristesse des docks. Dans les vieux escaliers et les vieilles ruelles, sur les marchés aux poissons, une vie toujours neuve me remplissait les yeux et les oreilles.
J’étais contente de moi ; au jour le jour, je construisais sans secours mon bonheur. Il y avait des fins d’après-midi un peu mélancoliques, quand, au sortir du lycée, je revenais, à travers le crépuscule, vers ma chambre où rien ne m’attendait : mais je trouvais de la douceur à cette nostalgie que je n’avais jamais connue dans le brouhaha de Paris.
D’après Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, 1960.
Commentaires :
- La dictée ne présentait pas de grandes difficultés ni de pièges.
- Les candidats n’avaient pas à déduire l’orthographe de « docks » et « brouhaha »
- Les chaînes d’accords étaient plutôt simples ainsi que le temps dominant, l’imparfait, dont les désinences sont régulières.
- « Debout » est en emploi adverbial : les candidats ne devaient donc pas l’accorder.
La seule difficulté (qui n’en est pas réellement une, car fixée par les programmes officiels) résidait dans l’accord du participe passé « connue » avec un cas d’antéposition du COD.
Rédaction
Sujet d’imagination
- L’écriture d’une lettre fictive à des proches est plutôt commune. Les candidats devaient donc avoir en tête les codes de l’épistolaire, thème généralement abordé en troisième avec les récits de guerre.
- Les candidats ne pouvaient pas ignorer la méthode d’analyse du sujet où ils devaient prendre en compte le destinataire, les parents, donc des proches, et construire un récit cohérent et crédible.
- Par ailleurs, il fallait insister et reprendre à son compte les différents mouvements du texte de Simone de Beauvoir et notamment le rapport à la découverte, aux lieux…
- Parmi les critères qui seront certainement retenus : l’organisation et la cohérence de la lettre tout comme la qualité de l’expression et de l’orthographe…
Sujet de réflexion
- Le sujet interroge, une nouvelle fois, le rapport entre arts et réception et, plus généralement, les mécanismes d’immersion et d’identification qui s’opèrent …
- Parmi les axes possibles, les candidats pouvaient évoquer, dans un premier temps, la manière dont les arts parviennent à servir de toile de projection par la puissance de l’identification, la dynamique qui se dégage des mouvements du geste de création et l’effet de réel. Les candidats pouvaient puiser dans des exemples personnels ou scolaires assez variés comme chez les romanciers réalistes et naturalistes …
- Dans une deuxième partie, les candidats pouvaient déployer leur réflexion autour de l’expression analogique « comme s’ils y étaient ». Les arts recomposent les lieux et les dédoublent selon le prisme de la subjectivité de l’auteur ; même dans le genre du documentaire, le réel est sélectionné et soigneusement reconfiguré.
- La troisième partie qui essaye de dépasser la tension du sujet n’est pas foncièrement attendue mais les candidats pouvaient réfléchir sur le principe d’esthétisation et la manière dont l’imagination participait à la prise de connaissance de lieux inconnus mais aussi connus. Certains pouvaient puiser dans le questionnement complémentaire, La ville, lieux de tous les possibles ? généralement abordé en classe de quatrième.
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