
Bac de français 2025.
Corrigé de la dissertation séries générales :
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour
C’est la pièce d’Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, qui a été choisie pour l’épreuve de dissertation, série générale, pour ce qui concerne le genre théâtral, dans le cadre du parcours associé « Les jeux du cœur et de la parole ». Pistes de corrigé.
Par Cécile Cathelin, professeure de lettres, et Antony Soron, maître de conférences HDR.
Dissertation (20 points). Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Sujet B. Œuvre : Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour. Parcours : les jeux du cœur et de la parole
Les personnages s’affrontent-ils sérieusement dans On ne badine pas avec l’amour ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur On ne badine pas avec l’amour, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Corrigé
D’Alfred de Musset, on retient souvent les amours contrariés avec George Sand, ses Confessions d’un enfant du siècle, ses Nuits romantiques, tandis que son sommet théâtral est souvent assimilé à sa pièce Lorenzaccio. Pourtant, c’est un autre de ses textes, appartenant au genre théâtral, On ne badine pas avec l’amour (1834), qui a bénéficié le plus de l’attention des metteurs en scène et de l’intérêt des programmes scolaires.
Lire l’article spécial bac autour de cette pièce
Alfred de Musset y met en scène des jeunes gens qui semblent se complaire à jouer avec leurs sentiments, au point de se défier, de se séduire et de se repousser, dans un petit monde apparemment sans danger où le jeu consisterait à retarder au maximum l’aveu de ses sentiments réels. Toutefois, derrière la badinerie apparente des échanges, la pièce révèle une profondeur tragique dont son dénouement ne peut qu’attester. De la légèreté du début de la pièce à la cruauté de sa fin, le nouveau marivaudage engagé entre Camille et Perdican tend à impliquer plusieurs registres justifiant le questionnement suivant : les échanges verbaux dans la pièce ne relèvent-ils que du simple jeu amoureux ou sont-ils empreints d’une gravité réelle ? Nous verrons que, si le badinage et l’ironie dominent d’abord les rapports, l’affrontement amoureux prend peu à peu une dimension moins innocente, voire dramatique, qui déplace la pièce de la comédie pastorale vers le drame romantique, inspiré par la dramaturgie shakespearienne.
I. Du marivaudage au badinage : une apparente légèreté
a. Un univers de jeux et de défis
Dès le début de la pièce, les personnages semblent s’amuser de l’amour. Perdican, de retour au village, retrouve Camille, son amie d’enfance. Tous les deux s’engagent alors dans une gentille joute verbale où chacun se complaît adroitement dans la dissimulation de ses sentiments. Dans la lignée du théâtre de Marivaux, leurs échanges sont marqués par l’ironie subtile, la délicate provocation et l’indifférence feinte. La parole devient ainsi le matériau d’un jeu sans cruauté où l’on se défie, où l’on cherche à prendre l’ascendant sur l’autre, non pour le compromettre mais pour vérifier l’authenticité de sa personnalité. Aussi, dès la scène dite de « nouvelle » première rencontre entre Perdican et Camille, le dialogue se fait-il duel d’apparence légère :
PERDICAN : « Bonjour, cousine. »
CAMILLE : « Bonjour, cousin. »
(Acte I, scène 3)
Cette distance polie, qui s’explique d’abord par le fait que les personnages ne se sont pas vus depuis longtemps, est en outre soulignée par la didascalie : « Ils se regardent un instant en silence ». De fait, dans le théâtre de Musset, comme d’ailleurs dans le théâtre romantique en général à l’inverse du théâtre classique, les renseignements de mise en scène prennent de l’importance dans le texte. Ici, la didascalie a par exemple pour fonction de souligner la tension sous-jacente de la scène, où les deux jeunes gens qui feignent l’indifférence ne sont naturellement pas indifférents l’un à l’autre. Leurs échanges qui témoignent d’une maîtrise linguistique indéniable traduisent leur élégance oratoire.
Chacun semble intégrer parfaitement les codes de la conversation courtoise et se complaît dans un nouveau marivaudage pétillant. Maniant l’ironie et la délicate provocation, comme un fleuret, Perdican raille par exemple l’éducation de Camille au couvent par une subtile interrogation rhétorique : « On t’a donc appris à ne pas aimer ? ». Dans ce jeu amoureux où celui qui perdra sera celui qui se dévoilera le premier, la parole devient une arme à double tranchant où il convient pour gagner la partie, d’en dévoiler le moins possible, voire de laisser penser à l’autre le contraire de ce que l’on ressent. C’est particulièrement le cas quand Perdican prend la pose de l’indifférent alors qu’il s’adresse de façon sentencieuse à celle qu’il adore au fond de lui : « Je ne t’aime plus, Camille. »
b. Le masque social et la peur de souffrir
Pourtant, la légèreté du badinage dans le théâtre de Musset n’apparaît pas gratuite. Aussi, les héros, aussi beaux soient-ils et faits l’un pour l’autre, semblent craindre de s’engager, comme s’ils pressentaient que trop aimer, c’est nécessairement souffrir. On retrouve à cet endroit d’une part l’expérience de Musset malheureux en amour, mais aussi un vecteur essentiel de l’imaginaire romantique que le poète surréaliste, Aragon, bien plus tard, tendra à résumer en une formule célèbre, « Il n’y a pas d’amour heureux ».
Ainsi, surtout pour une femme, tout dévoilement fait courir le risque à celle qui y cède d’être dupée. N’est-ce pas spécifiquement le cas d’Elvire dans le Dom Juan de Molière ? Camille, quant à elle, marquée par l’éducation religieuse qu’elle a subie tout autant que par sa méfiance intrinsèque envers les hommes, se sert du sarcasme contenu dans ses répliques et de la froideur de sa posture comme de deux boucliers.
Malheureusement, ce petit jeu fait des victimes collatérales. En effet, le badinage n’implique pas que ces deux protagonistes. L’affaire change de registre à partir du moment où s’installe une forme de triangle amoureux. Ainsi, Perdican, blessé par l’attitude de Camille, cherche à la piquer au vif en séduisant Rosette, qui, quant à elle, est vraiment innocente et ne maîtrise pas du tout les codes du marivaudage. À ne pas vouloir s’engager pour ne pas souffrir, les deux joueurs intègrent dans leurs joutes une potentielle victime, Rosette, qui n’adopte pas un rôle de composition.
Rosette dit ce qu’elle pense et ne masque en rien ses sentiments profonds. On voit dès lors que cette relation conflictuelle promise à un « tout et bien qui finit bien » tend à se compliquer du fait de l’obstination des deux protagonistes à demeurer dans leur rôle de composition. Ainsi, Camille ne transige pas avec cette méfiance naturelle renforcée par son expérience éducative au couvent. D’où la fermeté de son aphorisme :« Je ne veux pas aimer pour être trompée. »
Perdican, de son côté, n’est pas moins radical dans la position qu’il envisage. Le jeune homme blessé se plaît à provoquer la jalousie de Camille en faisant la cour à Rosette (acte II, scène 5). On notera d’ailleurs que l’expression de son intention reste quasiment le calque de l’affirmation précédemment citée de son amante : « Je veux que Camille sache que je peux aimer ailleurs ».Il y a là un badinage de surface supposé être assumé par chacun des protagonistes, mais dont la maîtrise tend à leur échapper, transformant le meilleur à venir en le pire à advenir.
II. Vers un changement de registre : du badinage au duel
a. L’amour, enjeu viscéral
Les Romantiques ne craignent pas d’exalter des sentiments extrêmes, comme le rapporte un vers célèbre de Musset : « Ah ! Frappe-toi le cœur c’est là qu’est le génie ! » (Premières Poésies). On observe dans la pièce un puissant décalage entre la force des sentiments en réalité réciproques et celle qu’il faut pour repousser les appels insistants du « cœur ». De fait, On ne badine pas avec l’amour met en place, sur le plan dramaturgique, une forme de théâtre dans le théâtre. Jouer revient à travestir ses sentiments, à adopter une posture contradictoire par rapport à eux. Ce qui est loin d’être aisé même pour des rhéteurs aussi doués que les deux jeunes amants.
Pour un Romantique, vivre sans amour est littéralement impossible même si, paradoxalement, l’amour est souffrance. Pour ainsi dire, il n’y aurait pas de modèle plus tragiquement parfait que l’histoire de Roméo et Juliette. D’où la difficulté de la mise en scène du théâtre de Musset. En effet, chaque protagoniste doit à la fois être dans la maîtrise et suggérer quelques fissures dans le masque. Derrière les tournures du langage, le jeu sur les registres, les effets oratoires, transparaît toujours plus ou moins quelque chose de moins dicible qui affleure néanmoins. Cet amour, voire cette passion fondamentale est toujours là, prêt à bondir et se ravivant sans cesse malgré les dénégations les doutes et les blessures.
La célèbre tirade de Perdican (acte II, scène 5) n’exprime-t-elle pas la violence source des passions enfouies : « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches. » ? Camille, de son côté, n’apparaît pas moins en lutte contre ses propres sentiments, comme en atteste l’antithèse suivante où l’on retrouve le verbe « vouloir » symptomatique d’une démarche d’auto-persuasion : « Je sens que je vais pleurer, et je ne veux pas. »Dans ce contexte de tiraillement interne commun aux deux héros, les affrontements ne sont plus de simples passes d’armes badines, ils engagent le moi profond qui pour les Romantiques renvoie de façon métonymique au cœur et à ses irrépressibles élans.
b. Le drame de l’incompréhension
On parle de drame romantique et non de comédie romantique à dessein. Alors que chez Marivaux ou plus avant chez Molière, le dénouement parvenait le plus souvent à restaurer une situation d’équilibre, la passion dans les pièces d’Hugo ou de Musset à titre exemplaire, est tellement forte et transgressive qu’elle implique un destin nécessairement défavorable. Ainsi, dans On ne badine pas avec l’amour, ce qui se met en place relève d’un quiproquo pour ainsi dire filé qui va basculer du comique au tragique. La séduction de Rosette pour un bel homme bien né tel que Perdican se fait sans trop de difficultés malgré les résistances initiales de la jeune paysanne. Avec elle, il badine à nouveau comme il l’a fait avec Camille mais à une différence près.
Ici, il a affaire à une proie beaucoup plus facile, au point que l’on peut rapprocher sa manière de conquérir la jeune femme de celle de Dom Juan, lui aussi à l’égard de deux paysannes, autrement dit de deux personnes du sexe dit faible et de condition sociale très inférieure à la sienne. S’il badine (action légère) ce n’est plus par jeu mais dans le cadre d’une stratégie plus gravement mûrie. Séduire Rosette revient pour lui à fomenter un plan de vengeance dont il ne se cache pas à l’acte III, scène 7 : « Je veux que Camille souffre autant que moi. » Certes, Perdican n’a rien d’un méchant homme comparable à Dom Juan. Toutefois, sa vexation est telle qu’elle lui fait perdre en même temps que sa lucidité une part de son humanité.
Et ce n’est au bout du compte que la mort de Rosette qui marque son réveil tardif. Le coup de sifflet final du marivaudage est donc prononcé par la victime collatérale. Il y aurait par conséquent un grand danger à aller trop loin dans le badinage avec l’amour, comme si justement le dieu Amour ne goûtait guère que l’on se moque à ce point de lui. La découverte de la supercherie marque, de fait, le basculement du jeu vers le drame , comme en témoignent tout à la fois la didascalie (Rosette meurt, Camille s’effondre) et la plainte de Camille :« Rosette, ma sœur, pardonne-moi ! »De sorte que le spectateur pourrait sans doute en tirer une leçon : l’amour, traité à la légère, a tout lieu de se retourner tragiquement contre ceux qui feignent de ne pas le prendre au sérieux.
III. Une pièce qui spectacularise les contradictions de l’esprit et du cœur
a. Le théâtre comme miroir de la condition humaine
Alfred de Musset, dans la lignée des drames de Shakespeare et dans la même mouvance que les pièces de Victor Hugo, interroge à la fois la difficulté d’aimer et de se dévoiler. Les romantiques ne se veulent pas des taiseux. Au contraire, imbus de leur génie poétique, il faut qu’ils exaltent poétiquement leurs sentiments. Or, le dramaturge, dans On ne badine pas avec l’amour, renverse cette dimension. Ce que l’on ressent, il faut le taire pour ne pas se laisser dominer par l’emprise de son cœur. On voit bien dès lors qu’il s’agit d’un jeu de dupes. Est-il en effet si courageux de vouloir dominer les élans de son cœur ? De ce point de vue, il semble très intéressant de remarquer que la pièce aussi tragique soit-elle dans son final, n’hésite pas à passer par le grotesque, notamment par le biais de personnages secondaires.
Cette intrusion du comique dans le cadre d’un badinage amoureux ne fait que renforcer l’ambiguïté de la situation tout au long de l’intrigue. Le lecteur/spectateur tend à osciller entre légèreté et sérieux. Par là même, les mots employés pour commenter les échanges entre Camille et Perdican peuvent eux-mêmes être ambivalents dans la mesure où chacun est souvent enclin à un double discours, comme en atteste le jeu des apartés. On joue le fort ou la forte en scène et l’on avoue sa faiblesse quand on est seul.
Il s’agit d’ailleurs d’un élément situationnel qu’Edmond Rostand reprendra dans Cyrano de Bergerac, pièce de l’extrême fin du XIXe siècle, très inspirée par le drame romantique. Il y a en effet ce que le Gascon dit tout haut quand il entre en scène et ce qu’il confesse à son seul ami Le Brêt, hors de scène, soit une profonde détresse devant le constat de sa solitude. On notera ainsi que dans la pièce de Musset, les aphorismes sont nombreux et que chaque fois ils traduisent un sentiment intime à portée universelle : « On ne se dit jamais tout ce qu’on pense. »Quant au badinage lui-même, ne demeure-t-il pas uniquement un jeu de rôles auquel les protagonistes ont du mal à croire comme le confirme ce énième énoncé usant du présent de vérité générale : « Ce n’est pas un jeu, c’est ma vie. » ?
B. Des conflits sentimentaux spectaculaires
La morale de la pièce tient en réalité en un avertissement contenu immédiatement dans son titre en forme d’injonction à la prudence : « On ne badine pas avec l’amour ». Ce titre pourrait d’ailleurs surprendre par sa gravité. Le verbe badiner ne laissant pas penser spontanément à un dénouement tragique. Cyrano de Bergerac s’apparente à un tout autre type de badinage. Néanmoins, comme chez Musset, tout stratagème pour jouer avec l’authenticité du sentiment amoureux y fait courir de sérieux périls à ceux qui s’y engagent.
De fait, il convient de lire la pièce de Musset à la fois comme un continuum du théâtre de Molière et plus encore de Marivaux où le déguisement permet de mieux cerner les sentiments réels des personnages et la source d’inspiration d’un auteur aussi prisé qu’Edmond Rostand. Sur les plans scénique et dramaturgique, les situations conflictuelles mises en place inspirées par des démarches de feinte sont particulièrement stimulantes tant elles appellent sous-entendus et quiproquos, postures et travestissements. Il semble par conséquent que le drame romantique parvienne à faire le lien entre la tragédie classique et la comédie bourgeoise, en acceptant de lier le comique et le tragique, le grotesque et la gravité.
Si les personnages de On ne badine pas avec l’amour semblent d’abord s’affronter dans le jeu et la légèreté, la pièce montre que l’amour ne supporte pas d’être traité à la légère. Les duels, d’abord ludiques, deviennent de plus en plus sérieux, jusqu’à tendre vers le tragique quand ils engagent la vie d’une tierce personne, à l’âme innocente.
Alfred de Musset, qui s’inspire de ses propres souffrances amoureuses, les met en scène, comme s’il souhaitait les mettre à distance à travers le destin triangulaire contrarié de Perdican, Camille et Rosette. S’il n’est pas un moraliste du Grand siècle, l’écrivain romantique polygraphe ne manque pas quand même de rappeler combien l’objet poétique fondamental, l’amour, ne peut être abordé sans conscience. Plus qu’une morale ou une leçon en bonne et due forme, cette pièce propose une forme de méditation – qui n’aurait pas déplu à Lamartine – sur l’expression de soi et de son for intérieur.
C. C. et A. S.
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