Ateliers d’écriture, un succès à méditer
Décidément l’Éducation nationale a toujours un temps de retard : dans sa dernière réforme elle supprime l’écriture d’invention au moment même où l’écriture créative atteint la reconnaissance de la société française à travers les ateliers d’écriture, salués par les auteurs, promus par les éditeurs, courus par les amateurs, courtisés par les universités, utilisés par des institutions sociales (réinsertion, hôpitaux, prisons), et, suprême consécration, reconnus égaux en dignité avec les creative writings américains.
L’Éducation nationale aime la technique s’il s’agit d’apprendre à faire un commentaire ou une dissertation mais méprise cette même technique s’il s’agit d’apprendre à écrire une nouvelle, peindre un caractère ou faire parler un personnage. Résultats : des générations d’élèves qui savent à peine bâtir un exercice purement scolaire, et ne savent pas du tout parler de soi ou de ses émotions, créer ou imaginer à partir de leur expérience, raconter ou décrire une scène de manière captivante.
Beaucoup d’écrivains d’aujourd’hui n’ont pas appris à écrire sur les bancs de l’école et pourtant ils ont appris, et ne s’en cachent pas, auprès d’autres écrivains dans des master class ou des ateliers d’écriture. Il y a peu Aurélie Valognes confiait à la presse être venue à l’écriture après avoir suivi un atelier de création de Bernard Werber, alors que rien dans sa vie et ses études ne la destinait à devenir écrivain. Déjà après d’autres, Anna Gavalda et Katherine Pancol avaient révélé s’être formées dans des ateliers. Or pendant ce temps l’Éducation nationale continue à laisser penser que devenir écrivain reste réservé à des élus, des gens extraordinaires, qu’apprendre à écrire de la fiction n’est pas de son ressort, que la rhétorique des exercices scolaires est la finalité de l’enseignement.
Heureusement cette déficience à contre-temps de l’Éducation nationale est de plus en plus comblée. D’abord par les ateliers d’écriture qui prolifèrent : Elisabeth Bing fut la pionnière en France dans les années 1980, rapidement suivie par Aleph, référence notoire, concurrencée depuis les années 2000 par des ateliers comme Envie d’écrire, Les mots, Esprit livre ou encore La fabrique d’écriture, et plus récemment par des éditeurs qui se lancent eux-mêmes sur le créneau de l’apprentissage du métier d’écrivain, comme les ateliers de la NRF par exemple.
Signe d’échec de notre formation académique : très peu ou pas du tout de professeurs de lettres dans les équipes de formateurs, mais des journalistes, des professionnels de l’édition, des correcteurs, des lecteurs, des auteurs. Comme si les spécialistes de l’écriture n’avaient que faire d’un Capes ou d’une agrégation de lettres…
Apprendre à écrire est devenu l’objet d’un véritable désir, stimulé par tous les accès à l’écriture proposés aujourd’hui par Internet avec des formules d’autoédition aussi puissantes que l’auto-publication chez Amazon. Dès lors il n’est pas scandaleux de voir des universités offrir depuis quelques années des cursus en master Lettres tournés vers les métiers de l’écriture et fortement appuyés sur des ateliers de création. C’est le cas à Paris 8-Vincennes, à l’université de Cergy, à Montpellier 3-Paul-Valéry, à Toulouse Jean-Jaurès, à Aix-Marseille où partout des formations d’animateurs d’ateliers d’écriture sont proposés, tandis que toutes les autres universités ou presque mettent en place régulièrement des ateliers créatifs, de la Sorbonne au Havre en passant par Lyon ou Lille. D’une manière générale c’est le rôle social de l’écrivain qui est reconnu et encouragé aujourd’hui dans un monde qui éprouve le besoin de lire et d’être lu, de témoigner et de laisser une trace.
La plupart de ces ateliers sont payants, relevant pour certains de véritables entreprises commerciales, multipliant les thèmes et les formules, stages ou cours annuels, en groupe ou en particulier, en présence collective ou en ligne, à Paris ou en Province. Ce coût, variant de quelques centaines d’euros à mille euros selon le nombre d’heures de formation, est une raison supplémentaire de regretter le manque de réactivité de l’Éducation nationale, n’intégrant que marginalement ces ateliers dans ses programmes et ses objectifs autour d’exercices d’ailleurs dérisoires et scolaires.
Si le but, de l’avis de tous les formateurs, n’est pas de faire de chaque participant un écrivain, mais de lui apprendre à écrire, dans tout ce que ce geste implique de connaissance de soi et de connaissance technique, alors force est de constater une efficacité plus grande du côté des ateliers d’écriture que du côté de l’enseignement classique, une réussite continue qui ne devrait pas manquer de nous interroger. Il y a un désir d’écrire que chaque adolescent connaît ou a connu, que des adultes ressentent un jour ou l’autre, les ateliers d’écriture l’ont bien saisi, il est dommage que l’école soit aussi lente et maladroite à le comprendre.
Pascal Caglar
Voir sur ce site :
• Faut-il brûler l’écriture d’invention ? par Violaine Houdart-Mérot et AMarie Petitjean.
• Réécriture et écriture d’invention au lycée, par Jacques Vassevière. Compte rendu de l’ouvrage de Violaine Houdart-Merot (pdf).
• Plaidoyer pour l’écriture d’invention, par Julien de Kerviler.
• La Grande Guerre dans tous ses états. Ateliers d’écriture et de pratique artistique du collège au lycée, par Perrine Charlon Jacquier et Gwenaël Devalière.
• Un atelier d’écriture littéraire numérique avec une classe d’hypokhâgne, par Isabelle Mimouni.
• Un appel de la communauté scientifique pour maintenir l’écriture d’invention (9 avril 2018).